Dans nos imaginaires, il y a ancrée cette idée qu’à la mort d’un être cher, il faut «faire le deuil». Ils sont nombreux[1] contre cette injonction à colmater la douleur par la voie vers l’oubli. Au contraire, clament-ils, il faut vivre avec nos morts. Des groupes sociaux sur notre planète, dans le Sud global, mais aussi au Japon construisent des formes de proximité avec leurs défunts.
Sans doute, la principale énigme qui se pose aux vivants est que nous ne savons pas où sont nos morts. Leur tombe peut être un lieu de rendez-vous où nous parlons, avec eux, de la vie, comme les Égyptiens le faisaient en peignant des scènes de la vie courante sur les murs des mastabas et sur les sarcophages: pour eux, rien ne vaut la vie! Les corps momifiés sont une manière d’éviter une disparition difficile à vivre pour ceux qui restent et qui créent un culte pour eux.
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Dans le passé en Europe, le culte des reliques à l’origine de la plupart de nos sanctuaires a pris des formes originales comme celui des momies dont les mieux connues sont celles de Palerme en Sicile. Près de 2000 momies dont les deux tiers sont exposées dans les catacombes d’un couvent des Capucins voient défiler des visiteurs – dont Alexandre Dumas ou Guy de Maupassant au 19e siècle – en quête d’explications ou, plus simplement, de sensations fortes. Avant l’invention des cimetières visant à éloigner les morts dont on pensait qu’ils menaçaient les vivants (zombies, fantômes, vampires…), dont on craignait aussi le vol des corps pour les études anatomiques, on déposait les corps dans les églises et leurs terrains avenants. Sur ces lieux proches de sépulture, on y rappelait le fameux memento mori: «N’oublie pas que tu vas mourir». Les classes riches et le clergé bénéficiaient dans les cryptes, de niches et pierres tombales à entretenir, après que leurs corps aient été momifiés avec des procédés naturels, puis chimiques.
Un autre lieu en France possède des momies qu’on peut aussi visiter, à Saint-Bonnet-le-Château, bourg qui domine la plaine du Forez (Loire). Dans la collégiale, une trappe en verre permet d’avoir une vue zénithale sur des corps découverts en 1837. Le bon état de conservation des 159 squelettes dont 23 corps momifiés a occupé de nombreux scientifiques, dont le docteur lyonnais Lacassagne. Les historiens n’expliquent pas l’effroi dont témoigne leur attitude (membres crispés, sourires ou hurlements avec mâchoire ouverte). On sait juste qu’une première phase de décomposition des corps aurait pu être stoppée par la sécheresse et la composition chimique de l’air de la cave. L’étude au carbone 14 de 1995 date les momies du 17e siècle, donc sans rapport avec les guerres de religion plus anciennes comme le prétend un site anglais qui reprend de fausses hypothèses. La particularité des momies de Saint-Bonnet est d’être anonymes et donnent une image négative, sidérante de la mort et de la décomposition au même titre que les zombies, les vampires…
Si on ne visite plus des reliques pour leurs pouvoirs miraculeux, les momies qui n’ont jamais fait l’objet de tractations comme celles de Palerme, intriguent aujourd’hui, à la fois sur ce qu’elles disent de la conservation et du respect des corps, donc de l’exposition publique, a fortiori, à des touristes. À Saint-Bonnet-le-Château, les visites guidées avec «casque de réalité virtuelle» (sic) sont d’autant plus prisées que l’exposition des corps sous une dalle de verre est une exception rarissime dans un pays qui interdit de montrer les corps défunts.
On voudrait que les morts nous parlent mais nous ne comprenons pas bien ce qu’ils racontent. Depuis les momies de l’Égypte pharaonique, aucune dépouille n’est venue jusqu’à nous dans le même contexte. À Saint-Bonnet, peut-être l’étude scientifique de leur conservation pourra donner des renseignements sur l’état local de l’environnement, le climat, la composition chimique de l’air, les maladies et les épidémies. Peut-être les morts parleront lorsque les paléopathologistes étudieront les dissections et les processus d’embaumement, lorsque les anthropologues éclairciront les pensées sociales sur la mort. Il reste, pour l’instant, à Saint-Bonnet, que les momies mènent la danse de touristes en quête d’un merveilleux teinté de macabre.
À Palerme où les dépouilles ont été déposées par les familles, celles-ci cultivent encore le lien avec les disparus. Dans le cimetière du couvent franciscain des Capucins, les arbres portent des poupées, des ours, des jouets, voire des consoles de jeux lorsqu’ils sont situés au-dessus des tombes des enfants. Le dialogue avec les morts se déprend-il des images physiques pour les pensées joyeuses?
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[1] Citons au moins deux livres : Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, de Vinciane Despret (La Découverte) et Marie de Hennezel, Vivre avec l’invisible (Pocket).
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Patrick Baud, une enquête qui date un peu (2015) mais avec quelques images et faits spectaculaires sur ce que deviennent les morts dans quelques civilisations d’hier et d’aujourd’hui.
À Venzone (Italie), les momies vivent avec les humains
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