Début octobre, plusieurs journaux abordaient la situation d’une jeune fille de 16 ans, interpellée pour des faits de proxénétisme aggravé. Par proxénétisme aggravé la justice entend que les victimes de prostitution sont des mineures de moins de 15 ans. Si la justice doit faire son travail, que nous dit cette affaire de notre système de protection des enfants et des femmes?
La lecture des différents articles nous apprend très rapidement que quatre autres personnes de l'entourage de cette jeune fille, âgées d’une vingtaine d'années, avaient également été interpellées, car elles se chargeaient de louer des appartements sur Airbnb. D’emblée on peut s’interroger sur l’écart d’âge entre ces hommes et cette fille, qui nous est présentée comme la cheffe du réseau et eux des locataires, faisant écho aux différents débats que nous avions eu au moment de Loi Billon du 21 avril 2021, instaurant un seuil d'âge de non consentement à 15 ans et 18 ans en cas d'inceste, avec une exception, la fameuse close Roméo et Juliette. Rappelons une fois de plus que la majorité des proxénètes, dans le cadre de la prostitution des mineur·es, sont des hommes âgés entre 18 et 24 ans.
Nous apprenions également que la jeune fille de 16 ans avait également été victime de prostitution. Elle était donc dans la situation des autres jeunes filles qu’elle avait soumises à la prostitution. Avant l’âge de 15 ans, cette jeune fille avait donc été victime de prostitution. D’après les différents articles, il semblerait qu’elle ait également été accompagnée préalablement par l’aide sociale à l’enfance car victime de maltraitance dans son milieu familial.
Croisons à présent cette actualité avec deux données. La première : fin septembre 2024, nous apprenions que 15000 enfants en France, confiés à l’aide sociale à l’enfance, sont actuellement victimes de prostitution.
La seconde : en 23 novembre 2021, l’observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis rendait public une enquête dans laquelle les profils de 101 jeunes filles victimes de prostitution et relevant de l’aide sociale à l’enfance étaient présentées.
Neuf filles sur dix déclaraient des violences intrafamiliales, une sur huit des violences sexuelles. La majorité de ces violences n’avait pas été signalée et lorsqu’elles l’avaient été, elles avaient fait l’objet pour 72% d’entre-elles d’un classement sans suite.ceci doit donc nous interroger une fois de plus sur la manière dont on appréhende les victimes de prostitution. Comment prévenir, repérer et surtout lutter contre la prostitution des mineur.e.s sans prendre en considérations ses données fondamentale.
Une fois de plus, rappelons que les enfants les plus vulnérables sont surexposés aux violences sexuelles. D’après l’organisation mondiale de la santé, les enfants en situation de handicap sont cinq fois plus exposés. La vulnérabilité des enfants relevant de l’aide sociale n’est pas à démontrer au regard même de leur situation. Il existe pas ailleurs une surreprésentation d’enfants en situation de handicap parmis les enfants relevant de l’ASE. Ils seraient 15% des jeunes accompagnés (DREES 2022). En 2021 la DREES estimait en France à 14% la population en situation de handicap. A noter la difficulté d’avoir des chiffres sur les enfants qui s’explique aussi par la difficulté de l’évaluation et aussi par le manque de moyens alloués.
Comment expliquer ces chiffres, si ce n’est en constatant le paradoxe de la situation : celles et ceux qui devraient être le plus protégé.e.s sont les plus exposé.e.s. Cette situation des enfants victimes de prostitution est donc l’un des nombreux symptômes de politiques publiques qui ne parviennent pas à impulser une culture de la protection des enfants, malgré les nombreuses alertes.
Une autre donnée doit également nous interpeller. La jeune proxénète de 16 ans recherchait sur les réseaux de jeunes mineures à la recherche d’un hébergement. En somme des hommes âgés d’une vingtaine d’année louaient des appartement sur Airbnb, appartement qui étaient proposés aux jeunes filles, en échange de quoi elles étaient prostituées, d’après l’article par la force, la contrainte voire la menace d’une arme. Les hommes interpellés sont donc mis en cause également pour proxénétisme aggravé. Ce que l’on peine à voir dans les différents articles. Les jeunes filles victimes de prostitution font donc partie des plus de 2043 enfants à la rue en 2024. Là encore combien d’associations, d’actrices et d’acteurs ont dénoncé cette situation inacceptable mettant en exergue les multiples violences auxquelles les enfants à la rue sont surexposés, ajoutant de la vulnérabilité à la vulnérabilité. On parle de filles qui au moment des faits étaient, d’après les articles, âgées entre 12 et 14 ans.
Rappelons que les violences sexuelles sont des violences sexuées, et la prostitution le confirme. Les femmes et les filles victimes de prostitution sont surexposées. Elles représenteraient d'après les chiffres du ministère de l'intérieur 85% de la population. 99% des clients et 90% des proxénètes sont des hommes. Ceci devrait nous interroger sur ce que dit cet état de faits de notre culture, sur la manière dont nous nous représentons le corps des filles et des femmes, la domination masculine, notre système éducatif.
Enfin, qu’advient-il des clients prostitueurs? D’après la Loi de 2016, ceux-ci devraient être poursuivis. Aucun semble-t-il n’a été interpellé, une fois de plus. Pourtant il s'agit bien de pédocriminels. En France donc les plus vulnérables sont surexposés aux violences sexuelles, des enfants sont à la rue, et des pédocriminels sont laissés en liberté.
Si les responsabilités individuelles des accusés doivent bien faire l’objet d’un jugement prenant en considération la singularité de chacun.e au regard de leur implication et de leur statut, sans nier leur responsabilité individuelle, ne perdons pas de vu que l’information principale mis en exergue par les médias, à savoir l’interpellation d’une jeune de 16 pour des faits de proxénétisme aggravé, est aussi un aveu supplémentaire de l’échec d’un système de protection des enfants, responsable aussi de produire ce type de situation.
Certain.e.s diront qu’il y a aussi des réussites mais comme dans le cadre du #NOTALLMEN, soyons en capacité non pas d’ériger une stratégie défensive mais bien de demander des actions concrètes, à mettre en place collectivement, pour que tous les enfants de la République bénéficie d’un système de protection qui ne surexposent pas les plus vulnérables d’entre-elles et eux.