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Billet de blog 13 décembre 2022

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Héroïsme homérique et dimension politique de la coupe du monde de football

Comme les dieux et les héros de la mythologie dans l'Antiquité, les sponsors et les joueurs cristallisent les valeurs de notre société. Quel héroïsme les compétitions sportives mettent-elles en avant?

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Le début de l'histoire occidentale fut un début sportif : les premiers jeux olympiques, qui ont eu lieu en 776 avant J.-C., devinrent le point de repère chronologique de l'histoire occidentale depuis l'Antiquité. Ces jeux olympiques s'ouvraient sur l'instauration d'une trêve et donc, d'une période pendant laquelle les cités s'opposaient autrement que par la guerre. La création des compétitions modernes par Pierre de Coubertin en 1896 a eu le même objectif pacificateur. « S'il vous plaît, ne laissez pas le football être entraîné dans toutes les batailles idéologiques ou politiques qui existent », a écrit dans une lettre ouverte de novembre 2022 le président de la FIFA Gianni Infantino. Ainsi, la revendication du rôle pacificateur des compétitions est toujours d'actualité dans les discours des responsables des grandes institutions sportives. Leur objectif d'apaisement des tensions rappelle ce que, dans l'Antiquité, les Romains appelaient la “poutre de la soeur”.

A Rome, du temps du troisième roi Tullus Hostilius, eut lieu une bataille pendant laquelle les Romains s'opposèrent aux Albains. Un Romain, Horace, fut alors appelé à combattre contre trois frères Albains connus sous le nom des Curiaces. Sa fureur au combat lui permit de remporter la bataille. Mais, alors qu'il rentrait à Rome, Horace fut indigné par l’attitude de sa sœur qui, au lieu de célébrer la victoire de son frère romain pleurait son amant albain mort au combat. Horace tua alors sa sœur et la “poutre de la soeur” représenta dès lors un passage clé dans la vie du Romain tel que défini dans la mytho-histoire. En effet, le soldat habité par la fureur dans l'espace militaire rentrait à Rome et passait symboliquement sous cette poutre de la soeur afin de redevenir un citoyen à l'attitude mesurée à l'intérieur de sa cité. Sous la poutre, il tuait symboliquement sa bravoure militaire et se libérait ainsi de l'exaltation meurtrière qui l'avait animé sur le champ de bataille. Il évacuait donc la fureur tant recherchée au sein d’une armée disciplinée mais qui devait être bannie de l'espace civique où elle risquait d'introduire une agressivité individuelle inconcevable. Les matchs qui opposent les nations lors de la coupe du monde pourraient être comparés à cette poutre de la soeur puisqu'ils permettraient d'évacuer des tensions afin de trouver un monde pacifié.

A l'image des Romains qui passaient sous la poutre de la soeur, depuis l'Antiquité, les événements sportifs sont donc censés enflammer la fureur nationale tout en amortissant les tensions qui peuvent exister. Reflets de la société qui les met en place et de son système de pensée, ils semblent avoir une dimension mythologique puisqu'ils mettent en avant “dieux” et héros représentatifs de notre époque qui peuvent inspirer, punir ou conditionner comme le firent les dieux lors de la guerre de Troie.

La guerre de Troie, récit mythologique le plus connu, fut une guerre déclenchée par les dieux et pendant laquelle le recours au merveilleux et l'intervention de Zeus, Athéna, Apollon, Poséidon et Aphrodite détermina l'enchaînement des événements puisque le sort des héros grecs et troyens dépendait en partie de la volonté de ces dieux. Hector fut ainsi sauvé par Apollon, Achille était le protégé d'Athéna et Pâris celui d'Aphrodite. Le soutien ou la haine que ces dieux portaient sur les héros ne choquait pas les Grecs. Comparable au soutien des dieux de l'Olympe, l'intervention des grandes marques dans les compétitions sportives conditionne aujourd'hui le sort des joueurs. Elle fait que cet espace où les exploits de plus en plus héroïques, car individuels, sont mis en exergue devienne le théâtre d'une compétition entre les sponsors, nouveaux “dieux” de notre société. Ainsi le soutien financier aux individualités censées jouer collectivement est devenu une normalité et ces individualités sont devenues nos héros. Leur héroïsme peut-il encore être novateur?

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Fresque de la Gare de Cologne pour la coupe du monde de 2006 commandée par Adidas © Felix Reidenbach

Tout comme les héros de la guerre de Troie, les footballeurs qui représentent aujourd'hui leurs pays doivent porter à la fois la fureur qui permettra de gagner et la mesure (ou fair play) nécessaire pour éviter les tensions. Ils cumulent aussi autant de qualités que de défauts que les héros homériques. Messi pourrait ainsi être comparé à Achille, le meilleur guerrier qui peut toutefois se laisser emporter par la colère et faire preuve d'une attitude inadaptée, ou peu mesurée, sur le terrain au risque de mettre en péril son équipe. La présence des stars comme Mbappé semble de son côté agir comme l'armure d'Achille qui suffit à elle même à effrayer les ennemis troyens lorsqu'elle est portée par Patrocle sans pour autant représenter une sorte de bouclier magique qui garantirait la victoire. La résistance de la Croatie de Modric pourrait être la représentation moderne de l'endurance d'Ajax, héros grec inépuisable. Enfin nous voulons savoir si tout comme Ulysse le fit pour la victoire grecque, Bounou va réussir à encore faire de son art une stratégie imparable et si il existe la possibilité dans notre monde de voir le Maroc sur le podium de la coupe du monde. Notre système de pensée s'est aujourd'hui imprégné de l'importance de ces nouveaux héros. Leur rôle doit-il pour autant se limiter à exécuter les publicités des dieux de la finance et à montrer les exploits physique sur le terrain?

Le rôle pacificateur qu'on a voulu octroyer aux compétitions suffit-il aujourd'hui à rendre les héros sportifs apolitiques? Après des appels au boycott d'une coupe du monde dont l’organisation cumule toutes les aberrations politiques, sociales et écologiques de notre monde, nous osons espérer que, comme certains le firent au début de la compétition, les héros du terrain puissent devenir par leurs actions le cheval de Troie d'un modèle néolibéral qui s'est approprié nos passions.

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