Bernard Friot a donné le 21/3/2015 à St-Affrique une conférence sur l'émancipation du salariat, suivie de débats généreusement poursuivis en atelier le samedi matin. Bernard Friot est économiste, professeur d'université émérite en sociologie, retraité. Il a consacré des années à mener une recherche sur l'histoire de la sécurité sociale, compulsant des archives négligées par les colporteurs d'idées reçues. Il revendique la paternité du « salaire à vie ».
Chacun dès sa majorité ouvrirait droit pour la vie à un salaire socialisé. Comme dans la fonction publique ou pour les retraités, le salaire serait attaché à la personne (productrice de valeur globale), au lieu d'être l'attribut d'un emploi, lequel dépend de l'embauche ou du renvoi décidé par un propriétaire dont l'activité dans ce cadre se résume à prélever, du fait de son statut de propriétaire, des dividendes sur la valeur que produit le travail. Travail et emploi étant 2 choses différentes. Le travail produit les valeurs d'usage concrètement utiles sans être forcément rémunéré. Tandis que dans notre système social l'emploi est supposé avoir seul une valeur économique, reconnue monétairement. La définition de ce qui a ou n'a pas de valeur économique reflète en réalité l'état des rapports de force dans la société. Ainsi soigner sa vieille mère chez soi ne sera pas considéré comme productif. Si une aide familiale exécute les mêmes tâches, on dira qu'elle travaille. Ce n'est pas la nature du travail qui change, c'est la sujétion ou non à un employeur qui nous fait advenir ou nous jette en tant que salariés. En fait c'est l'emploi qui crée le chômage. Sont réputés inactifs ceux qui ne rapportent pas de profits au propriétaire du poste de travail ! Le problème n'est ni la propriété en soi ni l'échange marchand, c'est la rétribution parasite de la propriété.
Pour comprendre ce qui se passe, il faut regarder à l'échelle macro-économique. La somme des valeurs (bienfaisantes ou nocives) que nous créons et qui sont l'objet de transactions monétaires est le PIB. En France environ 2 000 milliards/an actuellement. Les propriétaires en ponctionnent 700 à 800 milliards, dont en gros 300 s'évaporent en jeux de casino boursiers, 100 vont à des dépenses somptuaires, et 300 vont à l'investissement productif, mais ils sont réinvestis sous forme de prêts, selon la formule de Bernard Friot : « Tu produis, je te pique, je te prête, tu me rembourses ». L'enjeu idéologique est de nous faire croire à la nécessité du prêt pour investir, alors que ce qui est investi résulte du produit de l'année.
Il suffit de cesser de payer des dividendes aux actionnaires et autres usuriers pour remettre 700 milliards détournés au pot commun, supprimant le crédit et la dette correspondants. Bernard Friot propose une nouvelle répartition du PIB :
60 % à une caisse de cotisation destinée à régler nos salaires à vie ;
15 % à la cotisation économique dans des caisses d'investissement qui ne vont pas prêter, mais vont subventionner les projets, et nous n'allons pas rembourser une valeur que nous avons produite ;
10 % financeront la gratuité de services tels l'école, la santé, le logement, les transports de proximité, les consommations de base en eau, énergie…,
chaque entreprise gardant 15 % de la valeur produite pour son autofinancement, renouvellement du matériel etc.
Le salaire à vie sera versé par une caisse de salaires selon un taux unique national. La France compte 50 millions d'habitants de 18 ans et plus. D'ores et déjà nous pourrions payer à tous également un salaire net de plus de 2 200 €/mois. (Bernard Friot l'échelonne de 1 500 à 6 000 €) soit 1 250 milliards ou 60 % du PIB, ce qui est déjà le pourcentage affecté aux salaires.
D'autres droits seront acquis à la majorité. Le droit de cogérer les différentes Caisses et leurs déclinaisons locales, et de prendre part à la délibération politique décidant de la production. Et celui d'être propriétaire d'usage de ses outils de travail, propriété procurant leur usage exclusif mais aucun revenu afférent.
Nous serions libérés du chantage à l'emploi et les ressorts sauteraient de la sacro-sainte croissance absurde qui ne vise qu'à multiplier les profits financiers (au mépris du vivant : que le médicament guérisse ou qu'il soit du style médiator, il faut qu'il soit rentable !). Sans préjuger de décisions démocratiques futures qui doivent pouvoir être évolutives, on peut dire qu'un grand pas serait fait vers la possibilité de maîtriser raisonnablement nos choix de vie.
Les institutions sont déjà là dit Bernard Friot, et elles ont fait leurs preuves. Celles de la sécu par ex., gérée de 1945 à 1960 par des salariés élus tous les 5 ans. De Gaulle a supprimé en mai 1960 par décret cette gestion collective de valeurs produites par notre travail, malgré sa réussite. J'ajoute que nous pouvons reprendre ce modèle, ou organiser l'autogestion et sortir de la position d'éternels mineurs économiques et politiques.
L'enthousiasmant dans l'enseignement de Bernard Friot, c'est qu'il nous fait toucher du doigt que ces changements, aussi radicaux soient-ils, sont à portée de main.
Gdalia Roulin, le vendredi 27 mars 2015