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Billet de blog 18 juin 2022

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Une élection difficile en Colombie : penser la concorde malgré les populismes

Les règles démocratiques ont été tellement contournées, bafouées en Colombie, que ses citoyens doivent aujourd'hui choisir entre deux populismes. Il faut désormais éviter le pire et pour cela, jeter de l'eau sur les braises toujours ardentes de la guerre est nécessaire. Or, un seul candidat semble prendre cette réflexion au sérieux.

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La présence au second tour des présidentielles de Gustavo Petro, ancien guerrilero du M-19 agissant dans la légalité politique depuis 1990 d'un côté et de Rodolfo Hernández, un homme dont la carrière politique a été consigné à la ville de Bucaramanga jusqu'en 2021 de l'autre, offre une lecture claire de la situation de la démocratie colombienne aujourd'hui. Lors du premier tour des élections présidentielles, les colombiens ont en effet voté contre l'establishment politique, contre l'oligarchie. Le candidat soutenu par Alvaro Uribe ainsi que les partis traditionnels colombiens ont disparu du paysage électoral, relégués au rôle de soutien des deux candidats se présentant comme des “anti-système”. Cette situtation est le résultat de la non-gouvernance chronique du pays et de quatre années d'un gouvernement Duque, inefficace et contraire à la logique qui a contribué à l'émergence foudroyante du populisme. Car Petro et Hernández sont bel et bien des populistes. La campagne de discrédit contre ses adversaires mise en place par l'équipe de Petro et les paroles qui provoquent l'indignation prononcées par Hernández ont donné à leurs détracteurs matière suffisante pour crier au danger de leur arrivée au pouvoir. Ce sont des vérités qui suffisent à elles-mêmes pour illustrer la réflexion d'Aristote sur le populisme qui, expliquait-il, apparait là où les lois ne dominent pas.

Leurs propositions sont pour beaucoup dépourvues de réalisme et de mise en pesrpective, et ils semblent être plus des animateurs que de vrais rhéteurs. Mettre en place un train qui relierait la côte pacifique et la côte caraïbe de la Colombie, un pays à la géographie grandiose mais à la fois rude et fragile, est une proposition de Petro qui se veut toutefois génie et héros. Offrir à tous les colombiens un voyage à la mer est une proposition d'Hernández, un homme fier de ce qui témoigne le plus de son détachement de l'oligarchie : l'inculture (il ignore par exemple ce qu'est l'accord d'Escazu pour la connaissance et la préservation de l'environnement). La Colombie n'est pas un pays facile à gouverner. La présence étatique faible, l'émergence de groupes armés, les blessures encore ouvertes laissées par la guerre qui a déchiré le pays, l'insécurité, le poids des intérêts économiques qui menacent la terre et ses hommes, la corruption sont autant de domaines sur lesquels devra agir le prochain président. Les propositions politiques de Petro et d'Hernández sont toutes les deux plus qu'imparfaites et renforcent l'ancrage du populisme, quel que soit sa couleur politique. Alors, pour faire le bon choix, ne faudrait-il pas s'accrocher dimanche plus que jamais à ce rêve de paix, à cette construction d'un pays apaisé pour les générations à venir? Cette paix est-elle d'ailleurs envisagée de façon concrète et rationnelle par les candidats?

L'histoire montre que la recherche de la concorde, notion héritée de l'antiquité gréco-romaine, peut être un premier pas vers la construction d'une vie politique plus stable et respectueuse des droits des citoyens. La concorde semble donc nécessaire à la résolution de conflits dans lesquels la société se déchire sans cesse puisqu'elle peut apporter une entente dans l'harmonie, produire la paix et aider à maintenir l'équilibre. Les exemples de la mise en place à travers l'histoire de cet antidote à la guerre civile témoignent toutefois d'un choix récurrent: celui de ne pas se souvenir des maux, d'oublier, de ne pas entretenir une certaine mémoire. C'est pour cela que la réflexion sur la concorde doit être complétée par des mécanismes cohérents où les vérités sont dites et contribuent à l'enracinement réel et collectif de la paix. Dans un pays ayant fait face à un long conflit, cela implique le dépassement d'une certaine mémoire du conflit, celle qui est teintée de frustrations et peut être de rancune.

En faisant appel à Jacques Derrida, pour qui le pardon pardonne seulement l’impardonnable, Petro propose une lecture “sociale” et politique de la mémoire du conflit. La corruption, le trafic de drogues et d'autres maux chroniques de la Colombie sont pour beaucoup à exclure de cette démarche qui serait viable seulement à condition d'assurer et d'assumer les vérités des victimes et la réparation à laquelle ces dernières ont droit. L'accord de paix signé avec les FARC en 2016 a mis en place des organismes qui ont cette tâche et qui pourraient être renforcés. L'histoire personnelle de Petro, ancien guerrillero du M-19 ayant honoré la promesse de paix conclue en 1990 ainsi que ses postures par la suite (il était, contrairement à Hernández, pour la signature des accords de paix avec les FARC) témoignent d'une certaine maturité ou, tout au moins, d'une certaine réflexion sur le sujet. La posture d'Hernández reste floue et ne peut en aucun cas être tenue pour une véritable réflexion politique qui permettrait de tisser une paix durable.

Alors oui, pour jeter de l'eau sur les braises toujours ardentes de la guerre, il faut privilégier la candidature de Petro même si son programme reste imparfait et si l'opposition de l'oligarchie sera à l'ordre du jour si jamais il arrive au pouvoir. Autrement, construire la paix restera un rêve et la Colombie devra encore vivre un cauchemar en tombant dans un abîme encore plus profond.

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