A Choupinette, ma petite chienne morte à l'automne 2006.
La mort nous efface. C'est un scandale absolu.
Elle engloutit et noie nos amours les plus beaux.
C'est une vieille salope, charognarde et têtue,
qui vient pourrir nos chairs et disperser nos os.
Elle éparpille ce qui fut nous, nous décompose,
elle nous replonge au sein du bouillon primordial,
parmi les éléments. Et nos tapis de roses
voilent de leurs pastels des humeurs de crotale.
Où donc passe ta vie, toi qui meurs aujourd'hui ?
Que deviens-tu ? Toi que j'aimais, que j'aime encore,
tu n'es plus que l'image inerte, étrécie,
de l'être que tu fus. Je ne vois qu'un corps mort,
en proie à la violence de la corruption
qui dévore l'intimité de ta chair qui gît.
Souffle et cœur immobiles. Glaciale. Sans réaction.
Tes yeux se sont figés et ton regard s'enfuit.
Te voilà disparue, toi que j'ai tant chérie.
La terre digère ton corps enfoui sous les pierres,
où poussent à la saison les fleurs du myosotis
semé avec ferveur, bleu lumineux, éclair
de pure beauté complice, doux clin d'œil qui pétille,
jolie plante d'amour fidèle, d'une émotion
tendre, discrète et fine, bleu frais sur des brindilles
vivaces, généreuses, poussant dru à foison.
Petite fleur, qui fait si bien penser à toi…
Puisque donc nous partons, qui sait où allons-nous ?
Hier heureux d'être ensemble et confiants, nous voilà
séparés sans recours, souffrant comme des fous.
Ce qu'on a ardemment, complexement aimé,
nos sensations subtiles, multiples réflexions,
tous nos agencements sensibles de pensées,
nos grands élans de vie, nos fortes convictions,
tout ce qui nous fait nous, matrice, valeurs, mémoires,
notre façon unique d'être au monde agissant,
la sagesse durement apprise de nos histoires,
tant d'efforts, tant de luttes, tant de désirs puissants,
tout va-t-il donc couler à jamais dans l'abîme,
et les traces à la fin en seront oubliées ?
Mort implacable, je te hais, je t'abomine,
même si autrefois j'ai pu te désirer.
Mort infâme, un jour c'est moi que tu feras taire.
Et si au-delà du passage il n'est plus rien,
pas d'espoir de se retrouver, ni de renaître,
et pas la moindre chance de rebâtir les liens
qui donnaient sens à nos destins en profondeur,
qui remettaient en perspective dans l'espace
les lignes de force dans nos vies, marquant nos cœurs
et notre trajectoire dont l'écho nous dépasse…
Si à jamais tout se disloque et tout s'effondre,
s'il n'y a qu'atomes errants à l'aventure,
s'éparpillant ou s'accrochant, sans correspondre
au retour des individus dont rien ne dure,
si notre énergie va se perdre dans la masse,
amalgamée sans s'aimanter, se définir,
nous, poussières d'étoiles, n'avons que peu de place
entre les cosmogonies des deux infinis.
Si c'était vérité, nous n'aurions que l'instant,
ici et maintenant. Carpe diem. Rien de plus.
Rien de moins il est vrai. Tout n'est que mouvement.
Tout passe et tout s'efface. Et nous aurons vécu.
Gdalia, fin août 2009.