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Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

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Billet de blog 7 octobre 2025

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Festival international de géographie 2025 (2) Feu d’artifice sur le pouvoir

Qu’est-ce que le pouvoir? Plus d’une centaine de géographes triturent la question dans une fête hors normes, où toutes les questions sont permises : guerres, violences et dominations… Avec un voyage dans les TAAF dont la confiscation par la France dans l’océan Indien est une forme de pouvoir assez étrange. (Gilles Fumey)

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Il y a mille manières de vivre un festival. Musiques, théâtre, débats, cuisines… tout est prétexte aujourd’hui à se rassembler pour cultiver ses passions. Certains êtres humains étant toqués de géographie depuis l’aube des temps, rappelons que nous leur devons cartes, itinéraires, récits de voyage et, in fine, des explications sur ce qui se passe sur notre petite planète (et au-delà). Ils peuvent cultiver depuis trente-six ans cette passion joyeuse en se retrouvant à Saint-Dié-des-Vosges, le premier week-end d’octobre, ralliant la cité où des cosmographes vosgiens ont imprimé la première carte de l’Amérique au début du 16e siècle.

FIG pluvieux, FIG heureux

Ces joyeux drilles se pressent dans des salons, des bars et des buffets conçus pour eux et ils phosphorent dans des conférences plénières (ou débattues) sur de graves sujets comme le changement climatique, les lieux de pouvoir, les migrations, etc. Cette année, plus de cinquante mille personnes ont bravé le vent et la pluie (en 2024, Saint-Dié ressemblait à une ville subtropicale) pour trouver leur pitance intellectuelle destinée à répondre aux questions sur la marche du monde (et la leur). On a quand même tenu à écouter Nashidil Rouiai et Manouk Borzakian (de notre blog) sur les cavalcades de James Bond et Ethan Hunt à Shanghai, Casablanca et Abu Dhabi. Présentés comme sauveurs du monde qu’ils dessinent aussi, ces acteurs rendent compte des rapports de force marqués par des formes subtiles de violence économique et symbolique. Auparavant, Nashidil avait montré la censure chinoise vis-à-vis des films occidentaux.

Illustration 1
Femmes et fournaise moyen-orientale

Cette année, la presse locale pointait la féminisation des expertes invitées: la climatologue Valérie Masson-Delmotte, la poétesse ukrainienne soldate sur le front Yaryna Chornohuz, l’essayiste Asma Mhalla et son étonnant opus Technopolitique, et toute une théorie de femmes dont la vie est «synonyme de luttes». En cela, elle rejoignait ce que la géographe Laura Péaud rassemblait dans un revigorant petit livre, Figures de la géographie, où elle vient de portraiturer neuf femmes (neuf hommes, en regard) auxquelles elle fait la place dans la galaxie des géographes : Martha Krug-Genthe, nos anciennes collègues Jacqueline Beaujeu-Garnier et Thérèse Saint-Julien, Doreen Massey, Robyn Longhurst, Patricia Noxolo, Ayona Datta, Camille Schmoll et Magali Reghezza-Zitt. Nous n’avons pas échappé à un débat sur la guerre israélo-palestinienne avec des journalistes chevronnés comme Pierre Haski (ex-Libé) et Edwy Plenel (Médiapart), le passionnant sociologue Adel Bakawan, trois hommes menés par la géo-journaliste Delphine Papin, qui fut thésarde de Béatrice Giblin et d’Yves Lacoste. Les uns et les autres jettent leur lumière sur cette sombre portion du monde, décortiquant l’engrenage géopolitique dans lequel nous sommes empêtrés, usant d’échelle locale (le Caveau des patriarches à Hébron, pour Haski), régionale (l’Irak, victime d’une idée folle des États-Unis pour Bakawan), mondiale (le colonialisme et sa dernière déclinaison génocidaire à Gaza pour Plenel).

Cap sur les Terres australes et antarctiques françaises

En surplomb de toutes ces questions brûlantes, le festival est l’occasion de découvrir le vaste monde par procuration, en écoutant ceux qui font des écarts, qui évitent les chaudrons brûlants. Parmi toutes les aventures possibles du FIG 2025, on a voyagé avec Bruno Fuligni sur un avion militaire et un vaisseau, le Marion-Dufresne en quête d’explication sur ces confettis de l’océan austral que collectionne jalousement la France: 439 663 km2 tout de même et un immense domaine maritime de plus de 2,2 millions de km2 dont on ne sait (presque) rien, sinon qu’il n’y a de présence humaine que symbolique: cinq gendarmes, quatre administrateurs, pas d’économie marchande sinon les chèques dans les sept bars et autant de boutiques de ce pays étrange où «la société n’est formée que de gens intelligents: scientifiques, ingénieurs, techniciens civils…», un médecin avec quelques fieffés originaux qui goûtent les paysages, la faune et la flore endémiques… Ces TAAF[1] existent depuis 1955, auxquels se sont adjointes en 2007 les îles Eparses au large de Madagascar.

Illustration 2
Vraiment la France?

J’aurais pu laisser Bruno Fuligni raconter le plaisir qu’il a eu de jouer à la marelle avec les Glorieuses, Tromelin, Juan de Nova, Europa et Bassas da India dans son livre mais l’envie du voyage vers ces 54 habitants poussera toutes celles et ceux qui s’étonneront que la France garde jalousement ces rochers… Partager l’existence de ces Robinsons modernes que sont les pêcheurs, marins, météorologues sur des terres «françaises», comprendre comment la colonisation a permis la «prise de possession» - expression utilisée en 1897 pour rafler Juan de Nova – de terres en se demandant comment on a eu le désir de les confisquer… Le récit de Bruno Fuligni est un roman. Surprises, retournements, drames humains et énormités au milieu des cocoteraies avec le souvenir d’hommes en tenue blanche d’administrateurs coloniaux. Nous sommes quasiment dans un conte philosophique avec des traces de naufragés, des naturalistes et des ornithologues qui bataillent contre les éléments (vents, froid, pluie) avec jubilation.

Explorant les archives des TAAF, un territoire aussi vaste que la Russie, Bruno Fuligni veut raconter comment naissent sur les cartes les îles Crozet, Kerguelen, Amsterdam et Saint-Paul. L’une est un repaire de phoquiers, l’autre une vaste machotière. Quelle histoire pour ces territoires rêvés par des fous et contrôlés aujourd’hui par une Isabelle Autissier, présidente du Conseil consultatif des TAAF inspectant en hélico les récifs et côtes sauvages? Bruno Fuligni, en bon archiviste, photocopie les Réflexions du chevalier de Kerguelen (1893) qui excite l’imagination des politiques de l’époque, fait écho aux grondements de canon du XIXe siècle lorsque les archipels sont convoités par les Anglais. Il joue des clichés avec Amsterdam désignée comme «trompeuse Côte d’Azur», annexée en 1843 par le gouverneur de La Réunion, une île au climat infernal. Son voyage se termine sur un cratère effondré, découvert en 1559, nommé Saint-Paul, vu au XIXe siècle comme une porte immergée des Enfers. Île maudite que personne ne réclame, inhabitée sinon par des otaries, des gorfous et des manchots à aigrette. Hors circuit, reste la Terre Adélie, terre de science, démilitarisée, vivant depuis 1959 sous le régime du traité de Washington. Ils sont jusqu’à 250 chercheurs à toucher ces glaces portant le nom de l’épouse de Dumont d’Urville qui les approcha en 1838.

Dans cette France inhabitée, se pratique «un collectivisme d’État». Il donne à voir combien la géographie est une donnée puissante qu’aucun cosmographe ni politicien ne peut épuiser. Seule l’imagination politique et la technologie, mais aussi les filets de l’Histoire peuvent enfanter de pareils espaces qui nous transportent au-delà des Vosges, et marquent la folie des pouvoirs agissant dans le monde hier et aujourd’hui.

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Illustration 3
Une manifestation voulue populaire © DR FIG

[1] Terres australes et antarctiques françaises, collectivité territoriale de cinq districts : les îles Eparses, l’archipel Crozet, les Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie (Antarctique).

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Tous les échos sur le FIG 2025

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Sur le blog

«Festival international de géographie 2025 (1) Faut-il réécrire la Terre?» (Gilles Fumey)

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