La méthode Macron, vieille méthode éprouvée, fonctionne à ravir jusqu’à présent. Annonces tranchantes mais sibyllines tempérées de déclarations d’intentions les meilleures. « Partenaires sociaux » conviés à se concerter en gardant flous ou secrets les textes prévus jusqu’à leur signature, alors que le président et son entourage suivent à l’évidence une ligne préétablie. Ces réunions à l’initiative du gouvernement lui donnent un air démocratique, et provoquent infailliblement la division des organisations susceptibles de protester, le carriérisme de certains dirigeants les poussant à se montrer des plus conciliants malgré la gravité des sujets, tels la destruction du code du travail etc... De plus la maîtrise des tempos affaiblit l’opposition, avec la législation ultra-rapide par ordonnances, coupant l’herbe sous le pied des opposants qui ont très peu de temps (et d’espaces) pour faire entendre leurs arguments (et qui sont en général outrageusement caricaturés par les commentateurs patentés). Cela empêche que chaque citoyen puisse s’informer, mûrir sa réflexion, puis éventuellement se mobiliser en connaissance de cause, et derechef la présidence - qui fait mine d’être bien au-dessus des remous qui agitent la France en les regardant d’un sommet quelque part aux USA ou en Europe, capable de médire des manifestants français dans des discours prononcés à l’étranger - passe à d’autres annonces, les désastreuses qui seront adoptées à grande vitesse, d’autres que l’on dirait propres à désamorcer toute critique avec un Macron prenant des allures de chef profondément soucieux de justice sociale et du bien-être de ses concitoyens.
C’est le cas avec le discours de Rungis. Progressivement M. Macron y appuie de plus en plus sur ce qu’il appelle un plan conçu collectivement, insistant sur le partage de responsabilité avec les acteurs du monde agricole quant aux mesures qui seront prises. Pourtant au cours des états-généraux de l’alimentation maintes propositions ont été snobées. Il demande aux producteurs, transformateurs et distributeurs de s’accorder sur un projet à lui proposer. Ceci sur une base qui ne peut que convaincre les paysans et n’importe quel citoyen épris de justice : les prix fixés doivent rémunérer correctement les producteurs. Gageons cependant qu’au cours des négociations à venir, si ceux qui tiennent le haut du pavé sauront tenir leur cap, ceux qui d’habitude sont exploités et dont les avis sont d’ores et déjà ignorés, se retrouveront à la sortie scindés entre partisans du compromis et radicaux.
Les participants sont priés de rendre un rapport fin décembre… L’urgence toujours, toujours mère d’abus… De fait les négociations producteurs-grands distributeurs existent déjà, sur le modèle de celles qui vont se poursuivre dans les entreprises entre patrons et employés atomisés. De ces concertations en cours peut-il sortir du neuf, ou serviront-elles d’abord la communication gouvernementale, comme pour la casse du code du travail, et à coincer les gens dans leur loyauté participative ?
Là encore M. Macron veut légiférer par ordonnances. Rien que pour nous servir au plus vite bien sûr ! Il ne prévoit pas de cadrer les marges pourtant scandaleuses des supermarchés. Par contre les grands médias ont déjà commencé l’offensive sur des clients qui seraient prêts à payer plus cher une alimentation « de qualité ».
Tous les résidents du pays sont consommateurs, quel que soit leur métier y compris paysan, ou leur statut social et leurs revenus. Qui est prêt à payer plus cher quand il reste et le cas n’est pas si rare 100 €/mois pour se nourrir ? Sur les 9 millions de pauvres en France, qui veut ou non débourser plus ? Ils ne peuvent pas. Il est vrai que leur sort préoccupe tellement le président qu’il a fait voter la suppression de l’ISF – ce qui ne va pas manquer d’améliorer leur quotidien… N’est-ce pas ? Si la rémunération des producteurs augmente, ce sera souvent justice. Instaurer un taux de marge maximum permettrait des rémunérations correctes en baissant les prix. Mais si les marges persistent et que les prix montent, les petits paysans ne vivront pas forcément mieux qu’à présent. Le coût de la vie aura augmenté pour tous sous l’apparence d’avoir voulu instaurer plus de justice sociale.
M. Macron parle de consulter aussi les consommateurs. Comme ces ouvriers à qui le patron propose un référendum pour durcir leurs conditions de travail ou rogner leurs paies. Et tout comme les salariés sont réduits au corporatisme, l’agriculture est séparée en filières sans définir la politique agricole d’ensemble du pays, sans organiser la transition écologique nécessaire ni restaurer l’indépendance alimentaire du pays.
M. Macron parle de qualité, de bio, de circuits courts, mais en fait les aides à la bio sont supprimées dans le projet de budget 2018 et M. Macron s’est empressé de signer le CETA, appliqué avant même sa ratification par le parlement, et qu’il ne veut pas renégocier !... Bio ? Les traités de « libre-échange » vont nous envahir de bio (ou pas) nord-américaine si ce n’est chinoise, à bas coût social et transports démultipliés ! Alors que les terres vivrières en France continuent d’être bétonnées et la spécialisation favorisée, portant atteinte à la biodiversité et à notre autonomie alimentaire. En clair, parler bio sert à se rendre populaire et à justifier fallacieusement la hausse des prix.
Et M. Macron, cet ardent défenseur de l’Union Européenne, sait parfaitement que dans l’état actuel des choses, la suprématie des directives européennes sur le droit national pourra toujours à la fin servir de garde-feu.
Gdalia Roulin, lundi 23 octobre 2017.