Lesly, 13 ans, Soleiny, 9 ans, Tien Moriel, 4 ans et Cristin, 11 mois, ont survécu seuls, après un crash d’avion, pendant 40 jours dans une forêt tropicale en Colombie. Retour sur le savoir des enfants indiens. (Gilles Fumey)
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Plus d’une centaine de militaires et presqu’autant d’indigènes ont traqué les moindres traces des enfants dans cette part de la forêt au sud-est du pays. La paresse voudrait qu’on croie au « miracle ». Il serait plus exact d’évoquer une « science de la nature » transmise par les Uitoto, ethnie à laquelle appartenaient les enfants.
Oscar Garcia, chercheur à l'EHESS, ne veut pas parler de miracle. Car « ce serait nier les connaissances des enfants. La technique de l’éducation de l’attention leur apprend à se déplacer, se nourrir, se protéger et se soigner dans la jungle ».
Vivant dans un village sans accès routier, les enfants s’étaient envolés dans un U206 G Cessna (vieux de 40 ans) d’Avianline Charters avec leur mère, un pilote et un co-pilote de Araracuara vers la petite ville du sud colombien, San José del Guaviare, à 350 km, pour rejoindre leur père. Manuel Ranoque, le père, est un dissident des Farc, gouverneur d’une réserve indigène à Puerto Sabalo, ayant fui le village au début de l’année 2023. Selon les autorités, les enfants fuyaient avec leur mère leur village, suite à des menaces de la dissidence des Farc, qui rejetait un accord de paix historique signé en 2016 entre le gouvernement colombien et cette guérilla marxiste.
Une panne de moteur fait s’échouer l’avion à près de 100 kilomètres du lieu à atteindre. Pendant 40 jours, le grand-père explore la forêt avec des proches, sans être aidé, « sans soutien matériel » a-t-il précisé à l’AFP. Il y est tombé malade. « Nous demandons au président (Gustavo Petro) de dédommager tous ceux qui ont participé aux recherches. »
Finalement, la carcasse de l’avion est retrouvée le 16 mai dans le département de Caqueta, nez au sol, plantée à la verticale. Les corps sans vie des trois adultes sans les enfants laissent penser qu’ils doivent survivre, des traces de fruits grignotés sont signalées non loin de là. Selon les enfants entendus à l’hôpital de Bogota, la mère n’aurait survécu que 4 jours au crash. "Avant de mourir, la mère leur a dit : « Allez-y, partez» rejoindre votre père", a expliqué M. Ranoque. L’aînée, Lesly, prend alors la responsabilité de la fratrie. Sa mère lui avait appris à se protéger des grands prédateurs en surveillant certains indices. Une autre version indique que la jeune fille avait subi les violences de ce beau-père et cherchait à le fuir dans la forêt. Il n’empêche.
La découverte d’une nouvelle cabane le 16 mai, à moins d’un kilomètre de l’avion relance les recherches qui s’accélèrent. Les hélicos tentent de diffuser des messages par hauts parleurs, transmettant la voix de la grand-mère, les suppliant de ne pas bouger. On leur jette des tracts leur expliquant comment se faire repérer, de la nourriture. Un chien sauveteur qui les cherchait passe quelques jours avec les enfants avant de se perdre dans la jungle.
Début juin, les enfants sont localisés par des indigènes qui transmettent leur localisation située à 5 kilomètres de l’épave. Une performance, que cette alliance entre pouvoirs publics et indigènes, qui avait rassuré les père et grand-père, Fidencio Valencia, sur les chances de survie, car pour l’aïeul, « ils ont l’habitude de la jungle ».
La dissidence des Farc dans le sud-est colombien
Agrandissement : Illustration 3
Manuel Ranoque toujours menacé
Le père se dit toujours « menacé par le Front Carolina Ramirez de la dissidence des Farc », sans préciser les raisons de ces menaces. "Je sais que ces gens sans scrupules peuvent recommencer à faire pression et je ne le permettrai jamais. Ils ont dit qu'ils allaient venir me chercher jusqu'à Bogota (...) Tout ce qu'ils veulent, c'est l'intérêt économique et si vous ne les rejoignez pas, vous êtes un ennemi. »
Fief historique des Farc, le sud-est amazonien a été le théâtre de cette recherche des enfants par l’armée qui l’a organisée comme une course contre la montre. Le gouvernement colombien venait de rompre un cessez-le-feu avec le groupe armé. Et craignait que les enfants soient pris en otage.
En attendant que Netflix fabrique une légende cette histoire à multiples facettes, il reste que quatre enfants, dont un bébé, ont survécu pendant quarante jours dans la forêt tropicale. Nul doute que les savoirs vernaculaires acquis par les enfants leur donnent toute l’aura qu’ils méritent, quand bien même l’Occident matérialiste se moquera des rites indigènes, telles ces prières, qui ont permis, selon les locaux, d’éviter le pire.