Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime d’incitation au génocide : les conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine doivent inciter les plus hautes autorités mondiales à remettre Israël dans la voie du droit et non de la vengeance.
Quand se taisent les autorités étatiques et internationales sur les massacres qui ont été perpétrés à Gaza, frappant une population civile, désarmée et emprisonnée, alors s’élèvent les voix de l’opinion publique. Après les manifestations qui ont eu lieu un peu partout dans le monde, en juillet et en août alors que Gaza mourait sous les bombardements massifs de l’armée israélienne, devant le silence des plus hautes instances politiques, des personnalités respectées pour leur engagement démocratique, moral et philosophique se sont réunies le 24 septembre 2014 à Bruxelles pour une session extraordinaire du Tribunal Russell sur la Palestine.
Devant plus de 500 personnes, le jury (1) a entendu les témoignages bouleversants de médecins, journalistes, juristes, experts en droit international et en stratégie militaire de diverses nationalités dont des Israéliens qui ont bravé la persécution qu’endurent les militants de la paix dans ce pays.
Les preuves sont accablantes : le gouvernement israélien, soutenu par une grande partie de son opinion publique, a lancé des opérations militaires de grande intensité contre une population de 1,8 million d’habitants dont 60% a moins de 18 ans, vivant dans des camps de réfugiés, une ville et des villages sur une bande de terre de 41 km de long et de 6 à 12 km de large. Cette population est emprisonnée entre une mer inaccessible à cause de la marine israélienne, une frontière avec Israël entièrement bouclée et un accès à l’Egypte quasi fermé.
En 50 jours de conflit, 700 tonnes de bombes ont été déversées sur ce minuscule territoire à très haute densité de population. Soit, deux tonnes par km2. 2.188 Palestiniens sont morts, 11.231 blessés, 18.000 habitations ont été détruites, 110.000 personnes ont été déplacées. Pour que leurs souffrances s’aggravent, huit hôpitaux et centres médicaux ont été détruits, 17 hôpitaux ont été sévèrement endommagés ce qui a provoqué la fermeture de six d’entre eux. Pire : la population est privée d’eau potable et d’électricité à cause de la destruction des installations d’approvisionnement en eau et de la seule centrale électrique de la région. Cela empêche aussi les soins aux blessés et aux personnes déplacées. De nombreuses attaques ont visé des établissements scolaires y compris des Nations Unies où s’abritaient des réfugiés. D’autres ont rasé 128 entreprises aussi innocentes d’intentions militaires qu’une fabrique de bonbons et biscuits, une menuiserie, une ferme où tout le bétail a été abattu privant la population de lait… « Mes vaches ne votent pas Hamas !», pleure ce fermier. Toute la zone agricole a été frappée de bombes polluant les sols et transformant la terre en poussière aride. C’est le seul endroit où les tomates produites localement sont deux fois plus chères que des pommes importées d’Israël… car elles sont taxées par l’occupant.
Récits, photos, statistiques étaient hallucinants et démontraient à quel point une puissance occupante a enfreint les règles les plus élémentaires du droit international, du droit et des conventions règlementant les conflits armés et l’assistance humanitaire à une population en danger.
Le caractère systématique du pilonnage et du massacre est évident : femmes, enfants, vieillards ciblés sans réserve ; enfants, jeunes gens, imams utilisés comme boucliers humains par les soldats israéliens qui tiraient sur tout ce qui bougeait, y compris sur des jeunes désarmés qui cherchaient leurs parents dans les décombres.
Tout cela a été filmé, raconté en détails avec preuves par des Palestiniens, des étrangers travaillant sur place mais aussi par des Israéliens qui ont enquêté auprès des soldats. On a vu comment l’armée israélienne a appliqué la « doctrine Dahiya » qui préconise l’usage disproportionné de la force pour punir une population civile collectivement des actes de groupes de résistants et de leaders politiques.
Or, aucune preuve n’a été apportée que des missiles palestiniens aient été tirés à partir d’hôpitaux ou d’écoles. Et même si cela avait été le cas, le droit de la guerre interdit une telle punition de civils. Et quelle punition ! L’armée a utilisé des armes infligeant encore plus de souffrances aux victimes, telles que les bombes à fléchettes, les munitions thermobariques (qui rasent et brûlent les sols) et à uranium appauvri.
L’armée a aussi appliqué la « doctrine Hannibal » à savoir la destruction d’une zone entière afin de prévenir la capture de soldats israéliens ainsi que la politique de la « ligne rouge », une ligne invisible tracée par l’occupant, que lui seul connaît et qui délimite la zone que nul ne peut franchir sans être immédiatement abattu.
Plus que de crimes de guerre, il s’agit là de crimes contre l’humanité, a constaté le jury du TRP qui a reconnu comme tels les crimes de meurtre, de persécution et d’extermination. La question de l’intention génocidaire a été posée, vu le caractère systématique des bombardements provoquant une extermination d’une partie de la population et la destruction des infrastructures vitales pour cette population privée de possibilités de fuite.
Le tribunal a vu les nombreuses déclarations racistes et d’incitation à la violence émises depuis des années et avec une haine croissante par des rabbins, des leaders politiques, des médias, des officiers de police, des fans de foot et autres manifestants israéliens. Déclarations largement répercutées et toujours impunies. Citons notamment la parlementaire Ayelet Shaked en juillet 2014 qui définit «le peuple palestinien tout entier comme ennemi » et appelant à la destruction « de ses vieux, de ses femmes, de ses villes et villages, ses propriétés et ses infrastructures », insistant sur le fait que les « mères des terroristes doivent être détruites ainsi que les maisons dans lesquelles elles élèvent leurs serpents ». Une autre citation brandie lors de manifestations en Israël: « Hitler avait raison. Il s’est seulement trompé de peuple ».
Ce climat général de haine et d’appel à l’extermination, entretenu par les autorités israéliennes, permet au tribunal de conclure au crime d’incitation au génocide. De plus, « l’effet cumulatif du régime prolongé de punition collective à Gaza semble transformer les conditions de vie en vue d’entraîner la destruction graduelle des Palestiniens en tant que groupe à Gaza ». Le jury ajoute : « Nous avons sincèrement peur que dans un environnement d’impunité et d’absence de sanctions pour des crimes graves et répétés, les leçons du Rwanda et d’autres atrocités de masse restent lettre morte ».
Un appel vibrant a été lancé à l’Union européenne, aux Nations Unies pour obliger Israël à respecter le droit international, à réparer ses crimes, à mettre fin au blocus de Gaza. Les moyens ne manquent pas : aider la Palestine à accéder au tribunal pénal international, suspendre l’accord d’association Europe-Israël, mettre fin immédiatement aux programmes de recherche et aux accords commerciaux concernant l’armement israélien, etc. (2)
Les citoyens, eux, n’ont pas attendu : le mouvement de boycott contre Israël s’étend, touchant tous les secteurs, y compris culturels. La présence de Roger Waters parmi les membres du jury et son engagement dans le boycott culturel en est la preuve. Un symbole de plus que la culture peut triompher de la barbarie lorsqu’elle sert les idéaux les plus nobles de paix et de solidarité dans le monde.
(1) John Dugard, Miguel Angel Estrella, Christiane Hessel, Richard Falk, Ronnie Kasrils, Paul Laverty, Ken Loach, Michael Mansfield, Radhia Nasraoui, Vandana Shiva, Ahdaf Soueif, Roger Waters.
(2) Témoignages, prises de parole du jury et conclusions sont accessibles sur le site www.tribunalrussellonpalestine.com