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Billet de blog 18 juillet 2015

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Perroquets savants

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pygmées, Pygmées, Pygmées Bakas, Akas, Pygmées,

vous chantiez et vos voix s'élançaient de partout,

légères, elles s'envolaient, claires, elles se répondaient,

solos mélodieux, harmonie entre tous.

Vous vaquiez à vos activités quotidiennes

dans l'espace du chant, joyau de tradition.

Rythmes qui dansent la vie, pulsations qui entraînent,

vibrations ondulantes dans l'accord profond,

superbe joie de vivre dans la libre expression

de l'énergie, transmise des anciens aux vivants,

qui circule dans vos corps et vos cœurs compagnons,

du fond des tripes jusqu'aux confins du ciel, du vent...

Vos envahisseurs blancs disent des inepties

sur votre chant sauvage, primitif, envoûtant,

votre art brut, spontané, aimable et sans souci,

vos coutumes grossières et vos allures d'enfants.

Un voyageur qui vous aimait, débarquant au village,

s'étonna qu'aucun chant ne fête sa venue.

Aucun son ailé n'égayait plus vos parages.

Le silence planait, bizarre et saugrenu.

De quelle malédiction étiez-vous donc frappés ?

Quel était ce malheur ? Qu'était-il arrivé ?

Où était donc passée votre hospitalité ?

Où votre bonne humeur s'était-elle épuisée ?

Pasteurs et missionnaires, appendices de l'armée

des vainqueurs industriels et militaires,

campaient là. Ces détenteurs de La Vérité

distributeurs de miettes, vous plaçaient leurs bréviaires.

Et ces corbeaux en-cravatés vous ont menés

en gros troupeaux brailler leurs cantiques à l'église,

hors-service, ils vous ont interdit de chanter !

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Moi dont le cœur déborde souvent d'indulgence,

j'ai des envies de meurtre ! Ces sinistres crétins

édictent Leur Loi, vous contraignant au silence,

seuls connaisseurs, bien sûr, et du mal, et du bien !

Tout comme les jacobins ont détruit les patois

à grands coups de mépris, de lourdes punitions,

parfois en soudoyant. Vous n'avez plus le choix,

votre terre est pillée par les exploitations.

Et ils vous ont jugés coupables d'indécence,

vous qui viviez sans honte à l'abri des grands bois,

vous voilà loqueteux, à faire pénitence,

enlaidis de haillons convenant au bon droit !

Cette civilisation qui s'imagine l'unique,

qui empeste la terre, la mer et le climat

fonce sur sa lancée, mortifère et cynique,

pour le seul bon plaisir d'une poignée de malfrats,

honorés maîtres du monde et de la technique,

avides de profits et de domination.

Toute autre société décrétée archaïque,

ils répandent partout leurs durables poisons,

prétendant enseigner aux peuples comment vivre,

acharnés massacreurs, perpétrant leurs saccages,

écrasant au passage la voix des hommes libres,

dédaignant l'expérience d'êtres beaucoup plus sages.

Et moi qui ait grandi dans des lieux bétonnés,

assoiffée de verdure et d'étoiles dans la nuit,

j'aurais aimé pouvoir me couvrir de feuillées,

être née au pays d'amoureux de la vie.

Humains marchant pieds nus sur la terre nourricière,

qui éprouvez l'élan vital de la nature,

vous qui sentez respirer les grands arbres fiers

et fraternels, qui en comprenez les murmures,

vous qui voyez courir la sève sous l'écorce,

vous pour qui le ruisseau babille, le large fleuve

ami apporte l'abondance avec sa force ;

et la cascade rit, l'eau rugit, dort, abreuve...

et le feu du soleil donne source à la vie,

le grand ciel sourit bleu quand une nue paresse,

il tonne et gronde rouge, tempête et pleure gris,

puis s'apaise... Et le vent nous pousse ou nous caresse…

Vous qui savez que tout s'anime, que tout remue,

ne laissez pas les noirs charognards vous châtrer,

courbés devant la croix, qui a tué Jésus

et tant de révoltés aujourd'hui oubliés.

Au diable les diktats de perroquets guindés,

pantins aux dents serrées, aux mâchoires soudées,

crachant leur bien-pensance et leur morosité,

pétrifiés de panique et de fausse gaîté.

Puissiez-vous en chantant braver les interdits,

chanter sur tous les tons, à gorge déployée,

vibrants de sensations, à pleines voix hardies,

se détachant puis refluant comme les marées.

Chantez, chantez encore, dans la langue de vos pères,

vos chants qui nous transportent au plein cœur des forêts,

sonorités bruissantes de feuillages verts,

Dessinant des reliefs vifs, brillants de beauté.

Qu'elles viv'nt encor longtemps, vos douces mélopées,

couleur de végétal aux voix entrecroisées,

que, d'échos en échos, le village en entier

reprend avec entrain au long de la journée,

et chacun a sa place dans la vraie communion

de l'esprit et du cœur, tandis que le cœur bat,

que la vie coule épanouie à l'unisson,

plongeant des racines au cosmos. Hymne à la joie.

Gdalia Roulin, fin octobre 2009.

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