
C’est entendu. Nous sommes dans une phase d’extinction de la biodiversité. Cela en dérange peu qui sont pourtant fascinés par celles du passé. « L’extinction des espèces est un des premiers concepts abstraits intégré dans notre vie : demandez à un enfant de cinq ans ce qui est arrivé aux dinosaures, et il vous donnera sans doute une réponse scientifiquement acceptable »[1].
Il n’en a pas toujours été ainsi. On doit au génial Georges Cuvier d’avoir envisagé que certains animaux aient disparu. Il fallait les imaginer comme le fit Jean Hermann en esquissant pour la première fois un fossile de Ptedordactylus en 1800. Un vrai « changement existentiel dans notre vision de l’histoire » (id). Comment des mondes vivants avaient existé, dominés par de très grands animaux sans que l’homme ait été responsable de leur disparition ?
Les Anglais ont découvert des milliers de fossiles sur la « côte jurassique » du Dorset, débattu et sont parvenus, grâce à Henry De La Beche et Mary Anning – entre autres – à dessiner une scène écologique de cette époque (voir ci-dessous). Les paléontologues comme William Buckland (aidé par Cuvier), Richard Owen, Gideon Mantell et d’autres discutent sur la taille des animaux (9 à 25 mètres de long), regroupent leurs découvertes qui deviennent officiellement en 1842 Dinosauria, mot signifiant « terribles lézards ».

Mais tout va changer avec Benjamin Waterhouse Hawkins (aidé par Owen) dont l’imagination est sans limite. Sur le terrain du Crystal Palace, il conçoit au sud de Londres une installation artistique et scientifique de trente trois sculptures (dont trois dinosaures, des reptiles, des mammifères volants ou marins) au milieu de végétaux d’époque. Cette première tentative d’éducation scientifique du grand public est un succès. Et le début de la démocratisation des grandes découvertes. Cent soixante-dix ans plus tard, elles sont toujours intactes.

Mettre « de la chair sur les os » change le regard sur la vie, lui donnant une « dimension platonicienne et romantique » (id.) avec formes idéales et processus divins. Et cet étrange lien entre dinosaures et oiseaux, dans l’évolution, comme le pensait Thomas Huxley. Darwinien et « néo-lyellien », Huxley dialogue avec Haeckel après avoir lu sa Morphologie : « Le chemin des reptiles vers les oiseaux passe par celui des dinosaures» écrit-il en 1868. Que penser de Darwin, habitant à seize kilomètres du Crystal Palace qu’il a ignoré en raison de son antipathie à l’égard d’Owen?
Des dizaines d’artistes s’emparent des reconstitutions des dinosaures sans parvenir réellement à les faire évoluer au-delà de leur origine reptilienne. Hawkins passe pourtant rapidement des quadrupèdes avec leur allure de rhinocéros aux bipèdes plus proches des oiseaux comme Archaeopteryx.
Quelques décennies passent et le manque d’intérêt pour la théorie de l’évolution et le paléo-art de l’Angleterre victorienne assure aux magnats américains de grands succès, avec des fossiles de qualité supérieure à celle de l’Europe. Place aux Stegosaurus et leur dos cuirassé et bardé de pointes. Le chemin sera long pour admettre que l’extinction de la grande faune ne signifie pas une rupture du lien avec nos dinosaures vivants, à plumes, vivant parmi nous.
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[1] Ellinor Michel et Mark P. Witton, L’invention et la réinvention des dinosaure : la découverte du XIXe siècle », in Les origines du monde. L’invention de la nature, Musée d’Orsay-Gallimard, 2020.
Pour en savoir plus sur l'exposition prévue au musée d'Orsay

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