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Billet de blog 30 août 2016

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Devoir de mémoire ?

Il y aurait beaucoup à dire sur la censure, qui fut d'abord du fait des Églises détentrices par vocation de la seule « Vérité », et abondamment employée par tous les pouvoirs soucieux de leur hégémonie (dont le FN en ses mairies). Ces pratiques sont réactualisées : la Chanson de Craonne a été interdite le 1/7 dernier aux cérémonies du centenaire de la bataille de la Somme… Remember !

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Un devoir de mémoire est officiellement institué. Mais ne confondons pas cérémonies solennelles et mises au musée avec la connaissance de l'histoire, et les possibilités de regards critiques sur les expériences dont témoigne cette discipline...

Et la mémoire est… sélective... A la commémoration du centenaire de la bataille de la Somme le 1er juillet 2016, M. Gandsir, directeur de la chorale samarienne de Poulainville, voulait donner la Chanson de Craonne en hommage aux morts de 1914-18. Il s'est vu notifier le 30 juin par un intermédiaire choqué et consterné : « Je suis au regret de vous dire l'interdiction de chanter la chanson de Craonne. Cette décision vient du gouvernement ».

Ce chant surgit en avril 1917 dans les tranchées du Chemin des Dames d'un auteur resté anonyme et pour cause, qui ne fut jamais dénoncé par ses camarades. Malgré l'interdiction de la chanson censurée jusqu'en 1974, elle était chantée sur tous les fronts (il suffisait de changer les noms de lieux au refrain : Lorette, Verdun...) par des soldats aspirant à l'arrêt des massacres et de leurs conditions de survie atroces. L'offensive Nivelle du 16 avril 1917 au Chemin des Dames suscita un fol espoir, le général promettant la victoire et la fin de la guerre. Consistant à envoyer de la vallée de l'Aisne les soldats à l'assaut du plateau fortifié par les Allemands, l'opération vouée à l'échec fit 200.000 morts français (et à peu près autant chez les Allemands). L'ordre de repartir à la boucherie début mai dans les mêmes conditions révolte. Les soldats veulent garder leurs positions, pas monter en ligne pour tenter de prendre au mieux quelques centaines de mètres. Mutineries et manifestations au cri prédominant de « A bas la guerre » se répandent dans toutes les armées en cause le long du front durant 8 semaines, touchant 68 divisions sur les 110 de l'armée française. On observa de semblables manifestations dans les autres armées impliquées, y compris dans l'armée allemande.

La « grève des attaques » commença le 2 mai. La répression fut féroce. La hiérarchie militaire « dégrade », fusille, envoie les insoumis à une mort certaine... Les chiffres sont controversés car l'accès aux archives (dont 10 à 15 % sont perdues, estime-t-on) est bloqué 100 ans. On parle de 30.000 soldats passés en conseil de guerre et 3.427 condamnés : 1381 aux travaux forcés ou à de lourdes peines de prison, 554 condamnés à mort dont 57 exécutés, car M. Poincaré gracie 90 à 95 % d'entre eux alors que fin 1914 il y eut près de 200 fusillés pour l'exemple et environ 260 en 1916.

Si M. Jospin en tant que premier ministre a rendu un hommage public à Craonne aux « poilus fusillés » lors des mutineries de la première guerre mondiale dans un discours fortement critiqué par MM. Chirac et Séguin, on voit de quel bord se situe le gouvernement actuel, à l'opposé du grand Jaurès qui s'est battu vigoureusement contre la guerre les 10 dernières années de sa vie, rappelant le mot d'ordre de grève générale lancé par l'Internationale ouvrière au cas où... Raison précisément de son meurtre le 31 juillet 1914 par un nationaliste d'extrême-droite. Le meurtrier de Jaurès jugé le 29 mars 1919 sera acquitté, félicité par le président du tribunal d'être « un bon patriote », tandis que la veuve de Jaurès reçoit 1 franc symbolique de « dommages et intérêts » et est condamnée aux dépens.

On savait M. Hollande va-t-en guerre, mais au point d'interdire une chanson ? Gardons-en souvenir quand les discours électoraux vont demain tenter de nous faire prendre des oppresseurs pour nos plus grands protecteurs.

Déjà en mai dernier le rappeur Black M fut exclu des commémorations de Verdun où furent décimés de nombreux tirailleurs sénégalais. Tout comme au Chemin des Dames

Quel ordre public menace donc la chanson de Craonne, chantée depuis les années 1980 tous les 11 novembre devant le monument aux morts pacifiste de Gentioux ? Depuis 1945 la guerre n'est-elle pas déclarée illégale selon la Charte de l'ONU ratifiée par « la France » ?

La Chanson de Craonne :

Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé

on va reprendr' les tranchées

notre place est si utile

que sans nous on prend la pile

Mais c'est bien fini on en a assez

personne ne veut plus marcher

et le cœur bien gros comme dans un sanglot

on dit adieu aux civ'lots

Même sans tambours même sans trompettes

on s'en va là-haut en baissant la tête

Refrain :

Adieu la vie adieu l'amour

adieu toutes les femmes

C'est bien fini c'est pour toujours

de cette guerre infâme

C'est à Craonne sur le plateau

qu'on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés

nous somm's les sacrifiés

Huit jours de tranchées huit jours de souffrance

pourtant on a l'espérance

que ce soir viendra la r'lève

que nous attendons sans trêve

Soudain dans la nuit dans l'profond silence

on voit quelqu'un qui s'avance

c'est un officier de chasseurs à pied

qui vient pour nous remplacer

Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe

les petits soldats vienn't chercher leur tombe

Au refrain

C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards

tant d'cossus qui font la foir'

Si pour eux la vie est rose

pour nous c'est pas la même chose

Au lieu d'se prom'ner tous ces embusqués

f'raient mieux d'monter aux tranchées

pour défendre leurs biens

car nous n'avons rien

nous autr's les pauv's purotins

Tous nos camarades sont enterrés là

pour défendr' les biens de ces messieurs là

Dernier refrain :

Ceux qu'ont l'pognon ceux-là r'viendront

et c'est pour eux qu'on crève

Mais c'est fini car les trouffions

vont tous se mettre en grève

Ce s'ra votr' tour messieurs les gros

de monter sur l'plateau

car si vous voulez fair' la guerr'

payez-là d'votre peau !

Tous les textes juridiques nationaux ou supranationaux qualifient la liberté d'expression de fondement essentiel de la démocratie « garantissant le respect des autres droits et libertés » et la Déclaration des Droits de l'Homme en 1789 dit : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Ces derniers ayant une fâcheuse tendance à se multiplier.

Gdalia Roulin, lundi 29 août 2016.

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