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Billet de blog 20 janvier 2015

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Le crayon contre le sabre et n’importe quel goupillon

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Etre « Charlie » ne signifie pas être d’accord avec tout ce que publie Charlie Hebdo ni la presse en général. C’est simplement soutenir la liberté d’expression. Dans le respect des valeurs humanistes.

Comment concilier la liberté d’expression (et celle de la presse) avec le respect des croyances et des opinions des uns et des autres ? C’est la question posée par des jeunes, des enfants même dans les écoles et par des tags sur les murs, sur des panneaux de manifestants. Une question qui taraude les enseignants, confrontés à la complexité du message ambigu « Je suis (ou je ne suis pas) Charlie » dans une partie de notre population vivant une culture qui se sent agressée.

Sur les sites d’information africains, tunisiens, sur des blogs et des réseaux sociaux, est portée cette interrogation : pourquoi nous, musulmans ou de culture musulmane, ne sommes-nous pas pris en considération par ces intellectuels blancs occidentaux qui nous imposent leur vision des droits humains, leur conception de la liberté d’expression en nous agressant sans cesse dans ce que nous avons de plus précieux, notre dignité de croyants.

Ces questions nous renvoient clairement les lacunes de notre démocratie qui s’est nourrie d’abord d’un colonialisme « civilisateur » brandissant la catholicité charitable (relisons « Tintin au Congo » qui reflète bien cette mentalité pas encore disparue) et qui, ensuite, a viré vers un néolibéralisme transformant les « civilisés » en consommateurs. Encore faut-il que ces consommateurs aient la chance insigne d’être des producteurs dans des industries, commerces et autres lieux de travail… Et qu’ils soient payés plus ou moins convenablement pour un travail décent.

On sait bien à quel point l’exclusion est grande dans nos sociétés, et plus encore dans les pays ex-colonisés et toujours exploités sans que cela ne débouche sur un quelconque développement plus égalitaire.

Pour nombre de ces populations, souvent réduites à l’état de servitude, vivant l’incertitude de la survie, l’absence de démocratie, condamnées à l’ignorance faute d’écoles et d’université, il ne reste plus que la religion pour se donner l’illusion d’une dignité.

Nombre de jeunes belges d’origine arabo-musulmane sont confrontés à l’exclusion sociale en période de crise économique et donc à l’absence d’un avenir conforme à ce que notre société promettait fallacieusement. Ils clament donc leur exigence d’être respectés pour ce qu’ils sont, pour leur culture, pour leur espoir de vivre eux-aussi le bonheur et d’être reconnus dans notre société. Et cela prime sur une valeur abstraite pour eux qu’est la liberté d’expression. Qu’elle soit une base essentielle de la démocratie ne leur apparaît pas évident à cause de l’inculture politique, de la méconnaissance de l’histoire - celle des sociétés et celle des religions - le manque de réflexion philosophique, dès l’école primaire. Et cela concerne tous les enfants, quelle que soit leur origine, dans tous les réseaux scolaires.

Cela concerne aussi leurs parents, tous les parents et les enseignants eux-mêmes qui se lamentent de n’avoir pas été formés à cela.

Tous, nous sommes devenus des proies faciles pour les endoctrineurs de tout poil, pour les propagandes politiques, religieuses et consuméristes.

Mais l’esprit critique est là et les questions de ces jeunes sont essentielles.

Ne pas respecter le prophète est, selon eux, une atteinte à leur culture et un manque de respect envers eux-mêmes. La réponse pour les démocrates, pour les enseignants, pour les citoyens est de dissocier les termes de cette équation. Apprendre à tous que l’espace de la citoyenneté est laïque - et donc respectueux de tous les humains - est aussi un  espace libre où peut s’exercer la critique, la contestation, l’expression dans les formes et dans les limites qui ont été admises démocratiquement (par des parlements) et fixées dans un cadre légal que seule la Justice en tant que pouvoir indépendant peut faire appliquer.

Cela exclut toutes les autres formes de coercition (genre justice de western par les armes à la manière étatsunienne), de limitation de la parole (comme l’accusation de blasphème qui ne concerne que des croyants ou de quelconque fatwa). Cela suppose aussi, pour les jeunes et moins jeunes, de se pencher sur l’histoire réelle de leurs religions. Ils découvriraient à quel point elles sont le fruit d’une construction humaine, au cours des siècles et que, par exemple, jamais il n’est dit dans le Coran qu’on ne puisse pas dessiner le prophète Mahomet. Les orthodoxes juifs devraient admettre ce qu’a expliqué Baruch Spinoza et qui lui a valu l’excommunication, que la Torah n’est pas la parole sacrée de dieu lui-même mais une construction humaine. Et que le révolutionnaire juif que fut Jésus n’est pas un dieu mais un être inspiré de bons principes venant des penseurs de l’humanité et singulièrement des grecs de l’antiquité. Le mixage de ces pensées a ensuite donné naissance à un système de valeurs partagé par une large majorité d’humains. C’est ce que l’on nomme la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Respecter ces valeurs dans le respect mutuel des différences et de l’égalité, c’est cela la dignité de l’humanité.

Il faudra aussi que ceux qui nous gouvernent appliquent eux-mêmes ces beaux principes. Mais alors, comment expliquer à nos jeunes qu’en tête du cortège à Paris, caracolaient les pires ennemis de la démocratie ? A commencer par le Premier ministre israélien Netanyahu, responsable du massacre de plus de 2000 civils désarmés dans la Bande de Gaza, l’été dernier et qui empêche toujours l’aide humanitaire et la reconstruction de logements pour une population qui meurt de froid, d’absence de médicaments suffisants, d’électricité, d’eau potable. Il manifestait pour des raisons électorales, pour capter les votes des juifs de France, alors que les principales victimes du terrorisme d’Etat israélien et du terrorisme des fanatiques d’Allah sont des musulmans…Et par dizaines de milliers !

Si l’on veut rétablir une cohérence entre les valeurs que nous voulons promouvoir et notre pratique politique, la première chose à faire et d’urgence serait de reconnaître l’Etat palestinien selon les résolutions des Nations unies et de traîner devant la Cour Pénale Internationale les responsables des massacres commis aussi bien en Palestine qu’en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Libye… Rétablir la justice basée sur le droit international, reconnu par tous et pas par les armes est un premier moyen d’empêcher que des terroristes agressent et tuent des juifs au nom de la cause palestinienne.

Mettre fin à des relations économiques et politiques provoquant de graves inégalités sociales chez nous et ailleurs dans le monde nécessite un retour du « politique » au sens noble du terme, de gouvernants élus démocratiquement et qui visent le bien commun, le bonheur de tous et pas la richesse de quelques uns.

L’après « Charlie », c’est ouvrir des brèches dans notre « forteresse européenne » qui se drape dans ses principes démocratique mais ne les applique pas dans le reste du monde. C’est refuser le « tout sécuritaire » qui prendrait la place du dialogue, de l’information libre, du développement solidaire des quartiers, des campagnes, ici et ailleurs. C’est parier sur l’intelligence, sur l’esprit critique, sur la connaissance. Cela s’appelle la sagesse.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.