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Billet de blog 18 novembre 2020

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Ne pas régresser face à la Loi Sécurité Globale

Le cinéma occupé La Clef publie depuis cette semaine un fanzine. Pour ce premier numéro j’ai répondu à une question sur l’action politique en exprimant une certaine dissidence par rapport à la mobilisation contre la Loi sécurité globale et comment elle illustre les pièges dans lesquels peuvent parfois tomber les forces progressistes.

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Le cinéma La Clef est occupé depuis septembre 2019. À partir de cette semaine il publiera des textes et des images ressemblés dans un fanzine intitulé Kill the Darling. Pour ce premier numéro j’ai répondu à une question portant sur l’action politique en exprimant une forme de dissidence par rapport à la rhétorique qui gouverne  la mobilisation contre la Loi sécurité globale et notamment le floutage du visage des policiers - et comment elle illustre les pièges dans lesquels peuvent parfois tomber les forces progressistes.

Q: Au vue de la discussion actuelle à l’Assemblée du projet de loi Sécurité globale, qui se tient dans un contexte d’interdiction aux manifestations, comment sortir de notre impuissance politique, lorsqu’on est contraint.e au confinement ?

Geoffroy de Lagasnerie: La mobilisation contre la Loi Sécurité Globale est assez révélatrice des pièges qui font obstacle à la victoire des forces progressistes, et des logiques à travers lesquelles elles s’auto-mutilent. Lorsque l’on se mobilise en réaction à la réaction on est mécaniquement amené à opérer tout un ensemble de régressions dans le moment même où l’on croit agir et se mobiliser.

Même s’il faut mettre en question la volonté de contrôle qu’expriment les gouvernants, que demande la mobilisation contre cette Loi, finalement, si ce n’est la possibilité de continuer à pouvoir être maltraité en manifestation en filmant les policiers, et qu’ils puissent ensuite continuer à bénéficier des non-lieux dont ils bénéficient déjà ? Ce n’est pas très glorieux...

En quoi vouloir conserver l’état présent de la loi ne nous condamne pas à une forme de régression intellectuelle et politique ?

Nous devons faire attention à ne pas être piégé par le pouvoir pour déployer des formes de mobilisations autonomes. Je suis très frappé par ce qui se passe sur la question du floutage des visages de policiers par exemple. J’avoue que je suis assez mal à l’aise avec la mobilisation contre cette obligation et la manière dont beaucoup de gens dont je suis proche se mobilisent contre.

Je comprends l’inquiétude sur la diffusion de vidéos en direct. Mais en même temps, à partir du moment où nous avons conscience que le problème policier est structurel, que nous devons le penser en termes d’ordre policier, nous devons nous battre contre toute forme d’individualisation des perceptions, contre toute thématisation en termes de bavures ou de dérives.

Nous ne pouvons être efficaces politiquement qu’à condition de sortir des incantations vides de sens.

Sauf erreur de ma part, il n’est pas exact d’affirmer que cette loi interdit de filmer et de documenter les pratiques policières. Il est interdit de montrer tel ou tel visage. Ce n’est pas la même chose et ça pourrait même être l’inverse.

A bien des égards cette mesure pourrait être interprétée comme une erreur stratégique de la part des gouvernants. Ils croient se protéger mais en fait ils favorisent une lecture plus radicale et lucide du réel. Les images de la police en action seront plus facilement susceptibles d’une lecture structurelle en termes d’ordre policier (c’est la police comme collectif qui agit à travers tel ou tel policier) plutôt qu’en termes individualiste et pénal (c’est la faute à tel policier, à tel ordre donné — modalité très classique de dénonciation de la police qui produit un éloge de la police en faisant mine de la critiquer puisqu’elle présuppose que la police ne fait pas çà normalement).

Ces images sans visages ne pourront-elles pas favoriser le développement d’une rétivité plus frontale à l’ordre policier?

Depuis le temps que l’on filme des visages de policiers singuliers, que l’on tente ensuite de poursuivre individuellement, nous le saurions si cette pratique dépolitisée et dépolitisante avait des conséquences réelles. Seule une approche globale, qui intègre la question de l’usage de la force, de la justice, du contrôle, du droit d’arrestation, etc., peut produire des transformations susceptibles de sauver des vies de la mort et de la mutilation.

Et, dans ce cadre, le floutage des visages ne pourrait-il pas être vu comme notre allié ou, en tout cas, pas nécessairement comme une entrave ?

L’impuissance de la gauche s’enracine pour une grande part dans le fait qu’elle ne cesse de tomber dans les pièges que lui tendent les forces réactionnaires — dans sa tendance à se laisser dicter sa temporalité et à se contenter de réagir. Il faut à l’inverse parvenir à créer notre propre temporalité et nos revendications dans leur autonomie.

Par exemple, il est bien sûr très important de pouvoir manifester et de le faire sans menace. Et dans ce cadre la surveillance par drone est une technologie effrayante Surtout quand on sait l’usage effrayant que la police et les juges font des délits de groupements. Mais nous devons aussi prendre conscience de ceci : le but des forces progressistes n’est pas de pouvoir continuer à manifester. Il est de ne plus avoir à manifester (Et dans l’idéal de faire que ce soit à la droite de manifester).

Autrement dit : Nous ne devons pas trop lier notre «être progressiste » à notre « être en lutte » car celui-ci peut se déployer au détriment de l’élaboration de stratégies véritablement efficaces de prise de pouvoir et d’imposition de notre volonté. La gauche doit s’émanciper d’un certain imaginaire de la lutte pour adopter un imaginaire de la victoire et de la conquête des appareils d’état.

Ces modes d’actions peuvent passer par de multiples formes: la culture, la guérilla juridique, l’infiltration, l’éducation, le temps long, le vote et la conquête électorale via les partis ... autant d’actions qui ne sont pas du tout rendues impossibles par la volonté que les gouvernants veulent actuellement transformer en loi.

Le fanzine est accessible Ici : http://laclefrevival.com/wp-content/uploads/2020/11/KILLETHEDARLING_NUMERO_0.pdf?fbclid=IwAR3rGRY2JhcQK6hyEOvDaOg1fctu6zF8V0TOhafJmlRP7ccFAXLWQ3WBk4c

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