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Billet de blog 11 juin 2016

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Représsion du mouvement social ou fonctionnement ordinaire du système pénal?

Depuis quelques semaines, un ensemble d'articles mettent en question la répression policière et judiciaire des manifestations contemporaines. Ils soulignent, à raison, l'extravagance des peines requises et/ou prononcées, des qualifications retenues. Cependant, cette situation n'est peut-être ni nouvelle ni exceptionnelle. Elle reflète à bien des égards le fonctionnement ordinaire du système pénal.

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Depuis quelques semaines, tout un ensemble d'articles, de prises de positions sont publiés pour mettre en question la répression policière et judiciaire des manifestations politiques contemporaines. Ils soulignent, à raison, l'extravagance des peines requises et/ou prononcées, des qualifications retenues (tentatives de meurtre pour une voiture de police brûlée sans blessé et presque aucun dommage, association de malfaiteurs pour une manifestation dans le métro à Rennes, etc.) Mediapart publie aujourd'hui un article sur cette question.

Par contre, il me semble que l'on fait peut-être une erreur lorsque l'on code cette activité pénale comme une "répression politique du mouvement social" ou comme quelque chose de "nouveau".

En fait, ce n'est qu'une expression assez ordinaire de la manière dont fonctionne le système pénal contemporain dans son fonctionnement le plus quotidien. C'est ce que j'ai essayé de monter dans "Juger" et c'est l'une des choses qui m'avaient le plus frappé lorsque j'ai assisté à des procès. 

Le système de la répression, la logique de la pénalité, la figure du procureur ou de l'avocat général elle-même fonctionnent nécessairement à la dramatisation et à la surdétermination des actes. C'est la raison pour laquelle je disais que l'on est en quelque sorte toujours puni pour quelque chose que l'on n'a pas fait - pour quelque chose "en plus", pour une interprétation de nos actes que construit fantasmatiquement l'Etat à travers l'avocat général ou le procureur. C'est ce qui semble être ressenti aujourd’hui dans les prises de positions qui dénoncent l'extravagance des qualifications pénales, des peines, des réquisitions, etc.

Voici un extrait de Juger, p 238, "Dans le droit pénal, un crime n’est, au fond, jamais jugé pour ce qu’il est réellement. L’acte est systématiquement construit comme affectant une réalité globale performativement construite par le droit puis au cours du procès. Il ne serait pas faux de dire que, en un sens, les accusés sont toujours, d’une manière ou d’une autre, punis pour des actes qu’ils n’ont pas commis – la nature et la signification de ces actes étant créés par l’Etat après coup et au cours du procès. On pourrait presque se risquer à énoncer les choses ainsi : on est toujours puni pour quelque chose que l’on n’a pas fait, puisque l’idée de punition suppose une re-signification des actes par l’institution judiciaire qui les transfigurent par rapport à la réalité de leur inscription dans des situations locales et des contextes singuliers. La violence de la justice pénale découle, pour une grande part, de cette  pratique de la surdétermination. C’est elle qui rend possible une répression des actes sans commune mesure avec les dommages objectifs causés et qui, en fait, est plutôt proportionnelle à la violence que le système pénal  leur a lui-même assignée et qu’il a mis en eux." (Cf. photo ici.)

En d'autres termes, il ne faut pas exceptionnaliser ce qui se passe aujourd'hui dans la réaction de l’appareil répressif au mouvement social - il touche seulement un public qui n'est pas habitué à être visé par l'appareil judiciaire. Il faut y voir seulement une modalité du déploiement de l'inconscient pénal le plus général tel qu'il est à l'oeuvre tous les jours dans tous les tribunaux.Et il faut donc en faire le point de départ d'une attaque plus générale de l'ordre pénal. Ce qui montre une nouvelle fois la nécessité de ne pas singulariser les objets d’analyse et de les examiner toujours à partir d'un système plus général à l’intérieur duquel on les réinscrit, si l'on souhaite comprendre les logiques qui y sont réellement à l'oeuvre. 

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