Vous vous sentez l’âme d’un apprenti-espion? Les zones opaques du monde vous fascinent ? Les bases secrètes, les camps d’entraînement, les enceintes les plus sécurisées de la planète vous intriguent ? Vous voulez vous préparer à une mission clandestine ? Entrée dans l’anti-monde pour franchir les frontières interdites, se procurer des mercenaires et échapper aux ennemis. (G. Fumey)
Comment rendre public ce qui est secret? Car après tout, la série du Bureau des légendes diffusée entre 2015 et 2020, avait ouvert quelques portes du renseignement. Avec 130 cartes et infographies «pour découvrir la face cachée du monde», voici un nouvel outil dirigé par l'historien Bruno Fuligni sur ce monde souterrain, qui est le soubassement de nos libertés. C’est un besoin pour les démocraties d’être protégées par des services secrets: Thames House et Legoland protègent le Royaume-Uni, Fort Meade, Bluffale et Langley les États-Unis, la France et l’Europe partageant leurs forces dans une Académie du renseignement dispersée sur plusieurs sites.
Le style de ces services est lié aux cultures locales: aristocratique en Angleterre, prestigieuse en Allemagne (et en Russie) mais suscitant encore la méfiance en France et aux États-Unis jusqu’à ce que l’antiterrorisme, récemment, leur octroie une image utile. À l’échelle mondiale, les effectifs sont très variables: 100 000 personnes renseignent secrètement aux États-Unis, la moitié en Russie, 16 000 au Royaume-Uni, 20 000 en France où le grand public en connaît quelques parcelles, par les acronymes tels que DGSI, DGSE, Tracfin. Entrer dans un service de renseignements vous fait rêver? Rendez-vous page 29 de l’Atlas secret (éd. 2024). Vous franchirez, pour l’action clandestine et les forces spéciales, la porte d’unités d’élite disséminées en Île-de-France, Bretagne, Sud-Ouest et Sud-Est.
Et là, de nouvelles tâches auxquelles vous ne pensiez pas pourraient vous attendre: le renseignement vert, l’écoterrorisme et l’écofascisme. Le renseignement vert, traque par satellite les grandes fuites de carbone ou de méthane, recense les décharges sauvages sur terre comme en mer comme le fait Global Plastic Watch, testé en Indonésie et étendu à de nombreux pays. Plus scabreux, le culte de la nature qui vire à la haine de l’humanité. L’Église de l’euthanasie fondée par la musicienne Chris Korda promeut l’extinction de l’espèce humaine à travers l’euthanasie, le suicide, le cannibalisme… Vous serez peut-être tenté aussi par les schémas de l’influence, à bien distinguer des théories du complot. Vous serez peut-être amené à comparer la carte de l’Alliance Française et celle des instituts Confucius qui se marchent sur les pieds en Afrique.
On pense à la protection des populations des actes de violence comme le terrorisme. Mais il ne faut pas craindre de le dire, ce peut être aussi renverser un ordre établi en diffusant des informations, des connaissances et des savoir-faire au-delà des cercles étatiques les plus formés, en exploitant les failles de l’ordre mondial pour subvertir les puissances rivales, voire fomenter un coup d’État. D’où on voit les pouvoirs les plus conservateurs devenir révolutionnaires «jusqu’à en subir, parfois, le retour de bâton». Derrière le monde apparent de ce qu’on appelle la «communauté internationale», il existe des «lieux saints» (ou nids d’espions?) comme l’Athos, Jérusalem, Qom, et leurs réseaux multiples… Il existe aussi des mondes très opaques alimentant des mouvements séparatistes armés, des sécessions. Parmi les menaces diffuses, les organisations terroristes tels Aleph et ses 2000 membres au Japon et en Russie, tels les Tigres tamouls et toutes les organisations visant l’Europe, les États-Unis et l’Afrique subsaharienne qui restent les plus sérieuses menaces. On serait tenté d’ajouter un possible gigantesque bug numérique d’échelle mondiale. Et la réitération du franchissement de la barrière inter-espèces des virus et autres bactéries comme celle du Covid qui ont des conséquences tout aussi désastreuses.
Les armées secrètes sont issues des grandes compagnies du Moyen Âge, des condottiere de la Renaissance, des corsaires des anciennes guerres navales, des «affreux» de la décolonisation. Bien qu’interdit par les Nations unies depuis 1989, le mercenariat recrute toujours des anciens militaires issus de troupes d’élite et sert à des basses œuvres. Les 20 000 combattants de Wagner sous l’autorité de Prigojine étaient encore actifs en Ukraine et en Afrique en 2022. La France possède ses propres entreprises de service de sécurité et de défense (GEOS, Risk&Co, Erys Group, etc.) avec même une société militaire privée (DCI) dont la République est actionnaire!
Moins violent mais tout aussi efficace est l’espionnage entre alliés, avec le cas ahurissant de la chancelière allemande Angela Merkel inspectée par la NSA. N’est-ce pas le logiciel Pegasus qui a fouillé les dirigeants européens jusqu’à Emmanuel Macron par les services marocains?
Comment se former au renseignement? Les lieux ne manquent pas. En France, on devient apprenti par une Académie au sein de l’École militaire, dans les universités (Paris 1, Cnam, IEP St-Germain-en-Laye, ou à l’étranger, aux États-Unis avec The Farm à Chantilly (sic)), au Royaume-Uni à Fort Monckton, en Russie à Mitchourinski Prospekt et même en Côte d’Ivoire à Jacqueville.
L'espionne Anna Chapman demandant en mariage Edward Snowden (2013)
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Sans revenir à celles du chevalier d’Éon visitant les grandes cours d’Europe, ni de Fleming outre-Atlantique, voire de Richard Sorge, allemand pro-soviétique, ou d’Anna Chapman «la belle Russe» née en 1982, il faut avoir en tête que les infiltrations, puis exfiltrations avant décantation, sont des histoires aventureuses qui peuvent, parfois, mal se terminer. Aujourd’hui, sur le plan géographique, les sas frontaliers aéroportuaires sont les lieux les plus fréquentés. Restent quelques points faibles des 250 000 kilomètres de frontières internationales, terrestres ou fluviales. Les aérodromes non-contrôlés, les pistes de fortune peuvent convenir à des «chuteurs opérationnels» sautant parfois à très haute altitude. Pour franchir les murs-frontières, rien ne vaut les tunnels (entre les deux Corées, entre l’Égypte et Gaza, Tijuana et San Diego).
La France affiche, à elle seule, 32 pays frontaliers (outre l’Europe, elle voisine Brésil et Surinam, et aux Antilles les Pays-Bas à Saint-Martin, et possède des frontières maritimes avec 20 États, plus 5200 km sur la banquise antarctique. Un record mondial. Comment les franchir? Le cabinet Henley a classé les possibilités d’entrée dans les pays sans visa: en tête, le Japon et Singapour avec 193 pays (la France est au 6e rang avec 188 pays), en queue l’Afghanistan et l’Irak (27 et 19 pays). D’où les «achats» de passeports dont Chypre est devenue spécialiste.[1]
Avec des hommes-grenouilles, des canots (rappelons la piteuse affaire du Rainbow Warrior en 1985), des sous-marins, des navires-espions, la mer n’est plus un obstacle pour ceux qui peuvent s’équiper. Sans compter que près des ports mouillent des navires espions comme le Dupuy de Lôme français (photo), que les bases militaires sont des cibles de choix pour leurs informations.
Pour toucher les humains, rien de tel que les palaces même les hôtels borgnes, les AirBnb font aussi dans la discrétion. Dans les grands hôtels comme le Bristol à Paris (une carte exhaustive des beaux quartiers parisiens les recense), hommes d’affaires et marchands d’armes peuvent être approchés au bar, voire dans les restaurants comme le Point de chute à Balard et son décor fana mili. Et en cas de ratage? James Bond était transi de peur à l’idée qu’il pourrait passer par les griffes du Smersh soviétique (l’acronyme signifiant «Mort aux espions»). Avait-il en tête la carte des sites de détention les plus fermés? Il y en a dans tous les grands pays. À moins qu’il ait songé aux échanges d’espions, comme il en a eu lieu encore en 2019…
Une autre carte, celle des villes plus dangereuses du monde, donne une géographie très éloignée de celle du PNB. Certes, à Colima (Mexique), on peut tuer en un an deux fois plus que dans toute la France, mais les États-Unis ont un palmarès qui le situe en haut de la liste avec le Brésil, la Colombie, Haïti, l’Afrique du Sud).
Qu’appelle-t-on «zones rouges»? Ce sont les repères de la pègre, les plates-formes de la contrebande et du narcotrafic qui restent proches des zones de piraterie, elles-mêmes voisines des ports francs, où sévissent des chefs de bandes. Dans le même registre coloré, les paradis fiscaux gardent les secrets en col blanc qui sont la proie des ONG et de certains politiques. Pourtant, la géographie offre encore des îles où tout est permis, comme les Antipodes, les îles Swan, Doumeïrah, la Galite, l’île Pelée (au large de Cherbourg, fortifiée par Louis XVI, une cache pour quelques jours dans la mer la plus fréquentée du monde), etc. Découverte par les Russes en 2016, la base secrète nazie de Schatzgräber sur l’île Alexandra, montre qu’on peut exploiter encore de nombreux recoins de la planète. Surtout sur les nouvelles frontières arctiques, voire sur l’Antarctique encore très ouvert.
Au chapitre de la clandestinité à l’échelle mondiale, les réseaux occultes prennent le pas sur les anciennes pratiques, parmi lesquelles celles des antiques obédiences maçonniques du 18e siècle. La cartographie des loges françaises (86 000 membres, pour les 2 principales) est édifiante sur la manière dont elles se partagent plus ou moins des territoires en Afrique, au Moyen-Orient, voire en Asie du Sud. Quant à la géographie des métropoles mondiales qui ont toutes au moins 200 ambassades, elle ne se limite sans doute plus à Paris ou Londres conservatoire de l’espionnage, les métropoles chinoises non cartographiées sont très actives, notamment celles du Sud de la Chine. À l’intérieur, les compromissions sont possibles en tous lieux, les «nids d’hirondelles» pouvant même s’installer dans les stations balnéaires voire quelques capitales du sexpionnage.
Moins facile à cartographier dans un atlas, le monde «cyber» et ses agences spécialisées dans le domaine maritime, le cyberespace et tout ce qui menace les réseaux numériques. Il n’empêche, cet Atlas Secret 2024du renseignement donne une idée de ce qui se trame derrière la présentation ouatée des journaux télévisés, de la politique qui se voudrait «propre». Certes, le renseignement d’État n’a pas le monopole des services de renseignements que les FMN et les cabinets de conseils ont investi, notamment dans l’informatique.
L’Atlas Secret a une dimension éducative, civique, qui évite de tomber dans la théorie du complot. Ce qui n’est pas la moindre victoire.