Quel est le pays où des habitants en lutte contre un pouvoir politique dictatorial corrompu à la solde de l'oligarchie veulent obtenir :
- Une constitution qui garantisse indépendance, droits et libertés au peuple et aux travailleurs au lieu de servir les néolibéralistes voulant tout marchandiser pour faire profit de tout.
- Une justice qui ne favorise pas les riches en criminalisant les pauvres.
- La protection des cultures, de la terre, des forêts et de l'eau.
- Le refus de privatiser l’électricité, le pétrole, la sécurité sociale, l’éducation etc qui appartiennent au pays.
- Un travail digne et juste et le respect des travailleurs à la campagne et en ville.
- Le droit au logement.
- Le droit à une bonne alimentation.
- Le droit à la santé.
- Une éducation gratuite, populaire (pour tous) et scientifique.
- Le respect de tous et de chacun,des diversités.
- Le respect de la vie culturelle.
- La paix.
Ce pays est le Mexique, mais il aurait pu porter bien d'autres noms dont celui de France à l'heure où le règne capitaliste s'emploie à mettre en coupe réglée et uniformiser la planète entière.
Le 1er janvier 1994 le mouvement zapatiste se déclarait après 10 ans de préparation, le jour de l'entrée en vigueur de l'ALENA, précurseur de ce qui nous attend avec les CETA et TAFTA.. Il y a bientôt 23 ans.
Durant lesquels l'ALENA a déployé sa nocivité. Il ne reste que des ruines de l’agriculture, de l’industrie ou du commerce national mexicains.
Les hommes politiques néolibéraux se conduisent en représentants de commerce bradant les biens nationaux, changeant les lois pour pouvoir vendre les terres communales et des ejidos (propriétés collectives et usufruit attribués à des groupes de paysans pour y travailler la terre sans possibilité légale de la vendre ni de la céder). Favorisant ainsi, prétendaient-ils, le bien de l’agriculture et des paysans qui allaient prospérer. Les entreprises étrangères ont succédé aux grands propriétaires terriens et ont achevé les petits producteurs et paysans avec la complicité des politiciens. Au lieu de nourrir la population, les campagnes produisent pour le marché mondial.
Les transnationales ont avalé les PME et imposent leurs bas salaires et leurs prix élevés. Les ouvriers perdent leur emploi, réembauchés parfois dans des usines-ateliers dorénavant propriétés de l'étranger au labeur sous-payé et aux horaires excessifs.
Les petits commerces ont disparu tandis que se développe le travail clandestin y compris des enfants, exploité par les grandes entreprises.
La qualité des produits s'est dégradée.
Le discours syndical préconise comme ailleurs de retrousser ses manches et d'accepter pertes de salaires et de protections sociales pour que l’entreprise reste. Le système de protection sociale acquis de haute lutte avec la révolution de 1910 est aujourd’hui très mal en point.
Et comme chez nous Uber, il y a «les petits métiers» : un simili programme économique gouvernemental pour que les travailleurs des villes se mettent à vendre du chewing-gum ou des cartes de téléphone aux coins des rues…
Le narcotrafic est en hausse, dont les chefs ont pignon sur rue dans les allées du pouvoir.
Nombre de Mexicains s'exilent aux USA où ils sont exploités, méprisés voire tués.
C'est un processus de domestication d'un peuple et de mise sous dépendance.
Mais beaucoup de gens résistent, ne se rendent pas et ne se vendent pas. Malgré les tromperies du gouvernement et les assassinats paramilitaires en collusion avec la police et l'armée, depuis 23 ans les zapatistes du Chiapas se sont organisés selon leur choix. Expérience durable qui intéresse un territoire comparable à la Belgique.
Le gouvernement rebelle autonome zapatiste s'articule sur 3 niveaux : villages, 38 communes installées progressivement depuis 1994 qui correspondent grosso modo à nos cantons, et 5 zones très vastes qui rassemblent plusieurs communes.
C'est l'EZLN (armée de libération nationale zapatiste) qui annonce la création de ces 5 « Conseils de Bon Gouvernement » en août 2003. Il s'agit de réaliser dans les faits les engagements trahis par le gouvernement (accords de San Andrés reconnaissants les droits à l'autonomie et à la culture indigènes, concernant l'ensemble des peuples indigènes du Mexique (fondé sur les documents internationaux telle la Convention 169 de l'OIT).
Et depuis le 21 décembre 2012 « La Sexta » se définit comme un réseau planétaire de luttes anticapitalistes.
Cependant les organes de gouvernement autonome sont structurellement indépendants de ceux de l'EZLN. Des assemblées sont élues à chaque niveau. L'autorité est conçue comme un service sans rémunération ni avantage matériel, ni campagne électorale. Les candidats sont proposés par les communautés dont ils sont des membres ordinaires, spécialistes en rien et surtout pas en politique. Ces autorités reconnaissent ne pas savoir, elles consultent le peuple et apprennent de lui. Ceux qui exercent une charge au conseil doivent gouverner en obéissant au peuple. Quoique amenés parfois à prendre des décisions urgentes. Et ils ont le devoir de proposer des initiatives pour améliorer en permanence l'organisation de la vie collective. Lorsque les décisions ont été prises collectivement selon un mécanisme défini, ils doivent aussi les faire respecter. En cas de gros projet ou de divergences, le conseil de bon gouvernement consulte l'assemblée générale de zone réunissant les autorités de chaque communauté et municipalité et des responsables des différents secteurs de travail. Si aucun accord clair ne se dégage, les villages sont consultés. Accords, refus ou amendements sont discutés et l’assemblée élabore une proposition rectifiée à nouveau soumise aux communautés. Plusieurs allers-retours peuvent être nécessaires avant la décision finale.
Les communes mandatent leurs élus pour 2/3 ans. Elles envoient 2 à 4 délégués à leur conseil de bon gouvernement, qui se relaient par équipes tous les 10/15 jours afin que leur vie ne soit pas séparée de celles de leur village ni de leur famille.
Les conseil de bon gouvernement veillent aux relations extérieures, et en interaction avec les conseils municipaux au bon fonctionnement des systèmes de santé et d'éducation autonome. Ils veillent à l'équilibre des ressources entre les différentes communes de la zone.
La justice autonome relève surtout des municipalités mais peut remonter jusqu’aux conseil de bon gouvernement. Il s'agit non de punir, mais de médiatiser une réconciliation entre les parties qui négocient restitution ou réparation.
Dans un système non marchand l'éducation autonome s'est développée avec la construction de centaines d'écoles et la formation de nombreux enseignants.
Des travaux collectifs ont financé les cliniques de zone, les micro-cliniques et les agents communautaires.
Les zapatistes se défendent contre l'expansion de la sphère marchande et n'utilisent pas de monnaie entre eux. Ils pratiquent l'auto-subsistance et pour les achats extérieurs ont développé la vente du café et un peu d'artisanat sous forme coopérative et à travers des réseaux solidaires non commerciaux internationaux.
Les choix productifs sont soumis aux assemblées, et évalués selon leurs impacts écologiques et sur le temps disponible. La qualité de la vie importe plutôt que l'économie.
Les charges sont révocables à tout moment, personne n'est indispensable mais tout le monde est important. Par la rotation des charges peu à peu l'ensemble de la population participe aux tâches d'organisation de la vie collective. La politique devient ainsi réellement la « res publica ».
Gdalia Roulin, le 10 octobre 2016.