Etonnant cet engouement pour « notre bon pape François ». Et cela devant une assemblée qui devrait proclamer la séparation de l’Eglise et de l’Etat afin de créer l’espace commun au débat démocratique et libre. Heureusement, il y avait Mélenchon !
Les parlementaire européens étaient réunis à Strasbourg (ah, cette irritante question d’un seul siège du parlement ce qui éviterait des navettes et des dépenses inutiles, mais les économies s’effacent devant la politique, n’est-ce pas ?) ce mardi 25 novembre 2014 pour entendre un invité de marque. Le pape François, chef d’un Etat qui n’est pas membre de l’Union européenne mais qui frappe tout de même des euros, et qui défend les intérêts non pas de citoyens mais des fidèles d’une multinationale spirituelle qu’est l’église catholique.
Point de débat donc, comme cela serait normal dans une assemblée de parlementaires, mais l’écoute attentive, comme à la messe, d’un sermon magistral. Tout cela pour s’entendre dire que l’Europe est à côté de la plaque de sa mission, qu’elle n’est plus le centre du monde et qu’elle doit remettre en valeur la « dignité transcendante » de l’homme et la centralité de la personne humaine dans le domaine de la famille (ce qui fit bien plaisir à la droite et à l’extrême-droite), dans les « institutions éducatives, écoles et universités », l’écologie, le travail ce qui fit bien plaisir aux rouges et aux verts…
En réalité, le pape ne faisait que rappeler ce qui est inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (il y a 14 ans déjà) :
« Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l'Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l'Etat de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l'Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice.
L'Union contribue à la préservation et au développement de ces valeurs communes dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples de l'Europe, ainsi que de l'identité nationale des Etats membres et de l'organisation de leurs pouvoirs publics au niveau national, régional et local; elle cherche à promouvoir un développement équilibré et durable et assure la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement. »
Signalons que cette charte comporte, dans son préambule, une référence à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, traité international entré en vigueur en 1953 et signé par les Etats membres du Conseil de l’Europe, soit les membres de l’Union européenne plus la Turquie, la Russie, la Suisse (on peut juger, au vu de l’actualité récente, à quel point certains Etats se fichent totalement de certains titres de cette convention…).
Devinez quel Etat membre de l’UE n’a pas ratifié complètement la Charte ? La très catholique Pologne, enfant chérie du précédent pape Jean Paul II, ce croisé du catholicisme triomphant. Cette Pologne qui a été condamnée en 2014 pour avoir collaboré avec la CIA à l’emprisonnement et à la torture d’un Palestinien et d’un Saoudien présumés terroristes. (1)
N’est-ce pas ce même pape polonais qui avait remis à l’ordre les théologiens de la libération œuvrant dans divers pays d’Amérique latine à la justice sociale, assimilée à un combat communiste par la hiérarchie catholique ? Et qui était un personnage important mais discret dans la hiérarchie catholique en Argentine au temps d’une dictature d’extrême-droite féroce : le provincial des jésuites Bergoglio, futur pape François.
Mais bon, ce ne sont que des amalgames malveillants…
Tout cela pour dire que ce message qualifié de progressiste et d’altermondialiste du pape François doit être entendu avec l’esprit critique nécessaire car venant d’une Eglise catholique qui tente désespérément de sauvegarder ses parts du marché mondial de la spiritualité, en mettant d’abord de l’ordre et de la transparence dans son propre fonctionnement, financier notamment, mais aussi en travaillant remarquablement ses relations publiques.
Le message est modernisé mais reste fondamentalement le même, à savoir cadré par des dogmes, par le principe de charité et pas de justice sociale, par le principe de la loi naturelle opposée à la bioéthique contemporaine, par la non égalité entre hommes et femmes, notamment.
Heureusement, il y avait Mélenchon ! Député européen, il s’est exprimé sur son blog pour condamner cette entorse au principe de laïcité : «Monsieur le pape, votre place à la tribune du Parlement ne peut s'accepter dans le cadre d'une session officielle de notre assemblée.» «Cette impossibilité résulte de notre définition républicaine d'une assemblée de députés du peuple souverain. Vous avez la sagesse et la culture qui auraient dû vous permettre de prévoir que nombre d'entre nous seraient humiliés par un tel manquement aux règles de la laïcité indispensable d'un Parlement européen lorsqu'il inclut notamment des Français dont la loi interdit ce genre de confusion». «J'aurais préféré que vous y soyez venu faire une messe dans la sublime cathédrale de Strasbourg, ce qui est dans vos devoirs, plutôt qu'un discours à notre tribune humaine, ce qui contrarie les nôtres.»
Jean-Luc Mélenchon souligne avoir «entendu avec faveur votre franche critique de la domination de la société par l'argent», il se dit aussi «blessé» «par certaines options négatives» prises par le pape. «Je pense à ce que vous faites contre le droit à l'avortement, l'usage des contraceptifs et, dans un autre domaine, le droit de choisir “d'éteindre la lumière” de sa vie, aidé d'une main qui en soulage l'acte. Ou ce que vous faites contre le droit au mariage civil des personnes de même sexe.» (2)
Le nouveau souffle européen ne peut venir d’une quelconque autorité spirituelle non démocratique, ni du Dalaï Lama, ni de papes catholiques ou orthodoxes, ni du chef de l’église anglicane… A quand une invitation à la reine d’Angleterre ?
Le nouveau souffle se trouve dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C'est le seul espace de liberté où tous peuvent se retrouver, quelle que soient les convictions des uns et des autres.
Mais peut-être certains dirigeants, comme certains parlementaires n’ont-ils jamais lu ces textes ? Plutôt que de se réjouir de la venue du pape pour dire la même chose que les textes fondateurs de l’Europe, le président du Parlement européen, le socialiste Martin Schulz, aurait pu simplement les rappeler à la mémoire des nouveaux parlementaires, car ces textes constituent l’âme de l’Europe, sa mission, son espoir et sa lumière dans le monde.
(1) Voir cette édifiante affaire sur le site : http://europe-liberte-securite-justice.org/2014/07/27/prisons-et-vols-secrets-de-la-cia-la-pologne-condamnee-par-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-cedh-la-justice-europeenne-est-passee/
(2) Lire : http://www.jean-luc-melenchon.fr/2014/11/24/lettre-ouverte-a-monsieur-le-pape/