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Billet de blog 30 mars 2017

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Quand la Cour des comptes se transforme en «think tank» ultra-libéral!

Il y a peu, Laurent Mauduit stigmatisait le traitement inégal réservé par la Cour des comptes à certaines indemnités, suivant qu'elles sont versées à des fonctionnaires ou à des "puissants" notables. Au delà de ce sujet particulier, nous pouvons considérer, à la lecture de ses derniers rapports, que la Cour s'est éloignée dangereusement de sa mission pour mieux servir les dogmes du libéralisme.

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Au terme de la Constitution, la Cour des comptes, institution multi séculaire, a pour mission de "s'assurer du bon emploi de l' argent public et d'en informer les citoyens".

Si "le citoyen" peut effectivement apprécier, à la lecture du rapport annuel de la Cour, la révélation de tel détournement de fonds publics ou la mise à jour de telles gabegies , il peut aussi s'interroger sur la légitimité des considérations récurrentes et non démontrées de la Cour sur le nombre excessif de fonctionnaires, le poids de leur masse salariale sur la dette publique jamais équilibré par l'évaluation de leur contribution comme il peut contester le fondement de ses recommandations de privatiser, banaliser, restructurer, démembrer telle ou telle propriété ou activité publique et d'intérêt général. Alors que nous sommes engagés dans une période électorale majeure, la Cour des comptes s'est éloignée progressivement du contenu de sa  mission pour mieux asséner des présupposés idéologiques libéraux qui font échos aux discours réactionnaires de certains candidats à l´élection présidentielle. Ceci pose poblème. Alors que les valeurs républicaines portées par la Cour devraient la conduire à informer et éclairer "comptablement"  les citoyens sur l'usage et la destination de la dépense publique, la voilà qui, parée de "ses  apparats royaux d'hermine",  en conteste  idéologiquement l'opportunité.

Il en est ainsi de la majeure partie des nombreux référés et rapports (plus de 60) de la Cour consacrés ces dernières années à la Caisse des dépôts, ses filiales ou ses missions, ce qui tranche nettement par exemple avec le nombre de rapports consacrés à la fraude ou à l'évasion fiscale .Que d'honneur et d'attention pour une institution qui certes joue un rôle clef sur le plan des politiques publiques économiques et sociales mais dont l'importance ne nécessite peut être  pas de mobiliser en permanence autant de magistrats de la Cour...d'autant que l'organe de gouvernance et de supervision de la Caisse, la Commission de surveillance compte déjà deux membres de droit de cette noble institution !  Si certaines de ces missions ont permis de pointer, quoique que bien tardivement  faute d'avoir tenu compte des alertes antérieures des représentants syndicaux, certaines erreurs ou fautes manifestes voire mêmes de scandaleux détournements comme dans le cas de Veolia-Transdev, de ICADE ou encore des distributions d'actions gratuites de CDC Entreprises, d'autres relèvent pour le moins d'une attention suspecte quand elles ne servent pas carrément  une offensive idéologique visant à fragiliser le statut, les missions et l'autonomie publiques de la CDC voire à suggérer sa banalisation ou le démantèlement de son groupe.

C'est le cas notamment de trois publications récentes de la Cour : un référé de février 2017 portant sur les dépenses de fonctionnement de la CDC de 2007 à 2015; un autre de la même époque portant sur le fonds d'épargne de 2012 à 2015 (concerne l'encours d'épargne  populaire  LA/LDD/LEP centralisé par la Caisse des dépôts); enfin un rapport public thématique, en date de janvier 2017, consacré à "L'Etat actionnaire"  mais mêlant joyeusement , pour les besoins de la cause, les participations et actifs financiers de l'Etat, ceux de la Caisse des dépôts et ceux de BPI France (filiale commune 50/50) de l'Etat et de la CDC.

Sur la première mission qui porte sur une période anormalement longue (2008/2015) concernant trois Directeurs Généraux successifs (MM ROMANET, JOUYET, LEMAS) et recouvrant des évolutions contradictoires en matière de dépenses de fonctionnement, Laurent MAUDUIT a eu l'occasion de pointer, dans trois articles récents,  le traitement inégal réservé par la Cour, entre d'une part, les "indemnités" que se sont "auto-octroyées",  les membres de la Commission de surveillance (parlementaires, personnalités qualifiées et hauts-fonctionnaires) et les indemnités de retraite et de mobilité versées aux fonctionnaires de la CDC aux termes d'un accord social triennal commun à l'ensemble des statuts d'emploi (Fonctionnaires et contractuels de droit public; salariés de droit privé et Agents statutaire de la Caisse des Mines). Dans le premier cas, la Cour juge ces indemnités juridiquement fragiles mais ne les remet pas en cause tandis que  dans l'autre cas,  elle enjoint le Directeur général d'y "mettre un terme sans délai" au motif qu'elles constitueraient des "irrégularités constatées au titre du versement d'indemnités sans base réglementaires", ignorant donc volontairement le fait que ces indemnités de retraite et de mobilité résultent certes d'un accord social mais aussi d'une validation réglementaire par la voie d'un arrêté du Directeur Général en date du 20 mars 2015, visant régulièrement les lois 83-834 et 84-16 portant le statut général de la Fonction publique? Cet arrêté, comme ses précédents, n'ayant jamais été contesté par aucune juridiction administrative. Pour être complet, ajoutons que ces indemnités versées au fonctionnaires de la Caisse des dépôts existent sous cette forme depuis plus de vingt ans dans le but de traiter également des personnels de statut différent (salariés privés et agents de droit public) mais ayant le même employeur et exerceant la même activité et dans les mêmes conditions (principes  du "travail égal, salaire égal") et qu'elles ont toujours été "validées" par la Commission de surveillance dans laquelle siègent donc deux membres de la Cour des comptes. Au  delà de cette question particulière qui repose sur une appréciation juridiquement très contestable et qui, en tout état de cause, outrepasse ses compétences , la Cour  recommande également dans le même référé, "d'articuler étroitement la démarche de performance et l'élaboration du budget" et conteste l'évolution des effectifs de fonctionnaires et de salariés de la CDC sans jamais s'interroger sur l'évolution de leur périmètre de mission ni sur  la croissance de leur productivité et sans jamais rappeler que ceux ci sont rémunérés par la CDC sur ses propres deniers et non pas sur le budget de l'Etat et l'impôt. Si l'on y ajoute la recommandation d'établir une trajectoire budgétaire pluri-annuelle soumises à l'avis du Ministre des Finances, l'on voit bien que les magistrats de la Cour des comptes visent d'une part à remettre en cause l'équilibre social fragile de la CDC, qui repose sur l'implication d'une communauté de travail riche de sa diversité statutaire : la CDC emploie principalement des fonctionnaires et contractuels  de l'Etat mais est autorisée par la loi 96-452 à recruter des salariés de droit privé .... ces agents de statuts différents ayant globalement vocation a accomplir les même missions dans les mêmes conditions, il va de soit qu'ils ne peuvent être traités différement notamment au regard du droit à percevoir une indemnité retraite, prévue par le code du travail dont relèvent les salariés de droit privé et couvert réglementairement par un arrêté du Directeur général pour ce qui concerne les fonctionnaires. Sa mise en cause par la Cour,  "sans délai" risque donc d'une part d'accélérer, avant la fin 2017,  les départs d'agents fonctionnaires de la CDC  en âge de faire valoir leur droits (quelques centaines) et d'autre part d'attiser les conflits entre statuts d'emplois. Cette recommandation en forme d'injonction a un autre effet : celui de fragiliser tant le pouvoir réglementaire du Directeur général de la Caisse  pour ce qui concerne la gestion des fonctionnaires que  l'exercice du droit de la négociation sociale à l'intérieur de l'Etablissement Public. De là à penser que la Cour vise en fait à "privatiser " et banaliser le statut des personnels fonctionnaires de la CDC ....Enfin, le référé de la Cour sape les fondement de l'autonomie statutaire de la CDC en proposant de soumettre "sa trajectoire budgétaire" à l'avis du Ministre des  Finances alors même que celle-ci n'est légalement pas soumise à l'avis de la Commission de surveillance. Un comble pour un Etablissement public placé sous l'autorité spéciale du Parlement, garant de son autonomie ! 

Quoi qu'ayant eu peu d'échos dans la presse, le second référé qui porte  sur la gestion du  "fonds d'épargne" pour la période 2012-2015 n'en est pas moins grave dans ses recommandations. Rappelons en quelques mots que le "fonds d'épargne" géré par la CDC centralise "partiellement" et sécurise un peu moins de 60 % des encours d'épargne populaire réglementée (LA, LDD, LEP) soit 238 milliards d'euros à la fin 2016. Le solde d'épargne populaire collectée (plus de 150 milliards) étant autorisé depuis 2008 à être conservé sans contrepartie réelle,  en dépôts dans les banques commerciales collectrices. On notera, au passage, que l'emploi par les banques de cet encours d'épargne défiscalisée  et qui donc, à ce titre,  génère une dépense publique, n'a pas fait l'objet de la moindre mission de la Cour des comptes ! L'encours centralisé par la Caisse des dépôts est orienté vers le financement de long terme d'investissements d'intérêt général, dont la construction de logements sociaux à titre principal mais aussi plus récemment l'appui à l'investissement des collectivités locales. Ainsi fin 2016, l'encours cumulé  de prêts sur fonds d'épargne a atteint 182 milliards d'euros (plus de 160 milliards pour le seul logement social) soit le double qu'il y a 10 ans.

Après avoir donné un coup de griffe à la mesure "présidentielle" de relèvement des plafonds du livret A et LDD (passé respectivement à 22 950 et 12 000 euros après 20 ans d'immobilité) qui n'aurait profité "qu'aux détenteurs de livret A les plus aisés" sans augmenter  la capacité de réponse aux besoins de financement de logements sociaux (ce qui est factuellement faux), la Cour estime globalement que la persistance d'un niveau de rémunération élevé de l'épargne populaire tant par rapport au niveau de l'inflation que par rapport aux taux des marchés , conduirait à "fragiliser le modèle économique des fonds d'épargne". Rappelons quand même que le taux d'inflation en valeur glissante de janvier à janvier  est passé à 1,3 % (2 % pour les loyers immobiliers)  tandis que le taux du livret A est resté à 0,75 % et que même si les taux d'emprunts demeurent bas, ils entament une remontée incontestable. Mais plus grave pour la Caisse des dépôts et l'avenir même du modèle de gestion des fonds d'épargne, la Cour recommande d'établir "l'existence d'une défaillance de marché avant toute décission ministérielle concernant un nouvel emploi du fonds d'épargne ou le renouvellement d'un dispositif existant comme l'enveloppe de 20 milliards d'euros pour le secteur public local" ... elle va encore plus loin en recommandant au Ministère de l'Economie et à celui du Logement "d'établir et publier une doctrine d'emploi du fonds d'épargne, satisfaisant la double exigence d'une activité d'interêt général et de l'existence d'une défaillance de marché". Autrement dit, en clair, la Cour recommande de limiter le recours aux prêts réglementés sur fonds d'épargne qu'aux activités n'intéressant pas durablement le secteur bancaire concurrentiel afin d'éviter que les prêts de la Caisse ne provoquent des effets d'éviction et ne perturbent le jeu de la concurrence libre et non faussée. Gravissime surtout si l'on considère tous les investissements d'intérêt général et de long terme que les prêts de la CDC sur fonds d'épargne, des logements aux écoles publiques, en passant par les voies ferrées et canaux,  ont permis de financer depuis plus d'un siècle et demi !

Enfin, le rapport public thématique consacré à "l'Etat actionnaire" publié également en début d'année pose également question quand aux réelles motivations de la Cour qui outrepasse ici clairement les limites de sa mission constitutionnelle pour discourir allègrement sur l'intérêt de telle ou telle propriété ou participation publique   que celle ci soit détenue directement par l'Etat via l'Agence de participation, ou via la Caisse des dépôts ou encore par le biais de leur filiale commune BPIFRANCE que la Cour des comptes confond dans un contestable ensemble alors qu'elle exclut d'autres propriétaires publics comme la Banque de France par exemple ??? Pour une analyse plus complète de ce rapport , on pourra se reporter au lien suivant :

https://www.cgtcdc.fr/images/sampledata/publications/Tracts/2017-02-17_note-etat-actionnaire.pdf.

Mais retenons à ce stade, que dans ce rapport, la Cour des comptes indique que "l'Etat actionnaire  (au sens global de son étude, donc y compris la Caisse des dépôts) se révèle rarement le moyen le plus adapté pour contrer en profondeur et dans la durée la perte de compétitivité et la désindustrialisation de l'économie française" et de préconiser "une cure d'amaigrissement...pour cantonner son rôle à des motifs précis comme le sauvetage d'entreprises dont la défaillance comporterait des risques systémiques ou la protection d'entreprises présentant des intérêts essentiels pour la sécurité nationale" . Plus précisément sur la Caisse des dépôts, la Cour des comptes se demande par exemple si "la CDC doit continuer à être un actionnaire d'une entreprise d'assurance totalement banalisée (CNP) ou d'une société de services exploitant des stations de ski et des parcs de loisirs  (compagnie des alpes) ?". Se faisant, et au delà des considérations idéologiques ultra-libérales qu'il contient, ce rapport thématique méconnaît une fois de plus quelques principes fondateurs de la Caisse des dépôts : d'une part, son  principe d'autonomie, garantie par l'autorité du parlement, vis à vis du pouvoir exécutif  qui fait que son patrimoine et ses fonds propres même s'ils sont propriété de la République, ne peuvent être confondus avec ceux placés sous le contrôle du gouvernement pour la bonne raison que c'est précisément pour éviter celà que la Caisse des dépôts a été créée il y a plus de 200 ans ; d'autre part, le fait que la Caisse des dépôts constitue aujourd'hui, de par la loi, un groupe public d'intérêt général constitué de la CDC et de toutes ses filiales. Ainsi les filiales et les participations dites stratégiques de la Caisse des dépôts ne peuvent être analysées  de la même façon que tous les actifs financiers dans lesquels elle peut être amenée à investir.

Méconnaître ces deux principes, c'est réduire la Caisse des dépôts à un simple fonds d'investissement plus ou moins souverain... c'est peut être ce que souhaite la Cour des comptes et d'autres idéologues ou candidats à l'élection présidentielle  ...

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