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Tout le monde se réjouit du Nutri-Score sur les produits alimentaires munis d'un emballage : une aide précieuse à la décision pour les consommateurs très lisible et accessible. Feu vert (lettre A) pour les produits de bonne qualité, feu rouge (lettre E) pour tout ce qui est nocif. Bravo au nutritionniste Serge Hercberg ! Il est rare que les nutritionnistes soient en phase avec les mangeurs et non pas les porte-parole de l’industrie agro-alimentaire.
Sauf que, pour le fromage de roquefort, ça ne va pas fort. Si la Commission européenne ne met pas d’eau dans son vin, voici notre star fromagère désignée à la vindicte des technocrates de la nutrition avec la note « E », la pire sanction pour un fromage sous appellations. Le Nutri-Score n’avait-il pas été pensé par le ministère de la Santé comme un moyen de lutter contre l’obésité ?
Pourquoi cette sale note ? Parce que la teneur en matières grasses (30%) et en sel (1809 mg pour 100g) est très élevée. Autant dire que de nombreux fromages, le beurre et la crème, les charcuteries et les viandes (porc, mouton) vont souffrir.

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Les sept producteurs de roquefort (Roquefort Combes avec le Vieux Berger, les Fromageries occitanes, le Vernières, le Carles, le Gabriel Coulet, le Papillon, le Société) dont Lactalis qui produit 70% du fromage à travers quelques marques sont vent debout contre l’obligation d’étiquetage. Certes, la filière a l’habitude des combats : chaque crise diplomatique entre la France et les Etats-Unis se solde par une surtaxe américaine. Les producteurs qui exportent le quart des 16 000 tonnes qu’ils fabriquent chaque année (soit 250 millions d’euros) attendent un régime dérogatoire qui pourrait s’appliquer aussi aux autres appellations menacées d’une mauvaise note. Et pas seulement en France, mais aussi en Angleterre avec le stilton et en Italie avec le parmiggiano reggiano.
Le Conseil national des appellations d’origine laitière (CNAOL) a beau expliquer aux eurocrates que ce sont les cahiers des charges des appellations qui fixent la teneur en ingrédients dans les fromages, rien n’y fait. Pour l’instant. L'AOP (appellation d’origine protégée) Roquefort créée en 1986, après l’AOC qui datait de 1925, ne contient que du lait, du sel, de la présure et des ferments. Aucun additif ni conservateur. En l’état de la législation, il est impossible de changer la recette, sinon il faut quitter l’appellation… Absurde.

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Il n’y a que les industriels qui tentent de copier le roquefort pour en faire des produits qui lui ressembleraient. Lactalis, le roi des faussaires, s’est fait vertement réprimandée par la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, en 2019 pour appeler « Bleu de brebis » un ersatz de roquefort produit par Société des Caves à Rodez (Aveyron). L’emballage en boite triangulaire avec le logo ovale « Société » avait fait bondir José Bové qui accusait l’industriel de « tromperie », les 3500 éleveurs de brebis de « fraude au consommateur ». Un accord aurait été trouvé début 2021 pour modifier l’emballage.
Pour entrer dans les clous du Nutri-Score, il n’y aurait qu’à remplacer le sel par des additifs et des conservateurs. Pas malin… Quand on sait que les appellations laitières, y compris la crème et le beurre sont, en France, des productions d’assez haut de gamme pesant 2,4 milliards d’euros. Voici comment le Roquefort s'invite à nouveau dans la géopolitique. Rappelons que cette appellation fut la première production alimentaire défendue par la puissance publique : en 1666, un arrêt du Parlement de Toulouse avait déjà averti les faussaires qu'ils seraient poursuivis. L'histoire bégaie...
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Pour information : on peut utiliser un indicateur plus pertinent, le Score Nova qui permet d'évaluer le degré d'ultra-transformation.
https://scanup.fr/degre-de-transformation-des-aliments-la-classification-nova/
Le Roquefort est bien noté avec ce score, ainsi que la grande majorité des fromages d'AOP lorsque le cahier des charges impose qu'ils soient exempts d'additifs.
Deux applications l'utilisent : scanup et siga (qui a établi son propre score à partir du Nova).

Sur la bataille de Serge Hercberg contre l'industrie agroalimentaire, lire "Mange et tais-toi" (HumenSciences, 2022).