Quand Macron vient à la Sorbonne, les enseignants de l’établissement sont persona non grata. La Sorbonne? Juste un décorum pour le cirque présidentiel. Sans considération pour la communauté qui y travaille, soit près de 65 000 personnes dont 80% d’étudiants.
Quand Macron vient au Collège de France, ne sachant plus où pérorer depuis sa dissolution ratée, mieux vaut ne pas habiter le Quartier Latin. C’est une ville assiégée rappelant 1968 avec les CRS quadrillant les rues. Des centaines de policiers en tenue Robocop vous toisent la main droite sur la gâchette. Les habitants se demandent: tout ce bazar pour quoi? Renseignons-nous.

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Tout ce bazar, pour parler de «l’avenir de la compétitivité européenne». Invité par l’économiste Philippe Aghion qui l’avait reçu pour sa leçon inaugurale en 2015 et aux côtés de celui qu’on appelle parfois le «sauveur de l’euro», Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne. L’Italien Draghi joue au grand sage alertant sur le déclin technologique et économique de l’Europe face à la Chine et aux États-Unis. Que vient dire Macron? Toujours aussi modeste, il explique avoir eu raison lorsqu’il avait appelé jadis à «l’indépendance européenne», et ajouté que l’Europe «doit prendre en main son destin». La belle affaire! A-t-on besoin d’une telle pythie au moment où la Commission de Bruxelles fait le forcing pour signer le traité de commerce du Mercosur qui va appauvrir encore plus les agriculteurs en Europe et, particulièrement, en France?
N’a-t-on déjà pas entendu en avril dernier, à la Sorbonne justement, ce politicien enflé par sa personne dans le Grand Amphithéâtre lorsqu’il tonnait: «L’Europe peut mourir»? Quel est son bilan politique européen, au moment où le pâle Séjourné planche devant le Parlement à Bruxelles, en promettant de «ne pas déréguler» (on se pince), de «lutter contre les difficultés de l’industrie», au moment où la France est menacée par des plans sociaux qui vont mettre, au bas mot, 260 000 salariés sur le tapis dans les prochains mois? (1)
Pensée magique
Macron, président bavard que le politologue Jean-François Bayart qualifiait il y a peu d’«enfant immature», avait lancé le 7 novembre dernier à Budapest une bien curieuse métaphore le jour même de l’élection de Trump: «Le monde est fait d’herbivores et de carnivores, si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront». Affligeante punchline de pensée magique qu’un élève de lycée n’aurait même pas osée dans une copie. Mais qui en dit long sur sa vision du monde.
Macron qui dit tout et son contraire et dont le gouvernement vient de voir son budget recalé par l’Assemblée nationale, a osé ce soir: «En Europe, on sous-investit dans le public et, dans le privé, on surrégule et on protège trop peu. On a beaucoup sacrifié notre demande intérieure ces dernières années, ce qui a permis à des modèles macroéconomiques tirés par les exportations de prospérer.» La faute à qui? Incapable d’assumer le dérapage du déficit budgétaire, Macron pense nous distraire avec ses foucades sur la souveraineté européenne. Facile.
Pourquoi l’inviter si ce n’est pour l’entendre pérorer sur la vitesse avec laquelle l’Europe aurait pris «des bonnes décisions»? Il fallait entendre Philippe Aghion, inspirateur du programme économique de Macron en 2017, passer le cirage sur la «lutte» continuelle du président pour des «politiques industrielles plus coordonnées entre États membres de l’UE» et son rang de «leaders parmi les plus visionnaires en Europe».
Mario Draghi demandait que l’Europe «se réveille» face à Trump. Pour Macron, cela veut dire «accélérer» vers le «marché unique, notre force» avec le mantra du moment: la sim-pli-fi-ca-tion. Et toujours ces «champions» de l’innovation, pas des petits, mais des géants... «On a un biais en Europe: celui du retour géographique [sic]. Qu’on se le dise: il n’y aura pas 27 retours [Macron parle de retours sur investissements] dans chaque pays. Il faut accepter d’avoir une approche du 'meilleur athlète': il faut une agence européenne qui sélectionne les meilleurs projets et il y aura un champion européen. Il sera peut-être en Pologne, et ça ne sera pas grave pour la France ou l’Allemagne.» De qui se moque-t-il ? Est-il conscient que les scientifiques et les économistes français qui l’écoutent sont sonnés par tant de culot?
À deux pas d’ici, il y a sept ans, c’était déjà les mêmes incantations creuses sur «une agence européenne pour l’innovation», probablement la copie de l’agence américaine de recherche militaire DARPA, section du Département de la Défense des États-Unis, où Internet était née. Creuses, parce que sept ans ont passé et qu’il ne s’est rien passé.
C'était au Collège de France, un cancre venu pour rien.
On se gaussait de voir, au premier rang, deux ex-ministres, Clément Beaune et Roselyne Bachelot, applaudir bien fort, comme à la fête à Neuneu. Roselyne va-t-elle inviter son président aux Grosses Têtes ?
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(1) L’observatoire BPCE table ainsi sur 65 000 défaillances en fin d’année et 260 000 emplois menacés. «Il n’y aura pas de tsunami en 2024, plutôt une marée haute: probablement le niveau le plus élevé des quinze dernières années», estime Alain Tourdjman, directeur des études économiques à BPCE.
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Sur le blog
«Macron le fugitif» (Gilles Fumey)
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