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Billet de blog 14 avril 2015

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François Maspero, une légende de l’édition

Son influence sur la vie associative en Belgique a été profonde. L’Université Populaire de Bruxelles a rendu hommage à ce libraire, éditeur, écrivain, reporter qui a soutenu et défendu les grandes causes du XXe s. Cela se passait le 8 janvier, au lendemain du massacre à Charlie Hebdo où il a perdu quelques amis. 

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Son influence sur la vie associative en Belgique a été profonde. L’Université Populaire de Bruxelles a rendu hommage à ce libraire, éditeur, écrivain, reporter qui a soutenu et défendu les grandes causes du XXe s. Cela se passait le 8 janvier, au lendemain du massacre à Charlie Hebdo où il a perdu quelques amis. 

Une légende ? Et pourtant, il se dit éditeur qui n’aimait pas la profession car, de son temps, « les éditeurs ne s’engageaient pas dans les problèmes concrets et humains. Ce n’était donc pas une profession intéressante, c’est pourquoi je l’ai quittée ». Précisons que François Maspero était aussi libraire (en 1955)  et qu’il est devenu écrivain (à partir de 1984). Mais c’est bien en tant qu’éditeur (depuis 1959) qu’il a imprégné la vie intellectuelle dans les années 1960, 70 et 80. C’est bien en tant que directeur de la revue « L’Alternative » (1978) qu’il a pu donner la parole aux dissidents des pays du « socialisme réel ». 

Une légende ? Bien vivante, comme il nous est apparu ce 8 janvier, malgré la profonde douleur qu’il ressentait après l’assassinat de ses amis de Charlie Hebdo (1), la veille de son séjour à Bruxelles : « je pense à tous mes amis arabes, berbères, druzes, kurdes que j’ai pu connaître ; je pense à eux, quelle que soit leur religion. Je pense à mes amis en Egypte, en Algérie, en Tunisie, au Maroc… Ce qui s’est passé n’est pas leur vision de l’humanité. »

Leur vision, celle que partage François Maspero, est celle de la justice sociale, du droit des peuples à s’autodéterminer, c’est la lutte contre tous les colonialismes, tous les fanatismes. Ces dernières années, encore, François Maspero a soutenu et accompagné les travaux du Tribunal Russell sur la Palestine. Avec justesse de pensée, avec détermination, avec courage comme il en a fait preuve tout au long de sa carrière et de ses combats.

Des membres de la vie associative et du travail social bruxellois sont venus exprimer ce que leur a apporté cet éditeur de toutes les pensées nouvelles, sociales, révolutionnaires, humanistes. Comment ils ont été nourris, au début de leur propre travail, par des auteurs comme Paulo Freire, Freinet, Rosa Luxemburg,  Manuel Castells, Frantz Fanon, Jean Carpentier, Jean Chesneaux. Féministes, historiens, médecins, sociologues, ont raconté comment sont nés les collectifs d’alphabétisation, les maisons médicales, les boutiques du droit, les centres de santé mentale, les centres de planning familial, les activistes urbains, les campagnes tiers-mondistes…  Autant de témoignages à retrouver dans une brochure « L’apport des Editions Maspero au mouvement associatif bruxellois ». (2)

Commentant ces témoignages, François Maspero sourit au souvenir du livre « Libération des femmes, année 0 » : « c’est magnifique qu’il ait fait des petits »… « La première action de ma première librairie a été de promouvoir les moyens de contraception et l’accouchement sans douleur. »

Le mouvement ouvrier : « ma perspective de travail à 21 ans était de devenir imprimeur, je n’avais pas de formation universitaire mais un certificat sur les questions coloniales. Transmettre la mémoire du peuple, c’est bien une optique que je partageais. »

La santé populaire ?   « J’étais très amis avec le docteur Jean Carpentier, j’ai publié sa « Médecine générale » en 1977, je suivais sa revue Tankonalasanté. Il est malheureusement décédé en juillet de l’année passée ».

Les mouvements de libération des peuples ? « J’ai édité le « Amilcar Cabral » de Mario Pinto de Andrade du Mouvement populaire de libération de l’Angola. Ce dernier me proposa Frantz Fanon qui ne trouvait pas d’éditeur. Et pour cause, son livre était une véritable déclaration de guerre contre le colonialisme français. C’est ma fierté de l’avoir édité. Fanon était comme Sartre : une pensée en développement permanent… Mais je ne l’ai jamais rencontré. J’ai fait mon travail et j’ai été inculpé pour l’avoir publié. J’ai republié son livre ensuite. Je conserve de lui une lettre me remerciant pour cela. »

François Maspero reste non seulement une légende mais un modèle pour les éditeurs d’aujourd’hui, confrontés à la révolution numérique, au néolibéralisme éditorial, à l’étroitesse du marché belge. « Aden », « Couleur Livres », « Edition du Cerisier », « Labor » (aujourd’hui disparu) continuent ce combat « d’accoucheurs » de la pensée.

« Je n’ai jamais fait partie des syndicats d’éditeurs et de libraires. Mais ce métier est beau. J’avais de bons contacts avec les auteurs. Lors de condamnations pour publication d’ouvrages interdits j’ai assisté à une mobilisation des auteurs pour m’aider en tant qu’éditeur. Beaucoup d’éditeurs font la pluie et le beau temps. J’ai quitté ce métier car je devais sélectionner, éliminer et c’est épouvantable ! Quand j’ai commencé, petit libraire je gérais 3 ou 4 personnes. Ensuite, il y en avait 30 ou 40. Je n’ai pas le goût du pouvoir. J’ai été heureux de quitter le monde de l’édition et j’ai eu le plaisir d’écrire des livres, dans la solitude et dans la confrontation permanente avec le reste de l’humanité. »

Ces livres éclairent toujours nos luttes.

(1)   http://www.charliehebdo.fr/index.html

(2)   Coll. Contribution au débat n° 3, publié par le collectif Formation Société asbl, Université Populaire de Bruxelles. Rue de la Victoire 26, 1060 Bruxelles. info@universitepopulaire.be

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