Tribune publiée dans l'Usine nouvelle, le 16 juillet 2012
http://www.usinenouvelle.com/article/un-necessaire-pacte-social-pour-engager-le-redressement-productif.N178839
Un éditorial récent du Monde (10 juillet) regrettait "L'impossible pacte social à la française". Nous pensons qu'un tel pacte est non seulement nécessaire mais qu'il est possible.
Ce pacte est le complément indispensable des nouvelles régulations financières sur lesquelles le gouvernement s'est engagé à agir, dans le domaine bancaire notamment.
Il ne peut, en effet, y avoir de sortie de crise tant qu'une nouvelle donne n'aura pas été élaborée à la fois dans le domaine de la finance et celui des rapports sociaux. C'est peut-être cela qui constitue le principal enseignement du fameux New Deal de Roosevelt.
Alors que les partenaires sociaux se sont engagés à débattre des manières de combiner une plus grande flexibilité et la sécurisation des parcours professionnels, le gouvernement de son côté, sous l'impulsion du Président de la République, réfléchit à des nouvelles modalités d'indexation du salaire minimum.
Quelles pourraient être les bases d'une telle indexation et, plus largement, d'un nouveau pacte social à un moment où les secousses sociales paraissent devoir être de plus en plus fortes ?
Les limites d'une baisse du coût du travail
Le compromis "fordien" élaboré dans les années 1950 et 1960 s'est traduit, en France, par une indexation de jure du salaire minimum sur la hausse des prix. Mais une seconde base d'indexation associait, de facto, l'évolution de ce salaire sur les gains de productivité. Cette double indexation a été un des moteurs principaux de la croissance ainsi que de l'articulation entre l'économique et le social. Le SMIC était donc à la fois un instrument de justice sociale et de progression économique. Une redistribution équitable des gains de productivité assurait, en effet, l'amélioration du niveau de vie et celle des débouchés et, partant, celle de la production.
Ce compromis est apparu non viable dès le début des années 1980 sous le double effet, d'abord, du ralentissement des gains de productivité, puis de la concurrence croissante des pays émergents dont le coût salarial à l'unité produite peut difficilement être égalé. Le rempart de la productivité apparaît aujourd'hui comme ne pouvant plus être à l'avenir ce qui protégera les industries et les emplois des pays développés. Ici réside sans doute la principale limite de toutes les dispositions qui pourront être prises pour diminuer le coût du travail. Ceci signifie que si une réforme du financement de la protection sociale doit être engagée, alors il doit être clair que celle-ci ne peut viser à améliorer directement la compétitivité. Le cheminement passe par une amélioration des marges lesquelles devraient être affectées prioritairement à l'investissement et non au versement des dividendes.
La "flex-sécurité" : une stratégie défensive
Présenté comme l'autre moyen d'améliorer la compétitivité, la "flex-sécurité" apparaît comme une tentative d'allier des contraires. D'un côté, les entreprises affichent un besoin accru de flexibilité pour être en mesure d'absorber les variations de plus en plus fortes de la conjoncture. De l'autre, les salariés ne veulent pas faire les frais de cette instabilité et cherchent les moyens de ne pas être de simples "variables d'ajustement". Si des avancées sont toujours possibles et si des solutions de compromis allant au delà du développement des procédures de chômage partiel sont susceptibles d'être trouvées, nous pensons qu'il est possible de dépasser cette double posture quelque peu défensive.
Les enjeux pour les entreprises ne peuvent, en effet, se résumer à être en mesure de mieux absorber les chocs conjoncturels.
Le travailleur cognitif, acteur de base du processus d'innovation
Une proposition générale peut être faite permettant également de jeter les bases nouvelles d'une indexation des salaires. Mieux, cette proposition permettrait de situer la recherche des termes d'un nouveau pacte social dans la perspective du nécessaire redressement productif.
La proposition que nous faisons est simple dans son principe. Il s'agit d'inciter les entreprises et leurs salariés à adopter une posture reconnaissant que la bataille de la compétitivité passe prioritairement dans les pays développés par l'innovation plutôt que par l'accroissement de la productivité, la réduction des coûts, voire la seule recherche d'une plus grande flexibilité.
Des mesures de soutien de l'innovation sont actuellement envisagées, en particulier envers les PME. Une réforme du crédit d'impôt-recherche pourrait aller en ce sens. Pour être utiles, ce genre de mesures risque de ne pas suffire. Il est vraisemblable que les entreprises vont devoir admettre qu'elles ne pourront pas être innovantes en continuant de considérer leurs salariés comme de simples fournisseurs de force de travail évalués par leur productivité. Une grande majorité des salariés, aujourd'hui, s'implique dans des configurations de travail où ils doivent tous les jours résoudre des problèmes inédits. De l'infirmière au chercheur en passant par l'agent de maîtrise, tous sont confrontés à des situations impliquant de prendre des initiatives, rechercher des compétences complémentaires afin de comprendre et résoudre des problèmes hors des procédures et des routines.
La figure du travailleur taylorien, orientée par la recherche systématique des gains de productivité, a peut-être fait son temps et devrait progressivement laisser la place à celle du travailleur cognitif capable d'être l'acteur de base du processus d'innovation.
Philippe Varin, président du directoire du groupe PSA, n'a-t-il pas déclaré que sur le plan de la productivité comme de la qualité, Aulnay avait fait un très bon travail ?...
Les entreprises qui veulent faire de l'innovation leur axe de développement et dans certains cas (en nombre croissant) le moyen de leur survie ont-elles désormais un autre choix que de reconnaître et valoriser les compétences de ceux qui travaillent, et celui de mettre en place une organisation cognitive du travail qui se substituerait à une division technique telle qu'inspirée par Adam Smith et Frederick Winslow Taylor ?
Indexer les salaires sur la croissance et l'innovation
Le Président de la République a suggéré une réforme de l'indexation des salaires en articulant évolution des salaires et croissance. La croissance de demain ne viendra pas du retour des gains de productivité. Elle sera le résultat du développement de l'innovation. Pourquoi alors ne pas proposer une nouvelle base d'indexation articulant innovation et progression des salaires ?
Pour ce faire, il conviendrait d'élaborer de concert entre partenaires sociaux un indicateur agrégé d'innovation afin que la base de calcul ait la clarté et, surtout, bénéficie du consensus nécessaire. La composition de cet indicateur serait, bien sûr, composite et devrait intégrer toutes les dimensions de l'innovation : innovation de produit mais aussi de process, innovation organisationnelle, innovation dans les systèmes d'information et, pourquoi pas, innovation sociale.