Extrait des page 25 et suivantes du livre de Eric Vuillard, « L’ordre du jour », prix Goncourt 2017 – Actes sud.
Réunion du 20 février 1933 – Palais du président du Reichstag
Sont réunis par Goering pour rencontrer Hitler 24 représentants des principales firmes de l’industrie allemande.
« Goering fit donc son tour de table, avec un mot pour chacun, saisissant chaque main d’une pogne débonnaire. Mais le président du reichstag n’est pas venu seulement les accueillir, il ronronne quelques mots de bienvenue et évoque aussitôt les élections à venir, celles du 5 mars. Les 24 l’écoutent attentivement. La campagne électorale qui s’annonce est déterminante, déclare le président du Reichstag, il faut en finir avec l’instabilité du régime ; l’activité économique demande du calme et de la fermeté. Les vingt-quatre messieurs hochent religieusement la tête […] Et si le parti nazi obtient la majorité, ajoute Goering, ces élections seront les dernières pour les dix prochaines années ; et même -ajoute-t-il dans un rire -pour cent ans. Un mouvement d’approbation parcourut la travée.
[…]Hitler était souriant […] […] Ils écoutèrent. Le fond du propos se résumait à ceci : il fallait en finir avec un régime faible, éloigner la menace communiste, supprimer les syndicats et permettre à chaque patron d’être un Führer dans son entreprise
[…] Gustav Krupp se leva, fit un pas en avant et, au nom de tous les invités présents, il remercia le nouveau chancelier d’avoir enfin clarifié la situation politique. Une fois que celui-ci se fut retiré, Goering reprit la parole et évoqua de nouveau les élections du cinq mars. C’était là une occasion unique de sortir de l’impasse où l’on se trouvait. Mais pour faire campagne il fallait de l’argent ; or le parti nazi n’avait plus un sou vaillant.
[…] Ces hommes étaient coutumiers des pots-de-vin et des dessous de table. La corruption est un poste incompressible du budget des grandes entreprises, cela porte plusieurs noms, lobbying, étrennes, financement des partis. La majorité des invités verseront donc aussitôt quelques centaines de milliers de marks, Gustav Krupp fit don d’un million … et l’on récolta ainsi une somme rondelette
[…] Ainsi les vingt-quatre s’appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken, Hoeschst. Sous ces noms nous les connaissons …
N.B. : Cet ouvrage n’a fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire pour diffamation de la part des firmes citées.