Réflexion comportementale
Nous lisons de nombreuses explications et analyses au sujet de la crise économique en cours. Toutes portent soit sur les mécanismes, les remèdes, les politiques, le rôle des états et des institutions internationales.
Reste une interrogation peu traitée : Les hommes et femmes du monde de la finance sont-ils disposés à en tirer les conséquences qui les concernent et à infléchir leurs comportements ? Nos gouvernants peuvent-ils et veulent-ils les y inciter ? Peu d'indicateurs tendent, hélas, vers l'affirmative.
Une interrogation fondamentale : les acteurs individuels et leurs ressorts
La levée de cette incertitude reste d’importance puisque les réorientations nécessaires dépendent bien pour une bonne part de la capacité d’apprentissage du monde de la finance et de sa volonté d’agir en conséquence.
C’est à cette question que je souhaite apporter ma contribution hors du champ largement défriché de la rationalité économique (si elle existe vraiment).
Pourquoi il est fondamental de connaître la caste
Il est bien connu mais trop tu que du choix des individus de la finance dépend largement la suite de la crise : ils détiennent une compétence financière réelle, largement mondialisée, avec le réseau relationnel assorti. Ils détiennent directement et indirectement, dans leur propre patrimoine ou dans le patrimoine des institutions qu’ils dirigent, une partie des capitaux nécessaires ainsi que le pouvoir assorti. Ils détiennent un large pouvoir complémentaire par la délégation qui leur a été faite par les détenteurs du capital en leur en confiant la gestion. Ils détiennent enfin un fort pouvoir d’influence sur une partie de plus en plus importante des dirigeants politiques qui comptent sur la scène internationale. Il n’est que de lire le parcours des dirigeants européens. depuis peu ils sont les seuls créanciers autorisés des états. C'est dire qu'ils ont l'essentiel du pouvoir politique. Ils y placent d'ailleurs leurs mercenaires aux endroit-clefs. Ils servent enfin de modèle à nombre de nos jeunes gens depuis, l’avènement du modèle de l’entreprise financiarisée incarnée par quelques dirigeants clinquants. Je vais ici traiter des ressorts proprement individuels qui pourraient infléchir leur action.
Pour anticiper : ce qui anime individuellement et collectivement les individus et particulièrement ici, ceux du monde de la finance et leurs zélateurs
J’appliquerai plusieurs grilles d’analyse à cette réflexion. Les spécialistes de la motivation reconnaîtront aisément, pour les avoir pratiquées dans des missions de diagnostic et de conseil, notamment en matière de gestion de ressources humaines et de gestion des conflits. Les gens du marketing commercial et politique s’y reconnaîtront aussi.
On traitera dans un premier temps des valeurs, normes, principes qui pourraient induire des inflexions de comportement chez les individus aux fonctions de direction dans le monde de la finance et chez leurs lieutenants, admirateurs et zélateurs.
On abordera ensuite certains des ressorts plus primaires individuels et collectifs qui pourraient interférer à des degrés divers dans l’orientation de leurs actes, disons, professionnels, en tout cas les actes entrant dans le champ de notre réflexion.
Ces deux corps de motivations sont insuffisants à eux seuls, mais nécessaires pour que les leçons d’un échec portent à modifier librement et volontairement l’action d’un individu quelconque.
Or ces gens ne sont pas quelconques. Ils détiennent l’essentiel du pouvoir réel. Ils valent qu’on s’y penche. Allons.
Des normes et valeurs
Pour qu’un individu adapte ses comportements à des causes communes allant au-delà de son groupe d’appartenance restreint, on considère classiquement qu’il faut qu’il soit « pétri » de trois types de normes principales : des normes de responsabilité sociales, des normes de réciprocité et des normes de responsabilité personnelle.
Les normes de responsabilité sociale
Les normes de responsabilité sociales pousseraient ceux qui y sont sensibles à se porter à l’aide de ceux qui en ont besoin, sans idée de retour à court ou à moyen terme.
Robin des bois serait l’exemple d’un individu porteur de normes de responsabilités sociales : Au prix d’une vie d’inconfort dans la forêt, il prend des risques personnels. Il sait que les faibles qu’il protège n’ont pas les moyens matériels de lui renvoyer l’ascenseur. Il sait qu’ils ne le porteront pas au pouvoir puisqu’ils combattent ensemble pour le retour sur le trône du roi prisonnier, incarnation du bien commun.
Nous sommes contraints d’admettre que ce principe de responsabilité sociale est mis en cause dans le groupe que nous observons. C’est dû d’abord à la prééminence prise par l’idéologie anglo-saxonne d’origine réformée de la responsabilité de chacun en matière de devenir individuel.
C’est dû encore à une forme de réalisme ou de cynisme, comme on voudra, plus propre aux oligarques russes ou dirigeants « communistes » en Chine ou enfin militaires et affidés en Amérique latine et en Afrique. Tous pays riches en productions exportables mais pauvres en redistribution pour cause d’accaparement.
Tous dirigeants qu’il convient de ne pas contredire pour ne pas perdre de marchés parce qu’ils financent les déficits de l’économie occidentale et assurent les approvisionnements énergétiques. Ces mêmes dirigeants constituent en outre une part important de la clientèle des hedge-funds et autres fonds de leverage buy out ainsi que de paradis fiscaux. Ils n’y sont pas porteurs d’une idéologie de la responsabilité sociale. Ces mêmes orientent plus ou moins violemment les moyens d’information et de formation des esprits pour faire approuver leur conduite et faire taire les désaccords. Enfin, ils ont l’art de compromettre puis tenir à merci tel ou tel dirigeant politique ou chef d’état qu’ils auront corrompu …
Il se trouve enfin que le discours dominant depuis deux décennies tend à faire croire que la somme des intérêts individuels ainsi constituée aura force d’entraînement bénéfique sur le reste de l’économie. Ceci constituait un élément de doctrine libérale opportun pour apaiser les scrupules pouvant subsister chez certains. Il est presque grossier d’aborder ces questions dans ces milieux.
En effet, dire à une relation personnelle que son activité est nuisible est impossible sauf à déclencher la remise en cause personnelle de tous et partant, d’être exclu comme traitre au groupe.
Quelques clubs apaisent leur malaise "éthique" à coups d’opérations caritatives et se dédouanent auprès de l’opinion en portant sur le pavois tel ou tel de leur champion du charitable. Cela fait d’ailleurs désormais partie des outils de marketing qui s’enseignent dans les grandes écoles de l’élite et se pratique dans les grands groupes financiers. (Fonds écologiques, fonds éthiques, fondations diverses…) On sait le peu de développement réel de ces placébos.
Il y a en somme peu à attendre du poids des normes de responsabilité sociale pour faire en sorte qu’elles conduisent à infléchir leurs comportements ceux qui ont fortement contribué à la crise actuelle, leurs obligés et zélateurs compris.
Les normes de réciprocité
Les normes de réciprocité conduisent pour leur part à faire le bien à ceux qui nous ont aidés, voire à prendre les devants en raison d’une perception philanthropique des relations entre les hommes. L’espoir d’un retour, le besoin venu, n’étant pas exclu, au contraire. Les normes de réciprocité ont été principalement théorisées à l’époque des lumières : « nous devons tous accepter des limitations minimes à notre liberté car c’est le gage de la préservation des libertés essentielles de chacun ».
C’est la démocratie, plus d’égalité, l’information libre, c’est la loi, c’est la séparation des pouvoirs, l’impôt librement consenti, la solidarité obligatoire, et plus tard des obligations redistributives des richesses (fordisme, new deal), etc.… On trouve des exemples dans le « Lafayette nous voilà » de Stanton ou Pershing. Dans une aire plus limitée, c’est la solidarité familiale ou de clan. C’est aussi le Parrain mafieux réclamant le retour de service à celui pour lequel il est intervenu. C’était encore l’obligation de protection moyenâgeuse, imposée au suzerain en échange des impôts et servitudes de ses vassaux et sujets.
Pour qu’il y ait effet des normes de réciprocité, il faut qu’il y ait échange, au moins potentiel et à échéance pas trop éloignée. Il faut aussi un arbitre de l’équité de l’échange afin qu’il soit équilibré.
Or, si un chien peut espérer raisonnablement de son maître sa pitance quotidienne en échange réciproque de sa fidélité, son maître sera d’autant moins enclin à le nourrir que le chien lui apportera moins de satisfactions et sera cause de plus de contraintes.
Or si les décisions politiques sont biaisées par une caste à son profit, les termes de l’échange deviennent iniques comme aujourd’hui.
C’est pourquoi la norme de réciprocité joue à plein entre égaux qui peuvent échanger des services de valeur équivalente. Lorsqu’ils défendent des valeurs et des centres d’intérêts communs. Lorsqu’ils renforcent la confiance en soi et en les autres en s’entre-renvoyant une image de soi valorisante voire même en luttant contre des ennemis communs.
C’est pourquoi tous les groupes sociaux et notamment celui que nous décrivons tendent à répugner rendre service à ceux dont ils pensent qu’ils ne leur renverront rien en échange de satisfaisant sinon des contraintes dont notamment l’état et ceux qui en dépendent.
On distinguera ici d’ailleurs le monde de la finance qui n’est pas demandeur d’interventions publiques, bien au contraire pour l’essentiel, du monde de l’économie dite réelle (industrie, services, agriculture) Ce dernier recherche auprès de l’état un partenaire et un arbitre définissant des règles du jeu permettant l’investissement productif à long terme : réseaux de transport, main d’œuvre compétente, protection de la propriété, sécurité, état de droit (cf.: JK Galbraith in « Le nouvel état industriel ».
Les premiers vivent l’état et les demandes des plus défavorisés comme des entraves à la liberté, ressentent peu le besoin d’équipements publics pour fonctionner et se sont assurés de former eux-mêmes la chevalerie (ou les mercenaires, comme on voudra) dont ils ont besoin à travers les établissements d’enseignement prestigieux qu’ils maîtrisent.
S’ajoute à cette tendance un fond de culture familiale alimentée par la peur légitime du bolchevisme, de la foule, des remises en cause de l’autorité (dont 1968), des pauvres (cf. les refus d’application de la loi SRU). Car cette caste pratique la consanguinité, comme les Capulet et Montaigut.
Dès lors on encourage en auto justification des théories niant l’utilité de la solidarité. Par ailleurs, quitte à rendre service, autant le faire de manière productive et avec plaisir entre gens de bonne compagnie. Le carnet d’adresse constitué pendant les rallyes et les études sert d’abord à cela. C’est légitime. Mais c’est légitime d’un point de vue microéconomique. A l’échelle macroéconomique cela contribue notablement à la catastrophe que nous connaissons aujourd’hui en matière financière (voir plus haut) mais aussi dans l’économie réelle.
On voit donc que s’il y a bien effet des normes et valeurs de réciprocité,
elles vont jouer principalement au sein d’un groupe restreint et à son profit principal.
Il y a peu à attendre donc des normes de réciprocité
en tant que motivation à infléchir les comportements du microcosme que nous décrivons.
Les ingénieurs ont été les derniers porteurs de ces valeurs. Eux qui géraient le long terme dans l’économie réelle, ont désormais été mis à l’écart du pouvoir ou ont été séduits puis phagocytés par les financiers.
Quant aux dirigeants de PME, tenus qu'ils sont par leur banquier et par leur aspiration à accéder à un statut social du même ordre, ils n'ont que rarement été en mesure de voir qui de la CGT ou du monde de la finance leur était le plus nuisible. Pourtant …
Les normes de responsabilité personnelles
Les normes de responsabilité personnelle conduisent à la reconnaissance du besoin des autres, et à s’en sentir responsable ainsi que du devenir de la communauté et enfin l’acceptation active de sa responsabilité. Nous n’y insisterons pas.
Assurément certains de ceux dont nous traitons sont mus par ce type de norme. Mais le groupe d’appartenance s’efforcera de les faire rentrer dans le rang, d’abord par la solidarité, puis par le maquillage, puis par la contrainte. Voyons :
Nous avons eu un admirable exemple du jeu de la solidarité préférentielle dans l’affaire des subprimes. On a renfloué les banques et établissement qui avaient couverts des prêts à des familles, pas les familles endettée. On avait précédemment maquillé en diluant la responsabilité pour repasser le mistigri au voisin et surtout à des investisseurs particuliers in fine via la titrisation, forme de contrainte machiavélique par la tromperie.
Peu de voix se sont élevées pour traiter le mal à la base en garantissant les emprunts des familles. Cela aurait pourtant été moins coûteux, plus rapide et aurait traité des incertitudes sur la localisation des créances douteuses, outre la dimension sociale positive concernant les familles et partant la confiance globale.
Mais elles ne font pas partie du clan dont nous traitons. C’est un comportement bien connu des tribus que de défendre d’abord ses enfants, fussent-ils prodigues. Il en va de la crédibilité du groupe, de son image, de sa solidité et de son statut de dirigeant, en conséquence.
Le maquillage intervient dans un deuxième temps. La technique consiste à chercher un coupable hors du clan et à le désigner à la vindicte publique. Les exemples historiques proches et lointains abondent de quelque côté qu’on se tourne (le bolchevisme, le grand capital et la haute banque, les étrangers, le protectionnisme, les technocrates, les hommes politiques, l’état, les syndicats, la perte des valeurs, les mandarins, J Kerviel, Besancenot, Dolto, le patronat, la nationalité, la religion …). Au besoin on fera mine de sacrifier un pair à la ire de la populace. C’est la technique de l’arrière garde en vogue depuis Roland à Roncevaux, via la vieille garde à Waterloo, via la LVF dans Berlin assiégé, via Stalingrad.
La dernière étape, la contrainte, vise à amener le bouc émissaire à admettre sa faute à titre personnel et non es qualité (cf : Messier, Tapie, Kerviel, ...). C’est la menace d’ostracisme, la dénonciation de penchants pervers, de la santé défaillante, à l’extrême la disparition pure et simple. On a connu cela aussi en régime soviétique (koulaks, médecins, juifs, intellectuels …)
C’est le dernier avatar de la mise en place du plan de sauvetage du système bancaire en octobre 2008. Ses dimensions très techniques se prêtaient mal à la transparence auprès de l’opinion publique. La tendance était et reste aujourd’hui est au populisme : « On va punir ! » clamaient quelques dirigeants populistes bien connus . Tiens-tiens ? Qui ? Comment ? Sur quelles bases juridiques ? Quand ? Est ce le bon remède ? Ne serait-il pas plus opérationnel de préparer l’avenir en modifiant les règles du jeu ? Dans l’économie réelle on appellerait cela un retour d’expérience. Que ne le fait-on toujours pas sérieusement ?
A l’heure à laquelle nous écrivons, les nations occidentales, ont pratiqué la menace des « coupables financiers » mais on a vu peu de choses. La pression sur l’économie réelle de ces derniers n’a pas cessé. L’hésitation lourde à intervenir dans la gouvernance d’établissement qu’on renfloua massivement fut manifeste. Quelques amendes ont frappé les banques, pas les individus-dirigeants. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les pays anglo-saxons de plus longue tradition ultralibérale où l’affichage de l’individualisme est plus direct (le cynisme pour d’autres). C’est aussi très marqué chez leurs zélateurs français (cf. les mesures d’aide aux banques sans contrepartie en termes de pouvoir)
On parle chez nous de sanction, pas de prise de pouvoir. Mais alors comment s’assurer de l’affectation finale des fonds dispensés à l’économie réelle par les mêmes institutions financières qui viennent de les détourner pour le casino de la finance virtuelle et tendent à poursuivre ce comportement (voir l’affaire des 600 millions de la Caisse d’Epargne, octobre 2008 et le grand roque d’une partie de ses dirigeants) ? L'état des trésoreries des PME en France et l'accélération des saisies immobilières aux états unis en décembre 2009 comparées à la splendeur des résultats des établissements financier attestent du détournement.
En outre, ce jeu de menaces n’alla pas plus loin que le verbe, pour l’essentiel, comme nous l’avions écrit alors. En effet, la déréglementation, la dé–spécialisation, la mondialisation, les paradis fiscaux ont tendu à faire disparaître les corps de règles sur lesquelles des états de droit pouvaient engager la responsabilité personnelle de dirigeants et une nouvelle gouvernance. Par ailleurs, les intérêts des détenteurs du pouvoir régalien, des juges consulaires et arbitres et d’une bonne part des médias d’importance sont imbriqués à des degrés divers mais de plus en plus forts. C’est le jeu du « tu me tiens par la barbichette ». Le sentiment d’impunité par détention de liens d’appartenance variés est très fort dans toutes les couches de la société. D’autant plus fort là où l’auto célébration fallacieuse de la qualité de preneur de risque absout ex ante et ex post des manquements, inconséquences et péchés d’orgueil. Les affaires Tapi, Messier, Lagardère en sont les illustrations caricaturales. Effectivement, depuis 2008 peu a été fait.
On voit bien que les normes de responsabilité personnelle sont de peu d’effet
sur les capacités d’apprentissage et de réorientation de l’activité.
D’autant moins que le gendarme est désarmé.
De plus, on attend de vérifier s’il a envie réellement de prendre le gouvernail, fut ce transitoirement.
Mettre d’autorité ses relations personnelles sous tutelle est un acte bien difficile, isn't it Madame Lagarde mais aussi nombre d'autres politiques de tout bord ?
La recherche de satisfactions personnelles
On admet couramment que parmi les facteurs de motivation, outre le domaine des normes, des valeurs, des principes dont nous venons de traiter, coexistent des facteurs de motivation qui relèvent du corps, du cœur, de sentiments, des pulsions. Leur part respective dans le cheminement de chacun n’est pas quantifiable et très variable selon les circonstances de lieu, de temps et d’environnement.
Cette incertitude ne doit pas empêcher d’introduire cette dimension de réflexion, sauf à ne plus rien faire a force de vouloir trop bien faire. Nous en traiterons en trois points bien connus des spécialistes de la motivation.
Il ne sera encore pas question ici d’une analyse économique mais d’hypothèses comportementales fortes.
Gains positifs directs
Rares sont ceux désormais qui recherchent le plaisir dans le sacrifice de leur personne. Le port du cilice n’a plus de succès. Le Monsieur Madeleine de Victor Hugo ou certains héros de Dickens, parcourant les ruelles fangeuses pour porter l’aumône aux déshérités n’ont plus d’adeptes significatifs.
Certes, certains se dédouanent encore par la participation à quelques opérations charitables. Mais on est fondé à penser qu’il s’agit plus d’alibi que d’une volonté profonde, tant l’instrument le plus engagé dans la solidarité effective et démocratique, l’état, est décrié et tant la contribution la plus massive au secours des déshérités, l’impôt, est rejetée. On délègue au secteur privé, censé mieux faire et à travers lequel on peut aller ramasser directement des bribes de reconnaissance personnelle directe, ce qui est interdit par l’anonymat de l’administration publique de la redistribution. Les créateurs de fondations anglo-saxonne ne se salissent pas les mains, ils s’achètent une conscience comme l’on achetait des indulgences voici quelques siècles.
En fait, transiter par la puissance publique interdit au don de générer une reconnaissance directe au donateur. C’est à la fois une perte du plaisir de faire plaisir soi-même et accessoirement une perte d’occasion de manifester sa réussite et son pouvoir directement. Dans une monarchie tribale, le monarque se garde bien de confier à une caisse d’allocations publiques le soin de redistribuer une partie des pétrodollars. Il donne lui-même, de la main à la main, des enveloppes à qui il veut, quand il veut. Ne serait-ce pas pour garder la main et de s’assurer une clientèle ? Certains élus peu regardants le savent sans le dire (logements, postes, marchés ...). Les gens du marketing le savent, le disent en privé et l’appliquent.
Disposer du pouvoir d’accorder du crédit et des conseils privilégiés relève de la même problématique. C’est auto gratifiant (compétence et pouvoir) et c’est source de pouvoir avec le cortège de signes distinctifs qui vont avec : logement, quartier, relations professionnelles et extra professionnelles, scolarité, carrière des enfants, accès aux médecins prestigieux, sélection des épouses, maris, amants et maîtresses, relations, loisirs, santé, argent, réseaux, liens de dépendance, pouvoir.
Renoncer à cette voie, c’est aller contre des injonctions d’enfance, c’est peut-être s’obliger potentiellement à prendre le métro avec les autres. C’est déchoir. C’est très difficile.
Il n’y a pas de gains positifs personnels directs à se préoccuper du collectif et des gens fragilisés.
Il y a perte à déléguer ce soin à la collectivité. On va même en conséquence travailler à l’affaiblir pour conforter ses satisfactions personnelles (évasion fiscale, paradis fiscaux, dénigrement de l’état, repli communautaire sur l’école, le quartier …).
Il ne faut donc pas chercher ici de ressort puissant à l’amendement
de ceux dont nous nous entretenons
dans l’espoir de gains positifs directs.
Conséquences positives indirectes et à terme
Il pourrait y avoir espoir d’inflexion des comportements des spécialistes de la finance et leurs affidés et zélateurs s’ils pouvaient en tirer des gains indirects personnels ou accessoirement collectifs. Nous avons déjà vu que l’idéologie néo libérale prône le chacun pour soi comme moyen idéal de contribuer au progrès de tous. Dont acte, cette voie est aussi fermée.
Quand bien même on aurait des doutes, l’effort proposé est de trop longue haleine pour satisfaire à l’injonction de création de valeur à court terme.
Pour illustrer ce propos on sait que les ingénieurs de l’industrie automobile française concèdent en confidence que les conséquences positives de la recherche de véhicules non polluants étaient si peu persuasives et en tout cas si lointaines que l’industrie européenne ne s’y est pas réellement engagée (presse indépendante septembre 2008) jusqu’à prendre un retard certain sur d’autres plus enclins à considérer les retombées positives lointaines et indirectes (Japon, Corée).
Il en va de même en matière financière. J’ai vécu de l’intérieur et en interface un système bancaire qui préfère globalement miser sur des coups à court terme que de soutenir des investissements à moyen et long terme. Sauf s’il dispose d’un maximum de garanties reportant le risque sur l’emprunteur, l’état ou une collectivité quelconque et s’il peut s’assurer du moindre risque en passant la patate chaude au suivant (subprimes, cession de créances, titrisation, garanties publiques diverses ...). En milieu bancaire on dit "se border".
Les conséquences positives indirecte étant aléatoires et lointaines sont de peu d’effet.
En toute hypothèse elles ne compensent pas les besoins à court terme de résultats qui ne seraient pas satisfaits.
Il n’y a rien à en attendre de tangible.
Ajoutons pour finir que les modes de rémunération et la rotation sur les postes incitent fortement à ces pratiques. Les bonus sont liés principalement au court terme et les mesures prises depuis l'automne 2009 relèvent du placebo. En avril 2012, nous attendions toujours que des mesures effectives réelles et contraignantes soient prises. Enfin la rotation de l'encadrement sur les postes dilue, voire gomme, la responsabilité individuelle sur les engagements. Au mieux on livrera un lampiste et paiera une amende. Ajoutons pour terminer que la délocalisation offshore a privé les gouvernements de moyens réels d’agir.
Les conséquences positives à terme ne seront donc pas source de motivation au changement
dans l’état présent des choses et des êtres.
Gains psychologiques et affectifs directs
Pour faire bref : on est reconnu, écouté, valorisé et la confiance en soi est renforcée lorsque l’on participe du pourvoir soit par la compétence, soit par l’influence liée aux moyens dont on dispose. La synthèse optimale de ces critères se trouve dans les entreprises à l’étage des financiers depuis quinze à vingt ans.
Elle était précédemment à l’étage des ingénieurs, reconstruction et trente glorieuses obligent, puis à l’étage du marketing lors de l’ouverture de la concurrence et lors de la vogue du discours sur la société de consommation, de loisirs et de services.
Le modèle de vie réussie qui est proposé par les médias les plus populaires ne passe pas par le labeur. Le héro qui enlève l’héroïne (ou l’inverse) à la fin du film n’ouvre pas une baraque à frites ou un atelier de décolletage, ils vont encore moins tenir une caisse chez Michel Edouard. C’est à peine s’il travaille. Par contre, il est écouté, supposé compétent, valorisé par sa tenue, ses relations, son cadre de vie, un physique préservé de la pollution et des intempéries et visiblement entretenu par une escouade d’esthéticiennes. C’est un rentier en somme, un juriste ou un avocat d’affaire à moins qu’il ne soit banquier (cette activité se prêtant mal à la transposition cinématographique, on en voit peu dans les feuilletons).
C’est valorisant tant à ses propres yeux qu’aux yeux de ceux ou celles que l’on veut séduire que d’être parmi les gagneurs sans manifestation apparente d’effort. A leur yeux, peu les valent car non seulement ils se regardent eux-mêmes en qualité de vainqueurs mais encore leur environnement les sollicite, les questionne avec respect, les flatte et les érige en modèles pour partager avec eux une part de leur savoir, de leur influence, de leur pouvoir et de leur séduction.
Le rayonnement va bien sûr au-delà de la sphère professionnelle, jusqu’à la libido puisque plusieurs études montrent la corrélation entre la formation des couples et le statut professionnel. Un statut valorisant allant (pour les hommes surtout) jusqu’à surcompenser l’âge avancé, un comportement désagréable ou un physique ingrat, dans la capacité de séduction. Bien sûr, si personne n’a encore chiffré le bénéfice d’un tel avantage, il est bien connu, s’il n’est pas politiquement correct d’en parler quoique quelques cas fameux se soient manifestés depuis la rédaction de ce papier outre Alpes et du côté d'une fameuse institution financière internationale, voire parmi nos élus républicains..
On voit ici encore combien la renonciation à de tels gains touche des ressorts profonds et puissants
dont il ne faut pas trop rêver que ceux qui les détiennent y renoncent.
Pour mettre fin à cette superbe, par le passé récent, certains gouvernements de droite comme de gauche à travers le monde ont voulu créer un "homme nouveau".
On sait les excès qui en ont découlé en termes de rééducation, enfermement, camps de redressement par le travail, autocritiques publiques, épurations. Le tout sans autre succès que la création d'une caste prévaricatrice de substitution. Il conviendrait de ne pas justifier et alimenter leur renaissance par des pratiques détestables. Pour l’heure l’effet repoussoir de ces pratiques totalitaires joue encore et c’est bien. Mais l’abus de liberté et l’irresponsabilité pourraient bien faire oublier les leçons de l’histoire.
Ici encore, il n’y pas à attendre grand effet de gains psychologiques et affectifs directs
pour que les leçons de la crise fassent évoluer les comportements.
Ce qui n'a pas été fait spontanément odit - il être contraint ?
L’ensemble des éléments traités précédemment pousseront à la poursuite des comportements toxiques, fut ce sous une autre forme. (Neuf ans après la crise de 2008 et 6 ans après la rédaction de cette phrase, c'est bien ce qui s'est passé)
Certes, comme toute réflexion portant sur les comportements elle n’est pas aussi assurée qu’une démarche scientifique mais elle bénéficie d’une forte probabilité. Disons que c’est une hypothèse forte.
Des connivences exogènes au microcosme
D’autant que des facteurs exogènes au microcosme décrit ici joueront probablement dans le sens d’une perpétuation et donnent d’ores et déjà des signes d’une forte résistance. Les régimes dictatoriaux et/ou mafieux de même que les partis politiques n'ont pas intérêt à s'en prendre à cette caste qui leur rend moult services et détient bien des dossiers pour les tenir par la barbichette.
James K. Galbraith dans "L'état prédateur" abonde dans ce sens et renforce cette conclusion en décrivant comment les lobbys et groupes ici décrits tendent à coloniser l'état à leur profit. Les effets macroéconomiques sont décrits dans maints ouvrages dont celui désormais fameux et peu contesté de T Piketty.
De plus l’attention de l’opinion sera très probablement détournée de manière très prégnante par les difficultés de l’économie réelle à venir, la crise écologique, voire des conflits nouveaux liés à ces questions.
En outre, il est probable que certaines nations qui assuraient jusqu’alors des fonctions de gardes de la civilité des mœurs n’aient plus le loisir de la faire faute de moyens. La nature ayant horreur du vide, d’autres, plus puissants, moins affaiblis ou plus avides ou enfin moins démocratiques poursuivront leur travail de sape et d’entrisme. Ils sont déjà en place, dans la place et profitent des brèches dans la muraille. (Bons du trésor, hedge-funds, prise de participations massives, délocalisations, protectionnisme, fonds souverains, blanchiment, paradis fiscaux, corruption massive, démantèlement à court terme d’entités économique tournées vers le long terme). Dirigés par des oligarques ils n’infléchiront pas leur comportement.
Le chantage aux approvisionnements en énergies, matières premières et bientôt alimentaires oblige déjà à bien des compromis des nations jusqu’alors impériales certes, mais somme toute assez démocratiques pour permettre une vie pacifiée à leurs concitoyens, même en période de crise. C’est vers ces besoins primaires et essentiels que se tournent déjà et se tourneront encore les politiques à court terme et désabusées du microcosme oligarchique pour y spéculer encore et plus et partant accélérer la dépendance du plus grand nombre.
Nombre de dirigeants politiques de démocraties occidentales ont déjà passé des compromis et alliances avec les groupes de pression dont nous traitons, d’autres sont tentés de le faire et ne s’en cachent qu’à peine ou hésitent.
L'absence de contre-projet au néo libéralisme
Quant aux mouvements se réclamant de la gauche il leur reste à ne pas fournir des arguments surannés alimentant « la peur du rouge » aux tenants de la poursuite des errements actuels. Il reste aux corporations à lâcher un peu de leurs privilèges pour couper les arguments des tenants de la déréglementation sauvage et avant que la réalité économique n’ai réduit ces privilèges à rien. Que valent des statuts protecteurs de pilote de ligne s’il n’a plus de passagers ?, Que vaut un prof de français si la langue qu’il enseigne est celle d’un pays appauvri qui n’exporte plus ? Que vaut un Sénateur dans un pays dont les caisses sont vides ? Une étude notariale rapporte-t-elle moins ans un pays sinistré ?
Il reste une probabilité forte que la crise financière puis économique bascule en fin de course en crise sociale et sociétale. La dernière étape sera franchie si un consensus démocratique suffisant ne consolide pas un pouvoir assez fort pour guider fermement la répartition des biens communs de manière acceptable par tous et de manière pacifique à des minorités égocentrées et aveugles.
Le 17 décembre 2009 Jean Louis Jouyet, Président de l'AMF déplore la poursuite des errements dénoncés ci avant. La Fête continue cependant ...
Relisant ce lignes le 13/11/2011 je n'en retire rien. Je n'ai pas résisté à la tentation d'ajouter les illustrations berlusconiennes et straukaniennes au paragraphe sur la motivation par la libido. Qu'on m'en excuse. Il en est d’autres, bien sûr et ce n’est pas nouveau.
Le 2 décembre 2012, loin en page intérieure, les ECHOS publient des déclarations de Lord TURNER, régulateur en chef de la City sous le titre "La finance n'a pas retenu les leçons de la crise" ..
Le 4 Avril 2013, l'affaire Cahuzac apporte la démonstration de ce que la gangrène peut gagner certains des membres de l'élite politique classée pourtant à gauche.
Mes analyses sont hélas corroborées et renforcées par l'accumulation de faits.
Il faut éloigner les gens de la finance du pouvoir politique.
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Voir : "Certains hedge funds comptent bien tirer profit de la crise de l'euro" 19/01/2012 sous http://goo.gl/VWRIN
Voir "La finance ne s'est jamais régulée seule" 30/4/2012sous http://goo.gl/eQMm8