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Billet de blog 3 mars 2016

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Trahison codifiée

Le projet de loi El Khomri est à l'image de la communication officielle, il affiche des annonces séductrices, mais un tel texte amendé ou pas ne tend qu'à ramener les salariés vers la condition ouvrière du lendemain de 1789. Une seule réponse juste : le refus clair, net et massif.

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Le projet de loi El Khomri est à l'image de la communication officielle, affichant des annonces séductrices, démenties deux lignes plus bas par des précisions qui se concrétiseront immanquablement à l'opposé de la jolie formule d'introduction.

Ainsi « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail », mais « Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées […] par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise [...] ». Définies par l'employeur!

Tout le texte est de cette eau : il s'agit de « donner plus de poids à la négociation collective ». Laquelle au niveau d'une entreprise primera sur les accords de branche en l'absence d'une loi qui devrait être applicable à tous. Ce que garantit justement le code du travail : un minimum de droits pour tous les salariés, que les employeurs étaient tenus de respecter. Les fraudes étaient nombreuses, mais au moins l'Inspection du Travail et les Conseils de Prud'hommes exerçaient-ils un pouvoir de contrôle et de sanction. Qui peut croire que la suppression d'une bonne part de leurs pouvoirs, comme l'organise le projet de loi, va aider en quoi que ce soit le moindre salarié ?

Se défendre entreprise par entreprise, nous avons en dépit du bon sens largement testé, ça ne marche que pour le patron. Pire encore, le salarié va être appelé à négocier seul face au patron, par ex. pour signer son contrat d'embauche personnalisé, qui pourra convenir d'un forfait-jour... Sûr qu'un(e) bougre(sse) qui cherche anxieusement un gagne-pain va négocier sans complexe avec un patron aux exigences « raisonnables » ! En outre le patron pourra modifier ce contrat à tout moment « en cas d'accord », augmentant le temps de travail et/ou baissant le salaire, et le salarié qui refusera sera licencié pour faute ! En fait de négociations, nombre d'articles concluent : « L'employeur fixe…, il s'assure... », tandis que le salarié est « informé », pas toujours d'ailleurs, ou sans délai lui permettant d'organiser sa vie privée en cas d'astreinte par ex. Quant aux délégués du personnel, c'est « s'ils existent », au lieu de rendre la chose obligatoire ! Le contournement de l'affirmation : « La durée légale du travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine » est programmé dans le texte : même les apprentis pourront être appelés sans justification à travailler 10 heures par jour et 40 heures par semaine. La durée du travail quotidien pourra passer à 12 heures, le temps de récupération entre 2 jours n'étant plus assuré, et la durée du travail hebdomadaire pourra monter à une moyenne de 46 heures comptée sur 16 semaines, avec possibilité d'exiger 60 heures par semaine. Sans parler des forfaits/jour qui laissent toute latitude, avec une seule contrainte : 11 heures de repos consécutives. Dorénavant elles pourront être fractionnées ! Les heures supplémentaires pourront n'être majorées que de 10 %, ou ne jamais paraître puisque décomptées sur 3 ans voire plus ! Les licenciements déjà facilités en 2008 le seront davantage : ce qui était un délit devient légal, par ex. une filiale pourra être considérée en difficulté sans tenir compte des résultats du groupe... Par contre les indemnisations des salariés sont plafonnées ! (réductions de moitié calculées sur les moyennes obtenues). Je passe sur quelques autres ignominies, dont l'affaiblissement des Comités d'Hygiène et de Sécurité ou du rôle des syndicats… Quel que soit le sujet les employeurs n'encourent plus aucun grief en droit, les salariés leur sont livrés pieds et poings liés sans recours, aux antipodes de la démocratie économique. « Nous sommes les sacrifiés » disait la chanson de Craonne interdite jusqu'en 1974, chantant la boucherie du Chemin des Dames. Ce qui est vrai à la guerre l'est aussi dans l'entreprise : il y a la chair à canon et la chair à trimer. Et les « mains blanches » qui récoltent les dividendes.

A l'instar des licenciements, on voudrait nous faire croire que la sujétion à l'augmentation à volonté ou presque des horaires de travail et la paupérisation des travailleurs feraient reculer le chômage ! Le seul moyen d'éradiquer le chômage, c'est de partager le travail. La quantité de travail humain nécessaire au maintien de notre productivisme (totalement contestable) a diminué de moitié depuis un siècle, est-ce pour vivre mieux ou pour être esclavagisés ? Au lieu de courir après n'importe quel job, si nous supprimions les gaspillages et les travaux nuisibles qui tuent la vie et si nous nous décidions enfin à cultiver la biodiversité et à construire de beaux objets solides et bien conçus, on peut estimer, sans risque de se tromper en excès, à une bonne moitié des emplois existants ceux qu'il faudrait arrêter parce qu'ils sont inutiles ou mortifères, et ce n'est donc pas à 30 heures/semaine qu'il faudrait aboutir, mais à 20 ou 15 heures. Pourquoi cela devrait-il nous faire lamenter au lieu de nous réjouir ?

Il faut et il suffit de changer radicalement de politique, mais au lieu du partage rationnel et nécessaire pour pouvoir tous vivre bien, MEDEF et gouvernement nous veulent soumis : d'un côté ceux qui souffrent au travail, de l'autre ceux qui pleurent pour avoir un emploi, scindant la société en salariés corvéables à merci et en privés d'emploi aux droits sans cesse amoindris si toutefois ils en ont. Et ils en rajoutent : le salarié paupérisé n'aura plus droit à la stabilité affective, au moins à retrouver sa famille ou ses amis les week-end, les soirées, les congés, les jours fériés… ses horaires deviendront imprévisibles. Et pourquoi donc travaillons-nous ? Uniquement pour la fortune des actionnaires ou parce que cela est censé améliorer nos vies ? Ce gouvernement a déjà privilégié les soi-disant « investisseurs » à coup d'exonérations de cotisations et à coups de milliards d'argent public qui aurait été mieux utilisé à nous rendre indépendants du patronat en créant par ex. des coopératives...

Penser amender un tel projet de loi, c'est souscrire globalement à ses visées délétères. Une seule réponse juste : le refus clair, net et massif. Changer le code du travail pour donner aux salariés des pouvoirs décisionnels dans les entreprises, diminuer la durée légale du travail, augmenter les salaires, pourquoi pas ! Refonder complètement les relations de travail en établissant une société d'égaux décidant ensemble quelles seront leurs productions, comment elles seront mises en œuvre et réparties, cela deviendrait intéressant. Mais régresser aux lendemains de 1789, c'est une monstruosité, et c'est ignoble. D'avoir seulement envisagé une telle loi mériterait la destitution immédiate d'un gouvernement qui n'a fait que trahir ses promesses creuses.

Gdalia Roulin, 29 février 2016.

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