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Billet de blog 6 septembre 2022

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Perdue dans la brume, la Caisse des dépôts vire à droite toute !

En douce, la Présidente de l’Assemblée Nationale, sur le conseil du secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, a choisi de « droitiser » un peu plus la gouvernance de la Caisse des dépôts quitte à commettre un déni démocratique, mettre en danger la légitimité républicaine de cette institution publique et accélérer sa dérive libérale. Petit éclairage sur cette opération opaque.

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Dans un article paru dans ces colonnes, le 2 septembre dernier, titré "confusion généralisée autour du renouvellement du patron de la Caisse des dépôts", Laurent MAUDUIT mettait à jour les agissements opaques de l'Elysée pour organiser la succession de l'actuel Directeur Général de la CDC , Eric LOMBARD, dont le mandat se termine en décembre prochain. Il concluait justement : "Quoi qu’il en soit, toutes les grandes manœuvres autour de la CDC invitent à la même conclusion : dans le cadre du pouvoir autoritaire qu’exerce Emmanuel Macron, le statut d’autonomie concédé de longue date à la CDC, pour que celle-ci gère l’épargne des Français sans avoir à craindre un interventionnisme de l’exécutif, est perpétuellement en danger…". C'est bien dans ce même cadre qu'il faut observer, les opérations récentes de renouvellement de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts, censée pourtant "incarner la surveillance et l'autorité du parlement sur la CDC et garantir son autonomie.

Illustration 1

En préambule, rappelons que la Caisse des dépôts est un « Etablissement public spécial » qui offre la particularité d’être placé « sous le contrôle et l’autorité du parlement » et non sous la tutelle de l’exécutif. A ce titre, son organe de gouvernance, la « Commission de surveillance », composée de 16 membres en tout, comprend 5 parlementaires (3 député-e-s, 2 sénateurs) parmi lesquels est élu-e le ou la Présidente de l’instance. La loi (article L 518-4 du CMF) précise également que 2 membres doivent être issus de la Commission permanente de l’assemblée nationale chargée des Finances dont au moins un appartient à un groupe d’opposition au gouvernement et un membre issu de la Commission des affaires économiques. C’est ainsi qu’après chaque élection législative, sans que la loi n’en précise les modalités, « 3 député-e-s doivent être désigné-e-s » à la Commission de surveillance de la CDC.

Or, seule une lecture attentive du journal officiel du 7 août 2022 nous apprend que la Présidente de l’Assemblée Nationale a désigné la veille, soit après la fin de la session parlementaire et sans aucune transparence (à ce jour l’information ne figure toujours pas ni sur le site de l’Assemblée Nationale, ni sur celui de la Caisse des dépôts) et donc sans concertation :

  • Alexandre HOLROYD (Commission des finances- groupe LRM)
  • Marc le FUR (Commission des finances-LR)
  • Anne-Laurence PETEL (Commission des affaires économiques- groupe LRM).

A première vue, cette question pourrait paraître simplement anecdotique et protocolaire. Mais peut-être faut-il rappeler l’importance des enjeux relevant de la gouvernance de la Caisse des dépôts :

  • La CDC est le cœur d’un groupe public d’intérêt général constitué de multiples filiales, employant dans des champs divers d’activité (investissement/financement, gestion des retraites publiques, Assurance, transport public, aménagement du territoire, logement social, transition énergétique et écologique …) plus de 300 000 salariés dont ceux de La Poste (la CDC "contrôlant" depuis la loi PACTE,  66 % du capital du groupe La Poste à l'issue d'une opération complexe et hasardeuse orchestrée par l'Elysée).
  • La taille du bilan de la CDC dépasse les 1000 milliards d’euros ; ces fonds propres atteignent 45 milliards d’euros et son résultat consolidé a dépassé les 4 milliards en 2021.
  • La Caisse des dépôts gère la retraite de plus de 5 millions d’affiliés et pensionnés.
  • Elle est le principal financeur du logement social et le premier bailleur social de France avec sa filiale CDC Habitat.
  • Elle centralise et protège 60 % de l’encours d’épargne populaire (LA,LDDs…) correspondant à plus de 60 millions de livrets d’épargne, soit 350 milliards d’euros.
  • De par son modèle économique d’investisseur public de long terme, la CDC est un outil capital pour la transition écologique et énergétique du pays.

 Au-delà de cette question de transparence démocratique, ces nominations posent deux questions :

  • Pourquoi MME BRAUN-PIVET a-t-elle choisi de désigner un député L-R de la commission des finances au titre du « représentant de l’opposition » (le groupe LR n’est que le 3ème groupe et pas vraiment d’opposition puisqu’il n’a pas voté les motions de défiances déposées en juillet et a voté en revanche le PLFR présenté par le gouvernement) plutôt qu’une députée de la NUPES (l’intergroupe PS-LFI-GDR est numériquement la première force d’opposition et le seul à avoir voté la défiance au gouvernement) ? Le choix de M.LE FUR est d’autant plus grave qu’il est politiquement, un représentant éminent de la « droite dure », partisan du productivisme agricole, anti-écologiste et sur le plan sociétal , un des principaux opposants au mariage pour tous et à l’IVG. Si l’on considère que l’un des deux sénateurs, membre de la Commission de surveillance, Jérôme BASCHER, est également membre des Républicains, nul doute que la Présidente de l’Assemblée a souhaité ainsi renforcer la droitisation de l’instance en délaissant ostensiblement l’opposition de gauche au gouvernement, ce qui constitue un déni démocratique au risque de fragiliser la légitimité républicaine de la Caisse des dépôts.
  • L’autre désignation qui interroge est celle de Alexandre HOLROYD, surtout si l’on considère qu’il sera très probablement élu Président de la Commission de surveillance. Si, pour le coup, il est normal qu’il soit issu du groupe LRM, on ne peut que s’interroger sur la non reconduction à ce poste, de Sophie ERRANTE, également réélue députée LRM de Loire –Atlantique et qui avait été élue Présidente de l’instance sous la précédente mandature. En ne la reconduisant pas, alors qu’elle était visiblement candidate, la présidente de l’Assemblée Nationale fait le choix de fragiliser la continuité du fonctionnement de l’instance de gouvernance de la CDC, alors même que MME ERRANTE avait « essuyé les plâtres » des évolutions importantes générées par la loi PACTE.
  • Au-delà de cette question, le profil de Monsieur HOLROYD ne peut que nous interroger, dès lors que ce dernier serait appelé à présider l’instance de gouvernance de la plus grande institution financière publique du pays. En effet, Alexandre HOLROYD, franco-britannique, diplômé du Kings collège de Londres, fut consultant du cabinet FTI consulting, l’une des plus grosses entreprises mondiales de conseil en matière financière, avant de se lancer en politique en 2017 et de fonder le mouvement « En marche » au Royaume Uni et d’être élu dans la foulée député de la 3ème circonscription des français de l’Etranger (RU, Finlande, Scandinavie …), celle de la « city» … et d’intégrer le programme franco-britannique « Young leaders » lancé en 2017 par le Duc  et la Duchesse de Cambridge !

En désignant M. HOLROYD, dont les compétences ne sont évidemment pas en cause, la présidente de l’Assemblée Nationale a fait le choix de placer la gouvernance de la Caisse des dépôts sous l’influence dominante des courants néolibéraux, en totale contradiction avec  son essence, ses missions d’intérêt public et  son modèle économique dont François BLOCH-LAINE disait qu’il était celui d’une « entreprise socialiste dans une économie capitaliste ».

L'opération se précise puisqu'un article des Echos en date du 6 septembre révèle que l'élection du futur Président de la Commission de surveillance devrait intervenir de façon accélérée ,dès vendredi prochain, 9 septembre, alors qu'initialement la séance était prévue pour le 21 septembre ! Cette accélération subite du calendrier n'est probablement pas sans lien avec le calendrier propre de l'Assemblée Nationale dont les réunions des Commissions et les auditions ne recommenceront pas avant le 12 septembre.

De la à en déduire que tout est fait pour couper l'herbe sous le pied de l'opposition parlementaire et plus généralement pour entraver le rôle de l'Assemblée et singulièrement de sa Commission des Finances, dans l'exercice de sa mission de surveillance et de garantie de l'autonomie de la Caisse des dépôts, il n'y a qu'un pas !

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