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Billet de blog 23 août 2014

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Les métropoles, incubateurs de citoyenneté

Elles sont l’avenir de notre humanité de plus en plus urbaine. En s’y frottant les intelligences et les compétences, les urbains créent des solutions nouvelles en vue d’une  (dé)croissance raisonnée, solidaire, durable et citoyenne. « Le temps de la métropole » : un livre passionnant de Paul Vermeylen.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elles sont l’avenir de notre humanité de plus en plus urbaine. En s’y frottant les intelligences et les compétences, les urbains créent des solutions nouvelles en vue d’une  (dé)croissance raisonnée, solidaire, durable et citoyenne. « Le temps de la métropole » : un livre passionnant de Paul Vermeylen.

Architecte-urbaniste et expert en management public, Paul Vermeylen connaît bien les villes européennes mais aussi les capacités des habitants à innover, à recréer des solidarités et des formes de citoyenneté modernes. Il a été pendant 11 ans secrétaire-général d’Inter-Environnement Bruxelles, véritable chaudron démocratique où ont été mijotées les réflexions les plus en pointe sur l’avenir de la ville, de ses quartiers et de ses habitants.

Au moment où les Etats perdent leur pouvoir politique et économique à cause de la politique néolibérale européenne, les villes importantes, les régions reprennent le flambeau des ligues et alliances qui existaient déjà au moyen-âge. Alliances économiques, échanges d’expériences, complémentarités, réseaux de savoirs, partage de compétences : Paul Vermeylen détaille les parcours d’une trentaine de villes, métropoles par leurs tailles ou par leurs alliances et qui démontrent qu’un redéploiement économique créateur d’emplois et durable est possible en dehors des schémas imposés par les responsables politiques nationaux et européens.

La métropole doit être agile, créative, solidaire et durable, explique l’auteur.

 « Agile » car elle doit dynamiser les coopérations entre les territoires. On dépasse l’image d’une métropole liée au nombre de ses habitants en observant comment une ou plusieurs villes créent la métropole en coopérant à divers niveaux. Une possibilité nouvelle grâce aux moyens de transport des personnes, des biens et de l’information. Exemple : Bruxelles (1,1 million d’habitants) qui, limitée politiquement aux 19 communes forme une région bien étriquée ne correspondant pas à son bassin socioéconomique réel (3 millions). Heureusement, la loi de 2012 crée la « communauté métropolitaine de Bruxelles » chargée de dialoguer avec une centaine de communes situées tant en Flandre qu’en Wallonie afin de dynamiser le bassin d’emplois que cela représente grâce aux industries et aux moyens de transports dont le très attendu RER (Réseau express régional). Une dynamique possible grâce à l’agilité des gestionnaires politiques régionaux qui apprennent à coopérer avec une métropole-région et les pouvoirs communaux.

Le livre détaille entre autre la coopération transfrontalière et bi-régionale d’Oresund entre la Suède et le Danemark ainsi que la Randstad hollandaise liant Rotterdam, Amsterdam, La Haye, Utrecht et d’autres petites villes formant ainsi un « cœur vert » de 7,5 millions d’habitants. Un tel mouvement se dessine à Marseille et la création de l’Institut pour la Méditerranée qui offre un instrument d’analyse et de montage de projets sur la grande région euro-méditerranéenne.

Une grande part de ce chapitre est consacrée à France où débute seulement le mouvement de simplification territoriale. Et cette interrogation : les nouvelles instances parviendront-elles à dialoguer entre elles ? Une caractéristique commune à ces expériences : la collaboration entre secteurs public et privé pour arriver à des partenariats efficaces mais toujours dans le cadre d’une démocratie formelle exercée par les institutions élues.

« Créative » ? Face au mirage de la croissance à tout prix et forcément inégalitaire, les métropoles sentent mieux que les pouvoirs nationaux et internationaux les besoins des populations. Elles peuvent valoriser les richesses propres et les compétences mais dans un esprit de solidarité et dans le but de répondre aux besoins de proximité. C’est donc une démarche en « rhizome fertilisant et incluant » qui permet de mobiliser les talents et les inclure dans un chaînage de compétences et dans le cadre d’une économie innovante.

Exemple, Bordeaux qui a consolidé les grappes d’entreprises et facilité ainsi leurs initiatives dans quatre secteurs : le tourisme coordonnant des projets créateurs d’emplois, le commerce à travers une charte de l’urbanisme favorisant les complémentarités entre entreprises commerciales, le soutien à l’agriculture périurbaine et aux filières courtes et enfin, les services à la personne et l’artisanat stimulés par des projets de type coopératifs.

Bien entendu, le livre propose d’autres exemples de métropoles et communautés de villes innovantes aussi bien au point de vue social qu’économique. Ainsi, l’économie sociale et solidaire (ESS) est un secteur en pleine expansion dans nos pays européens, aidée notamment par le programme européen URBACT. Et la Wallonie n’est pas en reste, elle qui a été élue « district créatif » en 2013 par la Commission européenne et qui met la créativité au cœur de son dispositif de soutien aux entrepreneurs et porteurs de projets (principalement des PME et TPE).

A ce chapitre, s’ajoute une amusante réflexion sur les termes de « sérendipité » (l’exploitation créative de l’imprévu ou du fortuit), « happenstance » (le hasard d’être au bon endroit au bon moment), « bricolabilité » ou « innovation collaborative ». Termes eux-aussi illustrés par des exemples bien concrets. Fascinant de découvrir l’ingéniosité humaine dans l’amélioration plutôt que dans la destruction de la société!

« Solidaire » car seule une prospérité partagée peut faire grandir l’humain dans les métropoles. Il s’agit en effet de « solidarités chaudes » aux effets immédiats sur les besoins des populations (à distinguer de la solidarité nationale de type politique d’aide aux chômeurs, par exemple.) Comment les métropoles peuvent-elles donner aux individus les moyens de s’épanouir, de devenir autonomes ? Exemple à Rome, celui de la « Citta dell’altra economia » dans un quartier déshérité de Rome et qui, par l’action concertée entre la municipalité et une cinquantaine d’associations actives dans l’économie alternative a mis sur pied, dans un bâtiment entièrement rénové selon les principes de l’architecture durable, un forum permanent de l’économie alternative. Cette réalisation va même s’élargir à une « Cité des Arts ». Ainsi, tout un quartier (et ses habitants solidaires du projet) a repris place dans l’économie urbaine.

D’autres exemples démontrent que des métropoles peuvent efficacement accompagner des personnes et des groupes dans la recherche d’emplois, dans l’adéquation des formations et des demandes des employeurs, dans la prévention en matière de santé et d’accompagnement de la vieillesse, dans la sécurité de proximité, dans la revitalisation urbaine, etc.

« Durable », enfin : car il est évident que nous assistons à la fin d’un modèle ultralibéral et intenable au plan écologique tout en étant meurtrier au niveau social. Par bonheur, ils sont nombreux les exemples de développement de métropoles permettant de sauver des espaces verts que l’on consacre à l’agriculture, en plus des parcs et jardins d’agrément. L’urbanisation bien conçue peut multiplier les logements tout en ménageant la nature. Mais pour cela, il faut que les pouvoirs régionaux édictent des règles strictes. Un exemple est celui de Besançon en France où la communauté d’agglomération favorise l’agriculture urbaine afin d’enrayer l’étalement urbain. Avec comme conséquence des marchés alimentaires de produits locaux, un guide des produits de proximité, un abonnement à des paniers de produits frais fournis par des maraîchers des environs ; d’autres villes restaurent le lien social que constituent les parcs et zones de promenade ; d’autres promeuvent les transports publics pour enrayer l’invasion automobile privée.

Mais il faut aussi maîtriser l’immobilier et notamment accroître le nombre de logements sociaux. Bruxelles montre l’exemple intéressant du recyclage des immeubles de bureaux en logements. Quant aux immeubles modernes, ils doivent être conçus pour évoluer d’affectation dans le temps. On assiste en outre à des formules diverses de partage de logements, de logements kangourou ou intergénérationnels. Quant à la copropriété, elle est amenée à évoluer en usages mixtes accueillant des services collectifs tels les vélos collectifs, les chambres d’amis cogérées. Se développe aussi la notion d’habitat solidaire ou communautaire et l’on retrouve ainsi l’inspiration de nos béguinages moyenâgeux.

L’innovation est au rendez-vous du durable. De nouvelles ressources économiques aussi grâce à l’industrie du recyclage des déchets. Exemple dans la banlieue d’Anvers où le leader mondial du zinc Umicore a développé dans l’ancien site industriel d’Hoboken une reconversion des déchets non-organiques de la région. Résultat : sur 35.000 tonnes de déchets électroniques, on retire 100 tonnes d’or, 25 tonnes de platine, 30.000 tonnes de cuivre par an !

Le chapitre « durable » de ce livre est sans conteste le plus enthousiasmant pour les citoyens car il regorge de réalisations applicables un peu partout, pour autant que les habitants des métropoles, creuset de l’avenir, participent avec leurs élus à forger un futur autre, solidaire, de partage éclairé des biens communs, de créativité culturelle, sociale, économique. C’est possible : les preuves existent et ce livre nous le prouve.   

  • Le temps de la métropole, de Paul Vermeylen, Editions L’Harmattan, coll. Questions contemporaines, série Questions urbaines. 2014. 286 p. www.harmattan.fr

Un débat à Bruxelles

Le jeudi 18 septembre à 18 h 30 j'animerai un débat entre Paul Vermeylen et Christian Lasserre, enseignant à Saint-Louis (Économie du projet, Économie du Patrimoine, Fonctions urbaines, Urbanisme opérationnel, Executive Master en Immobilier) et chercheur. Il anime le bureau d’études C.L.I. spécialisé dans le montage d’opérations d’urbanisme et d’immobilier, et a participé à ce titre à des opérations comme les dix premiers Contrats de Quartiers à Bruxelles, les partenariats public-privé de logements en Région Wallonne, les études d’incidences économiques du site de Tour et Taxis et du schéma directeur Reyers et la transformation de bureaux en écoles et en logements. 

  • Librairie Tropismes, Galerie des Princes 11, 1000 Bruxelles, tél 02 512 88 52, info@tropismes.com: réservation obligatoire.

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