Dépourvus politiquement de solution satisfaisante dans l'immédiat, nous sommes rendus à un point crucial dans une situation très complexe où bien des cartes sont brouillées, et où il importe d'être efficaces car la pente est glissante qui peut nous mener dans des engrenages catastrophiques.
Nous serions prêts à sacrifier nos libertés contre une sécurité illusoire, réalisant donc un des objectifs de Daesh qui est un État totalitaire organisant un fanatisme aux ordres d'un pouvoir absolu, instrumentalisant la religion pour justifier sa dictature extrême-islamiste qu'il est décidé à mondialiser.
Dans une escalade violente quelques excités sont prêts à repartir en « ratonnades » au faciès comme au bon vieux temps de la guerre d'Algérie, sans réfléchir que teint mat n'équivaut pas à musulman, et que ceux-ci le sont généralement d'une façon pacifique qui respecte les lois du pays. Nos clivages œuvrent pour Daesh qui veut morceler le peuple français - je parle du peuple, non de l'union sacrée de sinistre mémoire. Diviser pour régner : fragiliser la France qui deviendrait ainsi un réservoir de futurs djihadistes parmi les persécutés.
De plus faut-il fermer les frontières à des malheureux qui ont fui la mort sous les bombes de M. El Assad ou d'autres, et la misère infernale créée par les guerres (et la sécheresse), qui ont tourné le dos à l’État Islamique (EI) et bravé des obstacles insensés pour rejoindre les démocraties occidentales ? Les réfugiés sont victimes au premier chef de ces guerres dont nous venons juste d'avoir un aperçu tragique. Ils ne peuvent rentrer chez eux. Ne les renvoyons pas à la merci de l'EI qui les recruterait de force.
Prétendre arrêter les terroristes en fermant les frontières est un leurre. Et les djihadistes ne laissent ostensiblement des traces de leur passage que pour manipuler l'opinion. Le FN qui veut bloquer les réfugiés va-t-il aussi stopper le tourisme ? La circulation des marchandises ?
Le Califat proclamé en juin 2014 à Mossoul est aussi grand que l'Angleterre. D'après les Services de Renseignements, il compte sur le sol qu'il occupe 35.000 djihadistes étrangers de 115 nationalités dont 20 % sont francophones et environ 1.800 Français.
Qu'est-ce qui attire ces jeunes ?
Mme Bouzar, mandatée par le Ministère de l’Intérieur depuis avril 2014, dirige le Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam qui a aidé plus de 700 jeunes approchés par les djihadistes. Elle dit qu'ils avaient tous rêvé d’un monde meilleur, croyant partir sauver des enfants gazés par Bachar Al-Assad et aller combattre celui-ci. Daesh leur parlait d’un monde fraternel sans pauvres ni violence. Ils ignoraient que Daesh tue ceux qui ne lui sont pas complètement soumis. Les rabatteurs personnalisent leur discours et appliquent des méthodes sectaires. Ils font oublier au jeune ses souvenirs, qui il est, expliquant que s’il est mal dans sa peau c’est qu’il est élu par Dieu, et le persuadant d'un complot contre les rares pratiquants du vrai islam. Le discours djihadiste sur les victimes est envahissant, obsédant et convainc les jeunes que les musulmans sont massacrés dans l’indifférence. Les vidéos de propagande additionnant Centrafrique, Birmanie, Palestine, Syrie sont d'une dureté insoutenable, avec l'objectif de susciter chez les recrues la haine contre tous ceux qui ne s'engagent pas, tant et si bien qu'ils finissent par se sentir prêts à tuer ceux qui ne sont pas dans le même camp qu’eux.
Ce sont les parents des jeunes filles qui appellent le plus souvent. Contrairement à nos fantasmes, la plupart sont issues de la classe moyenne, de référence plutôt catholique ou athée et n’ont pas connu l’immigration. Elles sont filles de professeurs, fonctionnaires, avocats, médecins…Certaines sont d’origine maghrébine mais ce n’est pas la majorité, 3 % viennent de familles juives. Et beaucoup de ces jeunes Françaises ont de 14 à 16 ans ! Toutes altruistes et sensibles à l'injustice, elles ont toutes twitté qu’elles voudraient être infirmières, médecins, assistantes sociales.
Lorsqu’un jeune s’en sort, son ambition primordiale est de témoigner pour que d'autres ne tombent pas dans le piège. Mais ils sont fichés comme terroristes, en attente de leur procès et risquent la détention. C'est de son expérience auprès de ces jeunes dont parle ici Madame Bouzar.
Et nous voudrions condamner systématiquement cette jeunesse revenue de très loin, qui veut et pourrait avant tout se rendre utile, au lieu de retisser des liens avec elle ?
La France aurait une toute autre allure si nous étions de réels humanistes au lieu de pratiquer une « real politic » obscène qui confond l'intérêt national avec celui des gigantesques entreprises qui nous vampirisent. Nous aurions pu développer depuis un siècle une énergie raisonnablement propre, hors pétrole et hors nucléaire. Que nous importent Total et Areva ? Nous aurions été précurseurs et aurions même pu être fiers d'exporter des techniques propagatrice de bien-être dans le respect de la nature. Nous aurions infiniment moins de cancers (entre autres immenses avantages), préservant aussi le climat, et aurions évité quelques « interventions » qui n'ont pas embelli l'image de la France dans un « pré carré » africain qui n'a gagné qu'une apparence d'indépendance depuis le temps des colonies. Car les « dommages collatéraux » peinent à emporter la sympathie des populations touchées.
Cela aurait aussi beaucoup plus d'allure de nous être interdit toute vente d'armes, lesquelles auraient été strictement réservées à notre défense le cas échéant.
Et nous nous serions consacrés au bien-être des habitants du pays au lieu de creuser des inégalités monstrueuses et générer divisions et exclusions, orchestrées par des dirigeants qui auront servi finalement les intérêts de Daesh ou de ses éventuels semblables. D'aucuns comme peut-être Annie Lacroix-Riz iront jusqu'à dire que le fascisme est le dernier rempart du capitalisme quand celui-ci vacille. Et pourraient faire le parallèle avec la situation d'après 1936 en France, où le fascisme envahit la France par la guerre, avec une reddition devant le IIIe Reich programmée d'après elle depuis les années 20. Aujourd'hui, Daesh qui s'attaque d'abord aux territoires arabes où il a établi sa domination, qu'il veut répandre, et qui menace tout l'Occident, fonctionne essentiellement comme un État nazi sous l'absolutisme d'un pouvoir hiérarchisé à l'extrême, prétendant à une totale purification interne et à l'expansion illimitée sur l'extérieur, et fondé sur la force armée et la déshumanisation de ses combattants, à qui l'on a appris à chosifier ceux qu'ils vont assassiner, comme faisaient aussi les nazis.
Gdalia Roulin, lundi 30 novembre 2015.