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Billet de blog 16 avril 2023

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Au secours, Gustave Courbet ! la Loue se meurt

Le rebelle franc-comtois qui aimait peindre la Loue dans son pays d’Ornans (Doubs) serait furieux de l’état dans lequel la rivière aborde un printemps et un été dans un état sanitaire très préoccupant. Très largement dû à des dérives productivistes agricoles d'opportunistes profitant de la réussite du Comté et sapent la réputation d’une filière jusqu'ici modèle agricole. (Gilles Fumey).

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Sur les pas de Gustave Courbet, la Loue, une rivière mythique en train de mourir © Musée Courbet. Ornans

La Loue n’en finit plus d’étouffer. Jean-Pierre Tenoux s’est fait le relais des associations, des riverains et des scientifiques qui ne veulent pas voir mourir leur rivière.

Ecocide au lisier

Pendant que Macron mène le pays à la guerre civile, les voyous continuent leur travail de sape environnementale en toute impunité. Courant mars 2023, un éleveur de Malbrans (Doubs) depuis son village qui domine la superbe vallée de la Loue, a jeté 10 cuves de lisier (soit environ 100 mètres cubes) en pleine nuit dans un « puits perdu », une de ces anfractuosités du karst local. Plus facile de se débarrasser de ce lisier toxique que de l’employer comme engrais… Les sanctions financières contre les coopératives de la filière Comté qui déversent leurs effluents dans la Loue sont-elles dissuasives ? On voit, certes, la fromagerie Monnin à Chantrans (Doubs) et la société Perrin à Cléron (Doubs) récemment condamnées, faisant appel, se résigner à construire des stations d’épurations enfin adaptées aux volumes des effluents qu’elles rejettent. Mais vu l’urgence, est-ce suffisant ? Car la rivière peinte par Courbet est asphyxiée par un excès d’azote et de phosphore mesuré par les biologistes de l’université de Franche-Comté. La saprolégniose accentue la mortalité des poissons, les algues vertes filamenteuse accroît l’eutrophisation de l’eau.

Les plateaux du massif du Jura sont percés de grottes et de gouffres. Les sols sont superficiels et les eaux ainsi que toute les matières liquides qui y sont épandues se retrouvent entrainées sans le moindre filtre dans les dédales du karst et rejaillissent quelques heures plus tard dans les ruisseaux et rivières. Il en est ainsi des épandages du lisier lorsqu’ils se réalisent en excès par rapport à la surface où ils s’établissent, mais aussi des stations d’épuration et de tous les rejets issus des activités humaines.

Les consommateurs peuvent apporter leur pierre à la lutte contre la pollution agricole. En repérant le fautif qui empoisonne le sous-sol karstique livrant son lait à la coopérative des Sources de la Loue, une fromagerie et son magasin installés sur la Nationale 57, à Saint-Gorgon-Main peu avant Pontarlier, les amateurs de Comté peuvent-ils faire pression sur la filière ? On pourrait demander au comité interprofessionnel du Comté (CIGC) de suspendre l’agrément AOP aux éleveurs et fromageries coupables de ces pollutions criminelles.

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Les eaux usées qui s'écoulent de la station d'épuration de la fromagerie Monnin une fois par jour © Radio France - Sophie Allemand

Du reste, pourquoi le lisier empoisonne-t-il la région ? Avec l’industrialisation de l’agriculture, l’agrandissement des fermes encouragées par des stabulations subventionnées par de l’argent public, la mécanisation à outrance dans les groupements agricoles d’exploitation agricole (GAEC), avec les méthodes d’élevage, les agriculteurs ont abandonné le fumier, engrais naturel autrement plus riche. Pour le produire, il faut acheter de la paille et puis, faire la litière du bétail est un travail fastidieux… Le lisier, c’est-à-dire le mélange des déjections solides et liquides c’est plus pratique : plus besoins de paille, pas temps passé à préparer les couchages des vaches jusqu’à 3 ou 4 fois par jour en hiver, un épandage rapide avec un seul engin… pour peu ses promoteurs vont bien un jour nous dire qu’il consomme moins d’énergies fossiles… Comment changer de méthode « sans revenir en arrière » ? Sinon modifier ces stabulations et accompagner les agriculteurs qui ont fait fausse route dans un plan d’interdiction du lisier. Les financeurs ont notablement évolué dans cette direction. Ainsi, depuis quelques années (5 ans) la Région Bourgogne-Franche-Comté n’accorde plus de subventions aux stabulations neuves ou en rénovation en système dit « lisier intégral ».

Pour les stabulations existantes, les agriculteurs disposent de fosses de stockage et de plans d’épandage. Ils sont tenus d’enregistrer à la parcelle les dates et volumes mis en œuvre. L’essentiel d’entre eux respecte ces pratiques et raisonne à bon escient sa fertilisation. Mais voilà, comme dans toute corporation, des opportunistes, des profiteurs sans foi ni loi s’animent et détruisent le travail de la majorité silencieuse.

La filière Comté se retrouve bien malgré elle mise au pilori et vouée aux pires critiques. Que pourrait-elle faire pour empêcher de pareils agissements qualifiable d’écocide ? Elle doit passer à l’offensive, pas en communiquant pour condamner mais en agissant en supprimant définitivement ou temporairement les droits à produire attribués aux producteurs et aux fromageries condamnées pour des faits de pollution tant par intention que par négligence. Il s’agit pour elle d’une obligation morale !

Elle vient certes de retravailler son cahier des charges, lequel est d’ailleurs actuellement soumis à l’approbation de l’Union Européenne. Elle a introduit diverses mesures nouvelles et innovantes qui œuvrent dans le sens d’une limitation de la fertilisation et de l’emploi du lisier. Mais est-ce suffisant ? Les mesures emblématiques que sont la mise en place d’un contingent laitier à l’hectare, appelé localement « référence de productivité » et la volonté de limiter le nombre de vaches à 50 par unité de main de d’œuvre ont des limites.

La productivité à l’hectare n’a pas été calculée en fonction de la production réelle des fermes mais du quota laitier qu’elles détenaient en 2015. Pour nombre d’entre-elles, souvent les plus grosses, le quota était largement supérieur à la production réelle. Il avait été consolidé par des agrandissements et l’installation de jeunes exploitants. Aujourd’hui, ces fermes intensifient leur production pour atteindre leur droit à produire. La haute rémunération du prix du lait les y encourage quitte à importer de la nourriture pour le troupeau comme par exemple des aliments à base d’oléagineux et des betteraves qui sont issus de productions agricoles très éloignées du terroir du Comté. (voir Note plus bas)

Illustration 3
Source de la Loue (Gustave Courbet, 1864) © Metropolitan Museum of Arts (New York)

Louons la Loue !

Pour le géochimiste Jérôme Gaillardet (Institut de physique du globe de Paris), il faudrait « attribuer des droits aux rivières comme cela se fait en Nouvelle-Zélande et dans d’autres pays. » Comme on y réfléchit pour les arbres. Il faut évaluer le service que « les fleuves et les rivières rendent au système Terre, sans lequel nous ne pourrons survivre dans la période critique climatique qui s’annonce. » « Louons la Loue ! » pour ce qu’elle a apporté aux humains, aux émotions qu’elle a données à Gustave Courbet, aux aménités qu’elle donne aux riverains.

Les régions karstiques sont au pied de la falaise. Deux femmes sont aux avant-postes dans la vallée de la Loue : la maire d'Ornans, Isabelle Guillaume, et la substitut du procureur de Besançon, Claire Keller tentent de faire bouger les lignes. Y parviendront-elles avec les associations locales qui bataillent depuis des années à signaler aux paysans du bassin-versant, aux sylviculteurs et aux producteurs d'électricité ce qu'ils doivent corriger ? Souhaitons que oui, avec tous les habitants de la région sensibilisés aux dégâts de leur modèle économique. 

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Note : En fait, cette régulation forme une sorte de paravent qui favorise les grosses fermes disposant d’importantes références de production à l’hectare. Une question ici se pose et devrait être discutée : quel volume de lait est-il possible de produire par hectare en respectant les ressources fournies par la nature ? Et non quelles techniques employer pour atteindre la production de lait qui m’est autorisée...

Des moyens existent et pourraient être discutés comme par exemple apporter de la souplesse pour les producteurs extensifs qui établissent l’image du produit (du moins c’est un des éléments perçus par le consommateur qui l’exprime avec son consentement à payer lors de son achat) ou encore ne pas accorder de droits de productions en cas d’agrandissement tant que la ferme ne converge pas vers une production moyenne à l’hectare conforme aux capacités du milieu.

La limitation du nombre de vaches par actif souffre des mêmes affres. Cette mesure au demeurant très intéressante n’empêchera pas la concentration des fermes, du moins jusqu’à des troupeaux atteignant entre 170 et 200 vaches selon leur niveau de production, certes avec pas moins de quatre ou cinq associés. Mais est-ce là une évolution souhaitable et conforme au principe consacré des AOP, à savoir le maintien, le développement et la transmission d’usages « locaux, loyaux et constants » ? Cela interroge pour une filière agricole qui porte le noble héritage du système médiéval de la fruitière où chaque paysan est égal en droits et devoirs à son voisin, sans considération de taille économique. Les valeurs sociales, la solidarité du tissu coopératif des fruitières doit pouvoir puiser dans ses ressources humaines, intellectuelles et matérielles pour garantir une exemplarité sur sa capacité à faire face aux crises environnementales qui impactent notre avenir. Les éleveurs et fromagers du massif du Jura sont face aujourd’hui à un défit de taille. Soit, ils arriveront à le surmonter. Soit leurs descendants se lamenteront de leur incapacité à l’avoir fait, en constatant avec amertume que la réussite les a rendus aveugles.

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Des actes de délinquance paysanne commis pendant le confinement de 2020 : Western en Franche-Comté (Libération)

La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ? (Médiapart)

L’eau dans une France bientôt subaride (Médiapart)

Un article sur la filière Comté (Annales de géographie, par Pascal Bérion, Gilles Fumey)

Rivières françaises : vers un retour à l’état naturel ?

Une vidéo*** de Laurent Laffly sur le Doubs franco-suisse Et au milieu meurt une rivière

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