Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

338 Billets

1 Éditions

Billet de blog 8 juillet 2025

Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

28 ans plus tard, l’apocalypse à la papa

Après leur premier film de zombies en 2002, 28 jours plus tard…, Danny Boyle et le scénariste Alex Garland reviennent avec une suite qui inaugure en réalité une nouvelle trilogie. À travers le personnage d’un adolescent contraint de grandir trop vite, ils nous offrent une réflexion sur notre rapport individuel et collectif au temps et à la mort. (Manouk Borzakian)

Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

«The more you kill, the easier it gets.» Jamie (Aaron Taylor-Johnson) apprend à Spike (Alfie Williams), 12 ans, la dure vie en régime post-apocalyptique. Tuer des zombies, les regarder mourir sans baisser les yeux, ne pas montrer qu’on a peur, voilà comment on devient un homme, un vrai. Le père et le fils arpentent les vertes prairies et les forêts du nord-est de l’Angleterre, à quelques pas du mur d’Hadrien. Promenade de santé pour le premier, rite d’initiation pour le second, dont c’est la première sortie et qui, entre deux flèches envoyées dans le crâne d’un zombie, découvre qu’il existe un monde et que c’est beau.

L’effondrisme après l’effondrement

Illustration 1

28 ans après les débuts d’une épidémie de rage transformant les infectés en fous dangereux à tendance cannibale, la Grande-Bretagne est en quarantaine – on le sent, Covid-19 et Brexit sont passés par là depuis le scénario de 28 jours plus tard… Sur Holy Island, reliée à la terre par une chaussée recouverte à marée haute, une petite communauté vivote derrière des barricades. Survivalistes de l’après-effondrement, ses membres sont décroissants par nécessité, assez portés sur la violence martiale et sur la bière brassée maison, nostalgiques de l’armée de Henri V massacrant les Français et très à cheval sur les rites de passage. Avec une pointe de masculinisme dont Jamie, figure forte et respectée qui exprime ses sentiments en cognant les murs, offre une parfaite incarnation. Le tout forme une étrange société satisfaite de son archaïsme, à la manière de collapsologues récompensés (enfin!) par l’effondrement de la civilisation.

Voici donc Spike en plein rite initiatique, se risquant avec son père, qui rêve de faire de lui un gros dur, sur les terres britanniques contaminées. Et découvrant, arc et flèches à la main, les joies du massacre d’infectés plus ou moins dangereux – car près de trois décennies d’épidémie semblent avoir divisé les malades en catégories plus ou moins dangereuses et résistantes, artifice narratif que le scénariste ne juge pas nécessaire de justifier…

Illustration 2
28 ans plus tard, 2025, réal. Danny Boyle (c) Sony Pictures

Peut-être parce que l’important est ailleurs: Spike rêve d’un remède pour sa maman Isla (Jodie Comer), atteinte de terribles maux de tête, de pertes de mémoire et d’absences soudaines. Il y aura donc un deuxième voyage, mère et fils, à la recherche d’un personnage supposé fou, le Docteur Kelson (Ralph Fiennes), ancien médecin reclus à quelques jours de marche de Holy Island – qui n’est pas sans rappeler le colonel Kurtz d’Apocalypse Now. À l’issue de ce nouveau voyage initiatique, le vrai, Spike découvre que les adultes mentent sur l’état du monde et, surtout, apprend le deuil, expérience ambiguë dans un monde infesté de morts-vivants, mais décisive.

Enfermement et fin du temps

Le film semble hésiter entre horreur gore et récit d’apprentissage et on se demande parfois où Boyle et Garland, pas réputés pour leur subtilité, veulent nous mener. Pourtant, les deux projets se rejoignent sur des questions récurrentes (éculées?) qui traversent le cinéma post-apocalyptique depuis un demi-siècle.

La communauté de Holy Island hérite dignement de plusieurs générations d’enfermés plus ou moins volontaires, depuis La nuit des morts-vivants en 1968. Face à la crise, on se barricade et le monde alentour se voit réduit à une réalité pathogène dont on se préserve et dont on préfère savoir le moins possible. Reste une seule raison de s’aventurer au dehors: exterminer des zombies – dont le statut n’est jamais interrogé – et raconter ses exploits au retour.

Dans un monde où la préservation de soi et de son groupe devient l’unique horizon, il n’y a plus d’espace ni de temps. La géographie de l’après-apocalypse est celle d’un archipel dont chaque «île» ignore l’existence des autres, coincée dans une mentalité assiégée – soit une négation de l’autre et de l’ailleurs. Et son histoire n’en est plus une: pas de passé sinon mythique – les archers d’Henri V – et pas de futur autre que le cycle des saisons, les rites de passage et la reproduction infinie de l’existant, sans perspective d’évolution sociale ou politique.

La communauté de Holy Island offre une version fictionnelle des effondristes en tout genre, fascinés par la fin du monde et persuadés que la seule sortie possible de la crise politique et environnementale actuelle consiste en un retour à des modes de vie prémodernes fantasmés. Elle hérite de l’incapacité contemporaine, diagnostiquée par Fredric Jameson, à penser l’histoire humaine autrement que comme une catastrophe à venir.

L’apprentissage de la mort au contact du Docteur Kelson et de la maladie de sa mère sert au jeune Spike de rappel à l’ordre, d’incitation à vivre plutôt que survivre. En décidant de ne pas retourner profiter de la sécurité de Holy Island, mais de s’aventurer plus loin dans la Grande-Bretagne contaminée, l’adolescent commet un acte de résistance. Il rouvre un espace et un temps des possibles et, de cette manière, redevient acteur de sa vie.

----------

À lire

Manouk Borzakian, Géographie zombie, les ruines du capitalisme, Playlist Society, 2019.

----------

Sur le blog

«Penser le monde d’après grâce aux zombies» (Manouk Borzakian)

«Regard spatial sur la collapsologie» (Renaud Duterme)

«Fredric Jameson (1934-2024), penseur de notre détresse politique» (Manouk Borzakian)

----------

Pour nous suivre sur les réseaux sociaux

Facebook: https://facebook.com/geographiesenmouvement/

Bluesky: https://bsky.app/profile/geoenmouvement.bsky.social

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.