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Billet de blog 5 août 2023

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Les Africains aux Français : du balai !

Dans la marche forcée du monde actuel, l’Afrique tient la corde. Même si « la France est devenue pour elle un acteur secondaire » (Achille Mbembe). Retour sur un continent toujours agité, au Sahel notamment où les putschistes tentent un coup de force. (Gilles Fumey)

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Manifestation au Mali (10 janvier 2020) © AFP VIA GETTY IMAGES

Ça cogne au Niger, après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso. Au point que le géographe Marc-Antoine Pérouse de Montclos se demande si les putschistes n’ont pas été formés par l’opération Barkhane menée depuis 2017. Il notait que les Etats-Unis avaient donné au Mali des formations aux militaires qui prirent déjà le pouvoir en 2012. Il ajoute : « Le coup de force au Niger [de cet été 2023] démontre les limites stratégiques d’une puissance moyenne qui n’en a pas fini de purger son passé colonial ».

Du coup, comment fabriquer une opinion en Europe qui ne soit pas en opposition avec celle des Africains qui n’en peuvent plus de la politique étrangère menée par Macron (qui compte sur le Tchad alors que le pays peut basculer d’un jour à l’autre dans l’opposition à la France) ? On peut prendre de la hauteur avec l’Atlas des Afriques qui est en kiosque en ce moment.

L'Afrique dans l'histoire

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Par où commencer son exploration documentaire ? Par un saut dans l’histoire. On dit que ça aide à comprendre le présent. Soit… Clément Ménard prévient que l’Afrique a été la matrice de notre espèce, celle des Homo sapiens, la seule à peupler le monde aujourd’hui. Ce n’est pas rien si l’on envisage cette place dans le monde actuel sur le plan anthropologique. Passons sur les rives du Nil, dans le royaume de Koush (2500 av. J.-C.- 330) situé sur l’actuel Soudan, premier Etat africain qui donne le premier alphabet à l’Afrique. Dans cette histoire, on a sans doute brûlé des étapes avec des outils (pioches, haches, smilles datées de 30 000 ans) retrouvés dans les fouilles d’Asokrochona (Ghana) durant les années 1930. Ou encore les peintures rupestres d’Afrique du Sud et Zimbabwe estimées aujourd’hui au moins 30 000 ans[1]. Et tenez, Madagascar est peuplée dès le 1er millénaire de notre ère, avec des navigateurs qui viennent des trois points cardinaux sur cette île (en fait, un mini continent, deux fois plus grand que la Grande-Bretagne). Exemple parfait de carrefour ethnique, étoffant son patrimoine génétique jusqu’en Asie du Sud-Est.

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© La Vie - Le Monde

Prenons les cités-Etats du Sahel occidental (empires Songhaï, du Mali, par ex. ) au Moyen Age, dans le bassin du lac Tchad jusqu’au 17e siècle, dans la corne de l’Afrique, intense carrefour culturel à cette époque avec l’Asie, sans parler des traites négrières très actives à cette époque : l’Afrique n’est ni en retard, ni à l’écart. Juste au carrefour d’une des pires séquences de l’histoire humaine.

Car sur les traites et les colonisations, l’atlas parle de « rupture ». Même si pour l’historien sénégalais Mamadou Diouf, la colonisation n’a pas entamé la culture africaine. « Les cultures ont pu se réinventer sans perdre leur essence » durant cet épisode colonial qui ne serait, pour lui, qu’un bref moment de l’histoire du continent. On veut le croire. Les saignées humaines provoquées par la déportation de plusieurs dizaines de millions d’hommes, avec « le Kongo et le Dahomey, rois du trafic humain » du 16e au 19e siècle ont toujours des impacts deux siècles plus tard. La « capture blanche » par les explorations et les conquêtes introduit l’Afrique dans la compétition commerciale imposée par l’Europe. Et le Liberia ? Des origines pas très glorieuses. Il est créé au début du 19e siècle, pour « régler la question de l’esclavage aux Etats-Unis en évitant l’installation sur le sol américain des Noirs affranchis » selon René Otayek. Le président Jefferson qui était esclavagiste voulait « les éloigner afin qu’ils ne puissent pas se mélanger à nous ».

Au Congrès de Berlin (ci-contre), près de 30% des 800 groupes ethnolinguistiques identifiés par George Peter Murdock voient leur territoire divisé par des frontières nationales.  L’exploitation passe au cran supérieur lorsque l’Afrique, sous domination européenne, est engagée dans la Première Guerre mondiale. Enrôlés comme travailleurs, porteurs ou soldats, les Africains paient un lourd tribut au conflit. Jusqu’à un demi-million de coloniaux travaillent en France en 1916, remplaçant, en partie, les soldats partis au front.

Au chapitre de la décolonisation, pour la philosophe Seloua Luste Boulbina, le processus sera d’autant plus lent qu’elle estime qu’il n’est toujours pas achevé. Car l’impérialisme n’a pas dit son dernier mot : avec les plans d’ajustement structurels du FMI et de la Banque mondiale, tout se passe « comme si, après des décennies d’exploitation sans vergogne, les Africains devaient être riches, bien portants, conformes aux standards occidentaux » s’emporte-t-elle. A noter, tout de même, que S.L. Boulbina ne répond pas à la question posée sur les responsabilités des dirigeants africains dans les échecs des indépendances. Notons que l’Algérie a été émancipée par la force des armes. Que la Françafrique représente le pire de ce que peut être un néocolonialisme. L’atlas détaille les formes de certaines libérations, comme celle du Ghana, de l’Afrique du Sud (« après la nuit, l’arc-en-ciel »).

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© La Vie - Le Monde
Et l’avenir ?

Franck Hermann Ekra, politologue ivoirien, « rêve d’une Afrique qui volerait au secours de son humanité ». Les Africains doivent se défaire des modèles importés et construire un « en-commun ». La jeunesse est vue comme un atout pour ce changement. Ne sont-ce pas « les artistes qui ont, les premiers, éveillé les consciences pluralistes et travaillé à ouvrir les sociétés africaines ? » Sandrine Berthaud-Clair plaide pour un programme d’urgence destiné à rebâtir l’école.

Sur le volet économique, l’extrême pauvreté pèse très lourd. Depuis l’an 2000, les bénéfices de la croissance ont échappé aux plus faibles. Et les conflits ainsi que le changement climatique n’améliorent pas la situation. L’Ethiopie est aux prises avec une crise politique insoluble, pour le sociologue Mehdi Labzaé. La guerre civile dans le Tigré a déjà coûté la vie à 600 000 Ethiopiens. Qui peut faire avancer le continent ? Les femmes. Elles sont les moteurs et les leviers des sociétés. « Dynamiques, engagées, innovatrices ». 80% des denrées alimentaires sur les marchés locaux sont vendues par les femmes qui deviennent, pour le quart d’entre elles, entrepreneuses, soit dit en passant, un record mondial. La situation sanitaire reste un vrai casse-tête, notamment du fait du manque de médecins.

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Dans les défis à relever, le rôle des évangéliques et pentecôtistes reste à évaluer. Avec près de 200 millions d’Africains, le tableau est plus que contrasté : des escroqueries, certes, mais aussi un Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018. Pour le Sénégalais Souleymane Bachir Diagne, il faut mieux connaître les « religions de terroir » qui sont des cosmologies et authentiquement africaines.

 Est-ce que la « puissance douce » (le soft power) et sa force de séduction dans le cinéma, la musique, l’art contemporain, la mode, le sport, la philosophie, la gastronomie peuvent œuvrer au bien de l’Afrique ? Une des manières de panser les plaies du passé serait de restituer le patrimoine culturel confisqué par les Européens. Les musées français comptent 150 000 objets dans leurs réserves. Plusieurs opérations sont en cours.

Où vivent les Africains ?

De plus en plus dans les villes, voire les mégapoles (on atteindra 50% de la population en 2030). La classe moyenne est coupée dans son élan depuis le Covid et la guerre en Ukraine. Mais le pire est lié à la crise climatique. La capacité d’y faire face étant faible, les pays pollueurs du Nord prendront-ils leur part ? Conséquence de l’urbanisation : la dépendance alimentaire, du fait que les paysans quittent les campagnes où les filières de production sont, en partie, désorganisées par l’aide alimentaire qui s’avère être un véritable poison. Des centaines de milliers d’hectares passent sous la coupe étrangère (Soudan, Ethiopie, Gabon, RDC, Mozambique, Madagascar, entre autres).

De l’espoir ? Paul Kagame au Rwanda et ses 13 millions d’habitants se veulent un rôle de leader régional et un exemple pour les voisins. Le coffre-fort minier qu’est le continent pourrait être un levier d’enrichissement des populations, mais les conflits déstabilisent les zones d’extraction. La naissance d’une union monétaire en Afrique de l’Ouest en 2020 avec l’éco peut-il aider la zone à sortir de la pauvreté, même si les guerres contre les groupes islamiques compliquent sérieusement la tâche ? Le téléphone portable et l’économie numérique sont-ils une solution ? Possible, mais au prix de fractures sociales et d’atteintes à la démocratie. L’énergie solaire thermodynamique, la banque mobile ? A condition, pour l’historienne Felwine Sarr (Afrotopia, Rey, 2016) de « ne pas enfermer les populations dans des valeurs qui ne sont pas les leurs ».

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© La Vie - Le Monde

Comme l’Europe pauvre au 19e siècle, l’Afrique s’est mise en mouvement, de force ou de plein gré. Les diasporas africaines, mieux reconnues, peuvent aider à construire une unité africaine globalisée. Elles peuvent aider à améliorer la condition des Noirs en France où les discriminations (à l’embauche, au logement, au faciès) sont de vrais handicaps. Quant aux régimes politiques locaux, ils sont mis au banc d’essai malgré les scrutins de plus en plus nombreux. La Russie avance ses pions, après la Chine, et sur des modalités différenciées.

Pour la philosophe Ramatoulaye Diagne Mbengue formée à Paris, il faut modifier le regard européen fait de préjugés. « Construire des ponts, des efforts de connaissance mutuels » dans la pensée philosophique, celle de « l’universel ». Elle veut croire que le continent est engagé dans la création de richesses. « Son discours va compter de plus en plus à travers le monde ».

Les néosouverainistes, pour Mbembe, pensent que c’est en boutant hors du continent les vieilles puissances coloniales, à commencer par la France, que l’Afrique parachèvera son émancipation. Rendez-vous pris dans vingt ans.

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[1] Al Imfeld, Des éléphants au Sahara, Lausanne, Ed. d’En Bas, p. 21

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Pour en savoir plus

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"La France exutoire tout trouvé" (sur Médiapart, entretien avec Elgas, écrivain sénégalais)

Dix ans après « L’autre Afrique. Entre don et marché », Serge Latouche situe le continent africain dans les débats contemporains, comme la décroissance, voire l’éternelle aide au développement. En rapportant des travaux de terrain, il évoque une « autre » Afrique, « laboratoire de la post-modernité », alternative viable à la débâcle économique de l’actuelle mondialisation. Avec une conclusion qui ne manque pas de sel : « L’Afrique peut contribuer à résoudre la crise de l’Occident ».

Sur le Congrès de Berlin 

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