Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

342 Billets

1 Éditions

Billet de blog 3 octobre 2025

Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

Festival international de géographie 2025  (1) Faut-il réécrire la Terre?

Géographie ? Cosmographie ? Maxime Blondeau se passionne pour une réécriture de la Terre qui marie les vieilles (et nouvelles) cartes, les photos et les images satellites. C’est sur les réseaux sociaux qu’il a capté une partie de son public. Rencontre avec un cosmographe, version XXIe siècle. (Gilles Fumey)

Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Cathédrale de Saint-Dié 3 octobre 2025) : foule pour l'évangile de la géographie © GF

On croise Maxime Blondeau au Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges chez l’un des plus célèbres cosmographes de l’histoire, Martin Waldseemüller qui, au gymnase de cette ville sise dans le massif vosgien, inscrivit pour la première fois sur une carte, le mot «America». Quinze ans après l’accostage du Santa Maria à Hispaniola, le soir du réveillon de Noël 1492, les cosmographes pensaient alors que le nouveau continent atteint par Colomb avait été foulé pour la première fois par Amerigo Vespucci. Le cosmographe Maxime Blondeau, donc, qui enseigne l’anthropologie, formule cette idée que la cosmologie est un corpus de croyances qui intéresse autant les sciences sociales que l’astrophysique. Et que muée en cosmographie dans les pas de Ptolémée, Waldseemüller, Humboldt la cosmologie donne une lecture renouvelée du monde tout en questionnant nos représentations

Illustration 2

Biberonné au numérique, Blondeau introduit la 3D dans la cartographie classique à deux dimensions, les anime tout comme les jeux vidéo nous permettent de dire qu’ «on est dans les cartes». Il voit les cartes comme des formats immersifs, comme n’importe quelle image et il est d’autant plus à l’aise avec l’idée de représenter le monde par un récit cosmographique que «la cartographie n’est pas [son] domaine qui est plus l’infographie, le cinéma».

Son premier livre veut réveiller notre conscience géographique en mettant le territoire au centre de sa pensée. Un territoire dont les trois dimensions sont la biosphère (le vivant), la géosphère (la géographie, la géologie) et la technosphère (les innovations, nos choix technologiques). Pour lui, les géographes qui s’en tiennent souvent aux atlas cartographiques font l’impasse sur la manière dont les sociétés se représentent à travers les médias, les cartes elles-mêmes, les données, les technologies.

Les représentations humaines sont toutes des collections de faits localisés qui s’emboîtent dans nos consciences. Emmagasinant les images dont la profusion actuelle donne le tournis, nous nous accrochons à des formes, des agrégats, des souvenirs. S’il s’agit de géographie, pour Maxime Blondeau, «parler de l’Afrique n’a aucun sens aujourd’hui, tant les habitants sur cette portion du monde ne peuvent être réduits à un toponyme». On lui donne raison lorsque les Maghrébins ne veulent pas être assimilés aux Subsahariens avec lesquels ils ne partagent pas les mêmes cultures.

Illustration 3
Aéroport d'Istanbul (deux fois plus vaste que Roissy CDG) © IGA

Si la cosmographie élargit le territoire du géographe, on pousse Maxime Blondeau dans ses retranchements : et l’ailleurs ? et le territoire des morts, des zombies ? Pour lui, l’espace des morts renvoie à la «bioconscience». Il ne faut pas «invisibiliser» les morts qui  «vivent avec nous», tout en ne niant pas la part physique («ma mère m’a réservé mon caveau»). Dans Géoconscience, un nouveau regard sur le territoire, les pages réservées au «milieu» renvoient à la question du «soin qu’on porterait à autrui», qu’il y a comme chez Alexandre de Humboldt une relation «émotionnelle» avec la Terre qui est une entité qu’on «ressent». De ce fait, l’écologie est bien ce qui prend soin, qui prend racine dans le lien, la relation. «Ne négligeons pas les expériences sensorielles : elles produisent une connaissance écologique». On se croirait dans la Normandie sensible d’Armand Frémont.

Illustration 4
Maxime Blondeau avec Karine Férol et Jean Laveugle, interrogés par Anne Lacambre (Cathédrale de Saint-Dié, FIG 2025) © GF

Il reste que le premier livre de Maxime Blondeau veut réveiller les consciences. Chaque page apporte son lot de surprises, notamment celles qui interpellent sur les maux infligés à la Terre. Un exemple: pour présenter le futur aéroport international d’Istanbul ouvert en 2022, passés les chiffres (200 millions de passagers, 77 km de pistes, etc.) l’insigne dans son livre est «le plus grand aéroport du monde sera bientôt achevé près d’Istanbul, coulé en plein cœur d’une des plus importantes zones de migrations aviaires». No comment. La Terre y est présentée comme un astre vivant : un volcan sous-marin élève le niveau global des océans pendant quelques secondes ; la mer Noire a été emplie il y a 7000 ans ; tel fleuve philippin engendre à lui seul 6% du plastique déversé dans les océans ; dans les quelques grammes d’un sol, il y a autant d’organismes vivants que d’êtres humains sur Terre ; la masse du béton et du ciment dépasse celle du vivant sur notre planète, etc.

Bruno Latour avait écrit : Où atterrir ? C’est, au fond, la même question. A force de creuser des sillons, d’étudier les nuages, nous avons acquis de quoi comprendre que nous avons perdu notre conscience de la Terre «par habitude, par erreur, par ivresse. En se fermant à son propre milieu, l’humanité se détruit elle-même». Ce n’est pas la moindre leçon de géographie de ce festival consacré au pouvoir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.