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Billet de blog 30 septembre 2024

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Tout le monde savait - Réponse à l'Eglise de France et à Emmaüs

Je m’appelle Arnaud Gallais. J’ai été victime d’un prêtre pédocriminel entre l’âge de 8 ans et 11 ans, mort au moment où je révélais les faits. Je fais partie des 22 signalements faits par la Commission Indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise. 

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Je m’appelle Arnaud Gallais. J’ai été victime d’un prêtre pédocriminel entre l’âge de 8 ans et 11 ans, mort au moment où je révélais les faits. Je fais partie des 22 signalements faits par la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise. Je suis le cofondateur de Mouv’Enfants, un mouvement de survivantes et de survivants de violences dans leur enfance, et leurs alliés, qui luttent contre toutes les formes de violences faites aux enfants.

Les déclarations d’Eric de Moulins-Beaufort, en sa qualité de Président de la Conférence des Évêques de France en réaction aux propos du Pape au sujet de l’Abbé Pierre, dans une tribune publiée dans le Monde du 14 septembre, devraient nous interroger sur le rôle de la Justice en France et sur la nécessité d’un débat parlementaire pour que celles et ceux qui ne dénoncent pas des faites de violences sexuelles répondent de leurs actes. 

On apprend donc, de Monsieur Eric de Moulins-Beaufort, que, une fois de plus, l’Eglise savait et a délibérément décidé de cacher ses faits, ce depuis 1955. Cela induit une lourde responsabilité de cette institution puisque cet omerta a permis à l’Abbé Pierre de faire d’autres victimes alors qu’il aurait pu être arrêté. Cette situation n’est pas nouvelle : c’est bien celle que nous décrivait le rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuelles dans l’Eglise : une responsabilité systémique dans le massacre de 330 000 enfants entre 1950 et 2020, 13 enfants par jour ; un décompte macabre qui ne doit pas, par ailleurs pas nous faire oublier que les enfants en situation de handicap, cinq fois plus exposés aux violences sexuelels, ne sont pas comptabilisés dans ce rapport.  

L’indécence s’ajoute au propos du président de la conférence des évêques de France lorsqu’il insinue que d’autres organisations devraient prendre exemple sur l’Eglise. Indigne pour les victimes dont je fais par ailleurs partie. 

Eric de Moulins Beaufort poursuit son propos en exposant la responsabilité du mouvement Emmaüs dans la non-dénonciation de ses faits. Il les invite à s’inspirer des instances de réparations mises en place par l’Eglise. En somme des organisations qui n’ont pas dénoncé pendant des années des crimes et agressions sexuelles, ont la possibilité de se faire justice elle-même, en disant à présent aux victimes : “On vous croit” alors qu’on ne vous a pas protégé avant. Cette situation a été dénoncée par l’ONU le 6 novembre 2020 qui interpellé l’Etat Français sur le fait que l’Eglise ne pouvait être juge et partie dans un processus de réparation. Sans réponse. 

Il aurait été judicieux que le Président des évêques de France nous rappelle également que le 27 juin 1958, le cardinal Feltin écrivait à un ministre qui souhaitait décorer l’Abbé Pierre “Laissez-moi vous assurer qu’à l’heure présente cette distinction serait fort inopportune, car l’intéressé est un grand malade, traité en Suisse, dans une clinique psychiatrique”. Ainsi, l’Etat avait également connaissance des faits concernant l’Abbé Pierre. 

Comment, dans ce contexte, la rhétorique du “loup solitaire” développée en dernier point dans son argumentaire, paraît-elle crédible au regard des éléments ci-dessus ?

Cette situation devrait nous interroger sur l’absence de réaction de la Justice face à de telles révélations, d’autant plus que s’ajoute à ce système omerta une tromperie publique monumentale. En effet, si les faits concernant l’Abbé Pierre étaient couverts c’est aussi pour préserver l’afflux massif de dons. Combien n’auraient pas donné en étant informés de ces accusations ? 

Pourquoi le parquet ne s’auto-saisit pas pour des faits de non-dénonciation ? Même si ceux-ci sont pénalement prescrits, des poursuites civiles sont possibles, permettant de faire la lumière sur les responsabilités de l’Eglise, du mouvement Emmaüs et de l’Etat. 

Plutôt que de nous annoncer la mise en place de commissions par ces organisations et institutions qui reconnaissent avoir couvert ces faits, exigeons collectivement des perquisitions afin d’éviter que ceux qui devraient être jugés valorisent leurs savoir-faire en matière de “reconnaissance et réparation”. Notons par ailleurs qu’Emmaüs a annoncé que la commission serait composée d’historiens. Ceci renvoie les victimes à ce qu’elles ont trop souvent l'habitude d’entendre : c’est du passé. Alors qu’elles demandent justice et qu’elles sont plongées dans le présent perpétuel des crimes qu’on leur a infligées.  

Interrogeons-nous également sur les délais de prescription en matière de non-dénonciation de crimes et agressions sexuels, passés de 4 ans à 10 ans en 2021, qui devraient être encore rallongés, pour que plus jamais la déclaration du cardinal Barbarin “les faits sont prescrits, grâce à Dieu” résonne comme l’un des symptômes de l’impunité de notre système judiciaire, ou que ce soit la porte ouverte d’une justice parallèle déguisée en commission indépendante initiée par celles et ceux qui devraient être jugés.

Il est un enseignement que nous devons collectivement retenir : les violences sexuelles ne sont jamais une dualité entre un agresseur et une ou des victimes. Un agresseur agit grâce à un système et celles et ceux qui ne dénoncent pas lui remettent un permis de récidive. 

En somme la violence est toujours un choix, sauf altération du discernement, et ne pas les dénoncer en est également toujours un. Le choix fait par le mouvement Emmaüs et par l'Eglise catholique était donc de ne pas divulguer ces faits pour ne pas nuir à leur notoriété, et pour permettre de bénéficier de dons considérables en entretenant l’idée que l’Abbé Pierre était un Saint Sauveur, et ce au détriment des nombreuses victimes.

Pour ces raisons, et après en avoir échangé avec deux conseillers du Président de la République, nous avons décidé de signaler les faits à Madame la Procureure de la République du parquet de Paris, pour que la Justice fasse la lumière sur celles et ceux qui qui savaient. Si les faits sont pénalement prescrits, des poursuites civiles sont possibles.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.