Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

356 Billets

1 Éditions

Billet de blog 12 octobre 2024

Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

Vertiges d'une géographie du Ciel

Il y a un peu moins de deux siècles, le géographe Humboldt tentait une première « mise en ordre » du Monde, empruntant aux Grecs le terme de « Cosmos ». Aujourd’hui, l’aventure continue. Atlas, livres d’observation du ciel foisonnent. Ils donnent le vertige de notre monde déployant dans un infini qui résiste à notre quête de tout savoir. (Gilles Fumey)

Géographies en mouvement (avatar)

Géographies en mouvement

Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
En 1668 et 1669, Vermeer peint un géographe (dr.) et un astronome en action, comme si les deux chercheurs travaillaient à la même connaissance du monde. (Louvre, musée Städel Francfort)) © CNC

Après la Terre, le Ciel. Le géographe Christian Grataloup, l’astrophysicien Pierre Léna et leurs équipes se mettent dans les pas des mathématiciens et philosophes depuis Thalès, Ptolémée, al-Khwarizmi, Kepler et tous ceux qui, depuis le 17e siècle, ne cessent de fouiller le Ciel. Ils font l’histoire d’une passion à comprendre la physique de ce qu’on appelle l’Univers aujourd’hui. Alexandre de Humboldt avait tenté, avec son Cosmos, dont les débuts de la rédaction étaient en français en 1833, une «physique du monde» tenant compte de la révolution scientifique du siècle précédent. Les astrophysiciens d'aujourd'hui nous plongent dans l’immensité du cosmos, depuis notre Système solaire jusqu’aux galaxies les plus lointaines avec une imagerie très savante. Astéroïdes, planètes, étoiles et amas d’étoiles, nébuleuses, galaxies, globules cométaires, supernovas, chaque objet céleste pouvant être donné à voir par des photos d’amateurs qui auraient époustouflé notre polymathe berlinois.

Illustration 2
Esthétique

En effet, Voyage au bout de l’Univers donne à voir une rencontre entre deux groupes de passionnés.  Les premiers sont des astronomes amateurs qui photographient le ciel avec leur télescope dans le jardin, passent des nuits à traquer l’infini pour s’offrir des images spectaculaires. Les seconds, professionnels, mesurent le cosmos avec de grosses machines, atteignant des longueurs d’ondes inaccessibles aux amateurs. Leurs modèles théoriques révèlent des mécanismes physiques à l’œuvre dans l’univers. Aux amateurs, la beauté, comme les peintres l’imagineraient ; aux autres la vie et la mort des galaxies, les origines de la vie. Tous sont fascinés. Esthétique et science ne font qu’un chez eux.

N'allez pas imaginer que leurs photos seraient, pour nous, néophytes, trop fines pour ne pas paraître différentes. Dans le livre dirigé par Denis Priou, ils nous familiarisent avec le Soleil et la Lune, puis notre Galaxie, la Voie lactée et tous ces objets célestes qui naissent, grandissent, déclinent et meurent. Plus « loin », le monde des galaxies, ces «univers-îles» ainsi que les avait nommées Alexandre de Humboldt, solitaires ou amassés, flottant dans des abîmes cosmologiques. Des étapes vertigineuses qu’on «domestique» en accordant aux reliefs détectés sur la Lune un vocabulaire et une toponymie terrestres.

Illustration 3

Thérèse Encrenaz de l’Observatoire de Paris décrit patiemment avec talent les planètes (nos voisines comme Vénus, Mars, Saturne...) en citant aussi les 5500 planètes extrasolaires – exoplanètes – découvertes depuis 1995 et les nuages martiens (de glace) analysés par des amateurs. Certains petits corps comme les comètes émettent des lumières en quelques minutes ou... en six millions d’années. Ces vestiges du Système solaire de taille modeste (quelques kilomètres de long) ont effrayé les Chinois déjà au 2e siècle avant notre ère mais aussi de nombreux politiques dans l’histoire si l’on en croit l’Atlas historique de Grataloup et Léna.

Ce petit 1,3 million d’astéroïdes n’a d’intérêt que pour connaître les conditions du disque protoplanétaire aux premiers âges du Système solaire. 2 à 5 météorites susceptibles d’être retrouvées tombent en France chaque année mais nous n’en retrouvons qu’une tous les dix ans. Grâce à de nombreux programmes de science participative avec les observatoires (Meudon, MNHN...), on fouille le ciel en permanence et on détecte les entrées atmosphériques de météores qu’on documente sur Vigie-Ciel.

Illustration 4
Nébuleuse de la Tarentule NGC 2070. La plus grande région HII du Grand Nuage de Magellan. Ionisée par les étoiles chaudes de l'amas central R136a.On peut observer d'autres amas dans l'image.
Peintres du cosmos

Prenons le cas de la Voie Lactée grande barre laiteuse diffuse qu’on ne voit très bien que depuis le ciel chilien. Avec elle, il nous faut changer d’échelle, compter en année-lumière pour identifier ce disque de plus de 100 000 années-lumière de diamètre. Denis Pirou la compare à une île perdue dans l’océan Pacifique, un écosystème cosmique qu’on ne peut atteindre, pour la plus proche, qu’à 2,5 millions d’années-lumière. Âgée de 10 milliards d’années, elle serait née de la fusion de galaxies naines et notre Galaxie aurait pris sa forme actuelle à la suite d’une collision avec Gaïa-Encelade, une galaxie naine. Grâce aux filtres optiques, certains amateurs parviennent, avec des dizaines d’heures de pose, à donner des paysages célestes saisissants qui relèvent de l’art. Ces astronomes amateurs sont les véritables peintres du cosmos.

Illustration 5

Nous sommes invités, ensuite, au banquet des étoiles dont on explique la naissance. Il y est question de « nurseries », de nébuleuses, de supernovae (stade terminal de la vie d’une étoile), autant dire qu’il ne faut pas être pris de vertige. Les amas d’étoiles ont fasciné les astronomes comme Galilée en 1610 qui les comptait et les cartographiait (ci-contre). Noël Robichon (Observatoire de Paris) les décrit de leur formation à leur dispersion et explique que leur observation sert à déterminer la distance des galaxies. Son confrère James Lequeux explique ce qu’est le milieu interstellaire, ses régions, ses nuages. Les clichés amateurs de la Méduse, de la dentelle du Cygne, du Calamar géant sont fabuleux, donnent à voir un milieu chaotique, turbulent. Pour ceux qui sont pris de vertige et se contentent de la Voie lactée (VL), François Hammer nous emmène dans le Grand Nuage de Magellan situé dans la «banlieue» de la VL, et aussi dans la galaxie d’Andromède où les amateurs défient les astrophysiciens dans leurs observations.

Illustration 6
Nébuleuse de la Statue de la liberté NGC 3586
Quand le Ciel marque la Terre

Comment les Anciens et les autres civilisations voyaient-ils ce monde extra-terrestre ? Pierre Léna et Christian Grataloup fouillent les archives, enquêtent. Ainsi, la VL chez les Indiens Navajos est le lieu où migrent les âmes des défunts suivant ce chemin de lumière vers l’éternité. Chez les Polynésiens, la VL est la semence cosmique du dieu procréateur des humains. Le ciel, une «source de pouvoirs» ? Pour les princes, certainement. Les calendriers, le zodiaque, le lieu des dieux et des morts (là où est le Pantocrator des orthodoxes, les paradis...) Mais aussi le ciel sur la terre des Romains qui axent leurs villes sur le soleil au solstice en traçant le cardo: Lutèce a été tracée par le ciel.

Illustration 7
Aurore boréale à Baziège (Haute-Garonne), le 10 octobre 2024. © DR

L’invention des lunettes, des télescopes, des astrolabes n’a pas totalement effacé la cartographie du ciel par des formes d’objets : dragons combattants, casque de dieu guerrier, cité Inca, tête de cheval, calmar géant et même, incongrue, statue de la Liberté ! Ces mondes nous parlent de nous, à travers leurs messages lumineux qu’aucune mathématique ne saurait épuiser.

 -------

Sur le blog :  Sommes-nous seuls dans l'Univers ? 

Pour en savoir plus : Cours d'astrophysique pour débutants (université de Genève)

Cours élémentaire d'astronomie et d'astrophysique (G. Paturel, Observatoire de Lyon)

L'histoire de l'univers racontée par la lumière (par David Elbaz, invité à Rennes, Mardis de l'espace des sciences, 2023)

⌛ [David Elbaz] L'histoire de l'univers racontée par la lumière © Espace des sciences

-------

Pour nous suivre sur Facebook: https://facebook.com/geographiesenmouvement

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.