La lutte contre la scandaleuse attaque du code du travail nous mène droit à la question fondamentale de la nature d'un pouvoir capable de vouloir de tels abus, perpétrés dans l'hypocrisie et la manipulation «communicationnelle» permanente. C'est toujours «pour notre bien» que nos droits et nos libertés sont piétinés.
Le projet de loi El Khomri doit être retiré. Complètement. Et donnons-nous collectivement les moyens d'empêcher le retour de projets semblables. Au contraire nous devrions expérimenter des possibilités de vie meilleure, avec des bilans d'actions et des recherches d'améliorations constantes. Que cesse cette politique au service de l'extrême minorité qui planque des sommes astronomiques dans les paradis fiscaux, dont 80 milliards par ans ponctionnés en France !
Le gouvernement travaille à précariser froidement des pans entiers de la population, persécutant et divisant. Il privilégie outrageusement la caste hors sol des ultra-riches, et voudrait nous réduire à l'impuissance en sabotant légalement nos droits pourtant limités et en criminalisant l'opposition, espérant le pourrissement de la lutte. Il utilise la violence pour intimider les manifestants et ceux qui les regardent, fichant systématiquement les participants et fabriquant des casseurs qui peuvent être des petits groupes de personnes en rage, ou des provocateurs policiers chargés de discréditer ce mouvement pourtant de salubrité publique ! Il a lancé la force armée d'abord contre la jeunesse qui manifestait simplement, tentant de présenter « les jeunes » comme une entité séparée, et renversant la responsabilité de la violence avec la perversité coutumière aux pouvoirs en place.
Certains s'apprêtent à récupérer la lutte, et prétendront un jour ou l'autre la représenter, comme les directions syndicales qui n'ont fait qu'accompagner mollement un mouvement issu directement du peuple, ne proclamant surtout pas la grève générale illimitée que la situation appelle, laissant comme d'habitude des grèves éclater l'une après l'autre, et elles sont nombreuses.
Les politiciens professionnels ne se mêlent pas à la plèbe, mais ils s'en réclameront bientôt comme M. Sarkozy de Guy Môquet ou M. Hollande de Jaurès… Bien sûr un politique sincèrement humaniste serait naturellement curieux de ce qui se passe et appuierait les manifestants.
Les uns disent :«Rentrez à la niche, (comme en 68 et tant d'autres fois) et laissez-nous vous représenter et négocier pour vous». Moyennant quoi on obtient les dérisoires accords de Grenelle, mis depuis à toutes les sauces, puis les Français votent pour «l'ordre et la sécurité». Le résultat est sous nos yeux.
Ou : changeons justement ces règles du jeu, ces institutions asservissantes pour le plus grand nombre, changeons cette constitution monarchique, refondons les lois et les rapports de force iniques qui régissent notre société.
Le mouvement s'organise lui-même. Préfiguration d'un nouvel ordre social à inventer ? La joie du succès initial étonnant d'une mobilisation, et le besoin inné de faire groupe lorsqu'on s'engage ensemble crée l'illusion de l'achèvement de la mobilisation. On fait comme si tout le monde savait, d'où s'ensuit l'affaiblissement du mouvement et la singularisation des mobilisés dans l'ensemble de la société, que le pouvoir accentue tant qu'il peut. Soyons constructifs. Il est décisif de parvenir à nous rassembler toujours plus nombreux. Il ne faut pas croire que si nous sommes informés, le reste du monde l'est. Pour de multiples raisons c'est faux. Encore aujourd'hui nombre de gens n'ont que des notions floues sur le projet de loi El Khomri, ou ne savent pas le nom de la ministre du travail. Attachons-nous à réunir la multitude de tous ceux qui, bien qu'objectivement hyper concernés par la démolition des droits sociaux en cours, sont encore aux marges de la contestation ou la désertent pour divers motifs. Non qu'il faille chercher un consensus tous azimuts, au contraire, il faut savoir rompre avec les ordres établis criants d'injustice et mortifères. Gardons juste ce but à l'esprit, informer,mobiliser partout,sans nous focaliser sur le gouvernement dans une relation dominants-dominés ni sur des élus sclérosés dans leur exercice du pouvoir et cramponnés à leur poste dirigeant. Quittons ce cadre infantile.
Il s'agit de cesser de s'en remettre ou de s'en prendre à des figures ou à des lieux d'autorité dans des actions symboliques. Sortons de l'imaginaire des scoops successifs dont l'un chasse l'autre auquel nous sommes inféodés, facteurs d'audimat, sans plus. Sinon nous aurons engendré quelques héros ou martyrs romantiques, victimes offertes à notre admiration, vite teintée d'amertume car ces actions d'éclat sont vouées à l'échec et servent la propagande répressive. Et certes, les réjouissances folkloriques sont plaisantes et peuvent détendre l'atmosphère, mais ne leur donnons pas trop d'importance. Nous ne sommes pas une entreprise de pub. Le temps est venu de s'attaquer sérieusement aux problèmes.
Créons une marée humaine de la contestation, et de la construction innovante. Imaginons un autre fonctionnement social, une démocratie où nous soyons réellement égaux et libres. Travail de fourmi peu glorieux mais essentiel. Osons penser que c'est dans la réalité que nous allons faire bouger les lignes et jeter ensemble les bases d'un nouveau contrat social, où nos voix et nos vies à tous seront respectées.
Gdalia Roulin, lundi 11 avril 2016.