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Billet de blog 21 novembre 2015

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L’injustice nourrit le terrorisme

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est de réflexion et d’action politique dont nous avons besoin au moment où les peuples sont bouleversés par des attentats terroristes parmi les plus meurtriers de l’histoire. Exemple par le Sahara Occidental.

Il s’agit bien de terrorisme car les attentats qui ont endeuillé Paris visent des civils, des gens attablés dans des restaurants, des amateurs de musique rock et de sport ; des gens comme vous et moi, aimant la vie, la culture et la convivialité. Nous ne sommes pas dans une situation de guerre, ni de révolte contre une oppression. Il s'agit d'actes de pure terreur.

Ce vendredi 13 novembre 2015, nous nous trouvions à Madrid, à proximité de la gare d’Atocha, lieu superbe mais aussi témoin d’un attentat, le plus meurtrier de la terrible série qui affecte divers pays européens : le 11 mars 2004, des islamistes marocains ont fait exploser plusieurs bombes dans des trains de banlieue. Près de 200 personnes ont péri et 1.400 environ ont été blessées. Le gouvernement espagnol, de droite à l’époque, attribua d’abord ce carnage à l’ETA, alors qu’il était rapidement apparu qu’il s’agissait d’Al-Quaïda et que cela visait l’engagement de l’Espagne aux côtés des Américains dans la guerre en Irak. Contre un dictateur, certes mais surtout pour se garantir en approvisionnement en pétrole. Engagement dénoncé d’ailleurs par de larges pans de la population espagnole.

Les attentats de Paris, perpétrés par des islamistes radicaux français et belges d’origine marocaine pour la plupart, inquiètent par leur extrême efficacité et violence. Ils sont le fait de combattants semble-t-il formés sur le théâtre d’action syrien de Daesh et constituent une riposte terroriste à l’engagement de la France dans la guerre en Syrie contre un autre dictateur, l’actuel président syrien et contre l’autoproclamé Etat islamique, Daesh.

Il ne s’agit donc pas d’une « guerre de religion », il ne s’agit pas de réduire ces actes à de la simple « barbarie ». Nous nous trouvons confrontés à des actions terroristes liées à un but politique qui est la conquête du pouvoir, par tous les moyens, dans une zone précise du monde. Il s’agit de l’Irak, de la Syrie qui ont été déstabilisés par des guerres entre Etats, par des guerres civiles, par les intérêts des grandes puissances pour la manne pétrolière, notamment, par les rapports conflictuels des grands blocs de superpuissances qui privilégient les dictatures qui les arrangent pour ensuite les détruire selon leurs intérêts propres et certainement pas ceux des populations, éternelles victimes de ces manœuvres géopolitiques criminelles.

D’où le profond sentiment d’injustice ressenti par ces peuples.

La dernière colonie d’Afrique

Ces événements de Paris se produisaient au moment même où se tenait la 40ème Conférence internationale de soutien au peuple sahraoui (EUCOCO). Quarante ans de combat populaire pour une décolonisation conforme au droit international, opposant deux entités politiques musulmanes. D’une part, les Sahraouis, représentés par un mouvement révolutionnaire  - le Front Polisario - qui ont créé un Etat, la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), non encore reconnu par l’ONU mais bien par l’Union Africaine. D’autre part, le Maroc, puissance occupante, une royauté théocratique (le roi est « commandeur des croyants »), où le concept de démocratie est peu appliqué et où l’inégalité sociale est grande. Cette conférence internationale (plus de 400 participants représentants 26 pays du monde) se déroulait à Espagne pour dénoncer les « accords de Madrid », conclus en 1975, non reconnus par la communauté internationale, par lesquels l’Espagne confiait au Maroc et à la Mauritanie la tutelle sur son ancienne colonie du Sahara Occidental.

Quarante ans après, les Nations Unies n’ont toujours pas réussi à mettre fin à cette colonisation illégale, meurtrière, pendant laquelle les droits humains fondamentaux des populations occupées ont été bafoués en toute impunité par le Maroc. Quarante ans de camps de réfugiés survivant grâce à l’aide de l’Algérie et de l’aide internationale.

Or, le Front Polisario, après une guerre d’indépendance qui a mis en échec l’armée marocaine, avait accepté de déposer les armes, confiant en la capacité des Nations Unies d’arriver à une solution négociée en permettant aux Sahraouis d’exercer leur droit à l’autodétermination. C’était sans compter sur l’Espagne et la France qui soutiennent inconditionnellement le Maroc qui sert bien les intérêts économiques et géostratégiques de ces deux pays. Ils bloquent sans cesse les Nations Unies empêchant même la tenue d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. Ce qui signifie qu’ils ne veulent même pas que l’on permette aux Sahraouis de choisir leur devenir : un Etat autonome, un Etat fédéré au Maroc, une région du Maroc...  

Et pendant ces longues années, l’exploitation des ressources naturelles minières, agricoles, halieutiques du Sahara Occidental, se poursuit, en toute impunité, au profit du Maroc et de plusieurs Etats européens. Années après années, les rapports les plus accablants réalisés par les Nations Unies, par l’Europe, par des grandes ONG comme Amnesty, Human Rights Watch, Oxfam ne parviennent pas ébranler les Etats complices de l’occupant marocain.

Où est l’éthique européenne et mondiale?

Il est frappant de constater que l’Union européenne, qui se drape sans cesse dans de beaux discours sur la démocratie et les valeurs universelles des droits de l’Homme, a développé une politique de coopération particulière, préférentielle, avec deux pays qui en occupent un autre : Israël emmurant la Palestine et le Maroc s’accaparant le Sahara Occidental. Deux colonisations meurtrières, permettant le pillage des ressources naturelles de ces deux peuples.

Et l’on comprend que ces injustices impunies provoquent une perte de confiance dans les institutions chargées de faire respecter la paix et la justice dans le monde. On comprend, sans l’excuser, qu’un fort sentiment de rejet parmi des franges de populations, frappées par ces injustices, se traduise en actes de violence. 

Or, les Sahraouis ont ceci d’exemplaire qu’ils ont volontairement cessé de recourir aux armes, ils utilisent les armes du droit international, de la négociation pacifique.

Le geste le plus noble que pourraient poser d’anciens colonisateurs, comme la France et l’Espagne, serait d’aider ce peuple à conquérir pacifiquement son statut d’Etat. Ils démontreraient ainsi que la justice est la meilleure réponse au terrorisme. Les Nations Unies et plus particulièrement son Conseil de sécurité doivent se réformer, afin que les peuples puissent réellement faire valoir leurs droits.

L’exemple tunisien prouve que des populations, assurées de la solidarité internationale, peuvent établir un Etat véritablement démocratique. Et que la démocratie prime sur le pouvoir des religieux. C’est donc bien de courage politique dont nous avons besoin et pas de politiques sécuritaires qui exacerbent la peur des autres. Ce sont les conflits causés par nos Etats qui provoquent le drame des réfugiés. Aux Etats de mettre fin à ces conflits et de réparer les dommages causés aux populations terrorisées. Une de ces réparations est la politique d’accueil des réfugiés, au lieu de les cantonner aux frontières de la forteresse Europe. Ce ne serait que justice. Ce ne serait qu’humanité.

Infos sur l’EUCOCO : www.eucocomadrid.org

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