Il est effarant de voir les meilleures idées se concrétiser à l'inverse de ce que l'on espérait voir se construire, selon le contexte et l'interprétation qui en est réalisée.
Ainsi à la dictature du prolétariat que Marx croyait nécessaire pour abolir l'exploitation de l'homme par l'homme s'est substitué le capitalisme d'État sur un mode totalitaire.
Dans le même ordre d'idée, voudrions-nous supprimer le poids de l'État, son centralisme jacobin et son autoritarisme au service des trop-puissants de ce monde ? Il est en train de se déliter sous nos yeux. Victoire ? Au contraire : loin d'être une conquête démocratique (étymologiquement démos : peuple, kratos : gouvernement, soit « gouvernement du/par le peuple ») il s'agit de l'abandon par les politiques professionnels de haut vol du pouvoir entre les mains de l'establishment privé, orchestré par ce monstrueux rejeton de l'OMC, le TAFTA (autrement dénommé grand marché transatlantique, PTCI ou APT).
Ce traité menace d'être signé vers la fin 2015 entre les USA etl'Europe. Et un traité de même nature est en cours entre le Canada et l'Europe, l'AECG. Ces traités abdiquent tout pouvoir en faveur des firmes transnationales, comme Rockefeller l'avait souhaité ouvertement : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l'entité adéquate pour le faire » (magazine Newsweek le 1/2/1999). En effet les lois et la justice ne seraient plus les apanages de l’État mais seraient inféodés aux accords de commerce internationaux et dépendraient de tribunaux privés, de ces officines qui donnent toujours raison aux géants industriels y compris contre les États.
C'est l'impuissance organisée, contractualisée par l’État non pas pour laisser la place aux initiatives et à la volonté populaires, mais pour se soumettre aux obligations édictées par les multinationales, sans recours. Le mécanisme de règlement des différends prévu dans ces traités permet aux firmes privées d'agir contre les pouvoirs publics à tous les échelons, nationaux ou locaux, dans tous les domaines couverts par les accords c'est à dire pratiquement tous, faisant fi des juridictions des pays, sur lesquelles les décisions des tribunaux privés dits « d'arbitrage » ont la préséance, et leurs verdicts sont immédiatement applicables, sans instance d'appel. Et ils sont éminemment contraignants, puisque ce genre de tribunal au service des firmes privées inflige des amendes aux États par millions. Par exemple, si le TAFTA est signé, une loi française d'interdiction de l'exploitation des gaz de schistes ne résistera pas à la plainte d'un investisseur américain contre l’État français. Nous serions en outre condamnés à payer des amendes exorbitantes.
C'est le retour annoncé des privilèges et du pouvoir absolu, non d'une quelconque lignée royale, mais aux mains d'une caste de milliardaires disposant à leur gré de nos vies, de nos ressources et de tout ce qui compte à leurs yeux sur la planète, au mépris total, à ce que l'on constate déjà, de la biodiversité et de nos conditions d'existence.
Perversion de l'idée, encore une fois, avec le transfert de certaines compétences de l’État aux Régions. Nous aurions pu nous attendre à voir ainsi grandir l'autonomie à la base, que plus de pouvoirs soient exercés par les citoyens. Au lieu de cela les instances de décisions s'éloignent de nous. Il est question de supprimer les communes, ou des communes, nous avons échappé de peu à la suppression des départements, et le pouvoir régional est en général mis géographiquement à distance. Sont éloignés pareillement les services publics qui restent (quoiqu'en bonne voie d'être bradés au privé qui va rentabiliser toutes ces affaires pour son profit, ceci correspondant parfaitement aux objectifs du TAFTA). Nous aurions pu espérer voir se détricoter le règne des notables qui semblent mystérieusement inamovibles dans leurs fiefs, au contraire il semble que nous allons assister à la restauration d'une certaine féodalité.
Si nous voulons gagner en démocratie, pouvoir décider nous-mêmes de la façon dont nous voulons vivre, pouvoir améliorer nos qualités de vie, faire avancer la liberté, l'égalité et la justice, mettre en œuvre de manière pérenne les belles solidarités qui se manifestent activement et spontanément lors des catastrophes, à St-Affrique et dans tous les pays victimes de désastres, si nous voulons ne plus laisser effectuer les choix décisifs concernant l'accroissement ou la décroissance du trop fameux PIB et concernant le respect de nos milieux de vie par des dirigeants hors sol, il est sûr que ça ne viendra pas d'en haut et qu'il faudra y travailler sérieusement ensemble.
Gdalia Roulin, 3 décembre 2014