
La philosophe Vinciane Despret va plus loin encore : les morts nous parlent depuis l’au-delà.
Au musée du Quai-Branly (Paris), l’exposition Zombis. La mort n’est pas une fin explore une autre facette du lien morts-vivants. Nous voici à Haïti, pays natal des zombis qui sont pour Emmanuel Kasarhérou, président du musée « une entaille dans les certitudes. [...] Le zombi renverse tout car il entre violemment en résonance avec la condition humaine. S’il nourrit à ce point l’imaginaire des romanciers et des cinéastes, c’est probablement parce qu’il touche d’abord à l’insondable, à l’une de nos terreurs les plus fondamentales : l’instant qui suit le dernier souffle. »
L’origine haïtienne du mot (qui ne porte initialement pas de « e » final) rappelle, par les affiches combien le cinéma s’est emparé du sujet, avec notamment George A. Romero (La Nuit des morts-vivants) parmi les centaines de films de zombies, World War Z, L’Armée des morts, Dernier train pour Busan, voire les séries The Walking Dead, Kingdom et autres Z Nation, ou les jeux vidéo tels Resident Evil ou The Last of Us. Sans oublier les écrivains et les dessinateurs qui sont marqués par cette figure : The Walking Dead, comics scénarisés par Robert Kirkman et dessinés par Tony Moore, puis Charlie Adlard. Même si pour nombre de films, la filiation entre la créature haïtienne possédée et le monstre cannibale occidental n’est peut-être pas aussi évidente qu’on le voudrait, les seconds sont une invention résolument occidentale et postmoderne, qui raconte la perte de repères individuelle et collective dans le monde du capitalisme tardif, rien de plus.
Le zombi a une géographie (les Caraïbes) et une histoire (la « zombification » remonte au 17e siècle). Philippe Charlier, commissaire de l’exposition et directeur du Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines-Paris-Saclay, spécialiste très médiatique en enquêtes médicolégales explique que le « zombie est un individu qui, ayant commis des méfaits, aurait été jugé par des sociétés secrètes de la religion vaudou, condamné, drogué, enterré vivant, exhumé, puis exilé et transformé en esclave sous la garde d’un bokor (en fait, un prêtre vaudou haïtien). C’est en quelque sorte un non-mort ou un mauvais mort sur lequel s’acharne un destin pire que la mort. »[1]
Philippe Charlier a recensé trois types de zombis : le criminel, mari, belle-mère payant un sorcier pour jeter un sort ou empoisonner un ennemi ; le psychiatrique, un fou qui pense être revenu d’entre les morts ; et le social, lié à un accident, tel un séisme et ses disparus, dont l’un peut être remplacé dans une famille en manque de bras, donc une usurpation d’identité. Ils seraient environ 50 000 individus à avoir été zombifiés. On en voit sur des photos dans l’exposition, en guenilles, dans la plus grande misère.
La géographie caribéenne est sourcée en Afrique du golfe de Guinée, d’où les esclaves ont importé le « nzambi », soit le fantôme ou l’esprit d’un mort. En Haïti, cette figure se syncrétise avec des pratiques de magie locale qui empruntent des connaissances chez les populations maniant certaines drogues et poisons. Sur l’île d’Haïti, on peut retrouver le fil des influences : esclaves pratiquant des religions locales en Afrique, convertis au catholicisme pendant la traversée transatlantique, en contact à l’arrivée avec les savoirs et les traditions locales des Taïnos, Arawaks et Caraïbes précolombiens. Ce syncrétisme à l’origine du vaudou se lit par les croix au milieu des fétiches à clous, ou des poupées en tissus plantées d’aiguilles.
Lilas Desquiron, haïtienne et commissaire associée de l’exposition explique que la religion vaudou donne du « sens au monde ». Ici, on a reconstitué un sanctuaire vaudou, rempli de «wangas» (statuettes), d’ex-voto et de bougies, dans une grande salle, où des objets, des inscriptions au sol, des crucifix, des céramiques, des bouteilles d’alcool pouvant, d’ailleurs, être utilisées pendant les cérémonies, ou pour inviter les divinités dites loas. On y voit aussi des robes de culte, des hochets-sonnailles donnant une idée de ce qu’étaient les cérémonies, lorsqu’on allait à la rencontre des loas du panthéon vaudou : Grande Brigitte, Baron Samedi, Mami Wata... Le temple est peuplé de fétiches bizango, des figures de tissus rembourrés, d’os humains, du bois, du métal, des miroirs, réalisés ou rassemblés par l’artiste haïtien Dubréus Lhérisson. Les voici en armée des ombres qui rappelle les sociétés secrètes où sont jugés les zombis.
L’exposition reconstitue quelques tombes d’un petit cimetière vaudou, couvertes d’offrandes énigmatiques come des cartes à jouer déchirées, des bouteilles d’alcool, des chaises accrochées à un arbre pour que les esprits s’y assoient et restent sages. Plus loin, une série de portraits, photos et textes de différents zombis qui ont chacun une histoire. Comme celle qu’on peut suivre sur le film (2018) d’Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav à propos de Prince Dethmer, célèbre Congolais, mort accidenté sur la route, enterré, et réapparaissant dix jours plus tard.
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1] Les non-morts et les morts qui ne se tiennent pas tranquilles ? Il faut savoir ce qu’est être victime du processus de zombification. On intoxique des hommes et des femmes avec une « poudre zombie », potion à base de jus de vipère, de bave de crapaud, de poussières d’ossements humains, de grattage de tombeau d’un ancien zombi et d’une drogue extraite du poisson-globe, la tétrodotoxine (TTX). Une sorte d’empoisonnement à leur insu, avec la peur d’être inhumé vivant.e sans certitude de ressortir. Dans cet état d’hébétude, les sujets reçoivent du sorcier des calmants et deviennent victimes sous emprise.
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« Zombis. La mort n’est pas une fin ? », au Musée du quai Branly-Jacques Chirac (Paris 7e), jusqu’au 16 février 2025. Catalogue Gallimard, 216 p., 36 €. Tél. : 01 56 61 70 00. www.quaibranly.fr
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Sur notre blog
--> Manouk Borzakian, Géographie zombie, les ruines du capitalisme, Playlist Society, 2019.
--> "Penser le monde d'après grâce aux zombies"
--> "Des zombies à nos frontières?"
--> "The Walking Dead: deux saisons à la campagne"
Philippe Charlier, Zombis. Enquête sur les morts-vivants, éditions Tallandier, 224 p., 9 €, 2023.
Sur Arte
Que nous veulent les fantômes ?
Enquête d'ailleurs : les zombis de Haïti
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