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Billet de blog 17 novembre 2015

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Ils ne seront pas jugés (10/01/2015)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne suis pas dans le secret des « Services » mais si j'ai bien suivi ce qui s'est dit à la radio les RG ignoraient si les suspects de la tuerie à Charlie Hebdo ont agi en leur seul nom – une fatwa avait été lancée contre Charb qui a pu, entre autres acrimonies, les inspirer – ou s'ils étaient aux ordres d'une organisation djihadiste.

Les suspects ne seront jamais jugés : ils ont été tués tous les trois vendredi 9 janvier 2015 lors des dénouements de leurs prises d'otages à Dammartin et à Vincennes. Tout en admettant que le travail des forces de police était périlleux et que la priorité était de sauver les otages autant que faire se pouvait, et tout en déplorant que des policiers aient perdu la vie dans cette tragédie, néanmoins que les preneurs d'otages soient passés du statut de suspects à celui de coupables avérés du massacre à Charlie Hebdo sans aucun procès a un air de justice expéditive à l'américaine qui fait froid dans le dos. Allons-nous vraiment savoir s'ils opéraient pour El Qaïda ou Daesh ?

Cependant les dirigeants de l’État français affirment que nous sommes « en guerre » et en appellent à l'union sacrée du peuple derrière eux. En guerre contre le terrorisme. Cela ressemble aux grandes proclamations de Georges W. Bush en 2001. Or la politique de M. Bush et ses guerres, loin de supprimer le terrorisme, ont contribué à son développement exponentiel, suivant en cela la même pente que ses prédécesseurs depuis des décennies. Par contre sous le prétexte de protéger son pays il a considérablement restreint les libertés des Américains, et cela nous menace au moins autant que les attentats que l'on nous annonce et dont on nous donne en quelque sorte une représentation.

Quelle macabre ironie du sort : qui aurait pu penser qu'autour du nom de Charlie s'installent si rapidement une sorte de dynamique guerrière et que des agressions racistes soient commises ? Alors que les humoristes assassinés étaient anti-militaristes, anti-racistes, anti-fascistes...

Au-delà de l'émotion que nous partageons et de la révolte naturelle contre le meurtre et contre toute atteinte à la liberté de penser, de s'exprimer et de publier, je me méfie de l'unanimisme autour de héros morts, qui rappellent fort les phénomènes de foule autour d'une victime sacrificielle, bouc émissaire dont on méconnaît complètement la personnalité réelle mais dont la mise à mort ressoude une communauté où les dissensions devenaient insupportables. Et dans notre société certaines fractures sont en effet d'une gravité extrême et le besoin de se sentir appartenir à un groupe solidaire devient vital. Cependant quant à moi je n'oublie pas que bien des défenseurs tout neufs de nos libertés s'employaient hier encore, et sans doute demain, à décider contre nos avis selon leur bon plaisir, à démanteler nos droits et nos conditions de vie, à casser du manifestant pacifique jusqu'à la mort et à désinformer, à manipuler les esprits.

Oui la liberté de la presse doit être défendue. Mais pourquoi oublier si volontiers que beaucoup trop de médias sont aux mains de marchands d'armes ou, par publicité interposée, aux mains des lobbies d'affaires qui n'ont déjà que trop d'influence dans les sphères gouvernementales ? Que font habituellement nos dirigeants pour remédier à cet état de fait ?

Le peuple qui se réveille peut se poser des questions autour de toutes les atteintes aux libertés menées par les pouvoirs en place.

Je n'oublie pas non plus que l'inégalité et la pauvreté croissent exponentiellement en France comme dans bien d'autres pays, de façon concomitante avec le démantèlement des services publics et des aides pourtant modestes aux plus démunis, ce qui est scandaleux en soi, et qui de plus, outre le besoin de trouver un sens à sa vie, favorise les intégrismes et l'implantation de sectes diverses à travers leurs actions caritatives envers des personnes que l’État laisse sans ressources. Les politiciens au pouvoir ont parfaitement leur part de responsabilité dans ce qui nous arrive.

Ils sont aussi responsables du développement du communautarisme qu'ils ont eux-mêmes encouragé par la ségrégation sociale et leur politique du logement, avec aussi toute cette propagande implicite qui nomme toujours les citoyens comme adeptes d'une religion ou d'une autre, oubliant d'ailleurs régulièrement de citer les athées, si bien que certains emploient indifféremment les termes de « musulmans » ou « d'arabes » comme s'ils étaient synonymes ! J'ai eu personnellement des amis chers d'origine maghrébine, gens intéressants qui étaient aussi athées qu'on peut l'être. Affubler quelqu'un d'une religion au faciès relève de la bêtise ou de la malhonnêteté intellectuelle.

Quant à la politique étrangère, il faudrait y consacrer plusieurs pages !

Nos dirigeants se refont une virginité à l'occasion d'un crime obscurantiste qui nous bouleverse tous. Mais les atrocités commises n'ont rien résolu et je ne souhaite certes pas voir la situation empirer.

Gdalia Roulin, 10 janvier 2015

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