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Comment montrer que, dans une société démocratique où ce n'est plus la lignée qui compte mais la compétence, l'étalon généralisé de la note a donné lieu à une dérive mortifère. Ceux qui savent construire les chiffres sont en position dominante par rapport à ceux qui ne savent pas les lire. Comme on l'a vu pendant le Covid. "Hors contexte, les chiffres donnent une vision de la réalité au mieux étriquée et stressante, au pire illisible" assure la philosophe Valérie Charolles, chercheure associée à l'EHESS (1) qui enfonce le clou : "Face aux chiffres, nous sommes globalement illettrés".
Pour dire toute la stupeur inspirée par les enquêtes statistiques, nous ne résistons pas au plaisir de citer celle de l’IFOP, qui s’autoproclamait il y a quelques années « précurseur sur le marché des sondages d’opinion et des études marketing depuis 75 ans ». Enquête éminemment géographique pour le site de webcam érotique CAM4 auprès de 8000 femmes dans 8 pays occidentaux parue en 2015. Titré Hiver trop chaud, plaisir qui refroidit, l’article du Canard Enchaîné (2) qui dévoilait les secrets de la sexualité féminine, signé Daniel Fontaine, pointe les atouts de la femme française, au charme unique. L’IFOP révèle qu’elle est « frustrée toutes catégories, d’après un sondage mal biaisé ».
Voici comment l'imbécillité est dans les chiffres. 49% des sondées disent « avoir régulièrement du mal à atteindre l’orgasme » contre 42% des Allemandes et 28% des Néerlandaises. Les mêmes ne sont que 52% à reconnaître avoir « souvent » du plaisir en couple. Braves Françaises si héroïques, vous êtes bonnes dernières derrière les Hollandaises et les Italiennes à 69% ex aequo. Approfondissant le sujet, l’IFOP décerne aux Françaises « la médaille d’or de la simulation au lit à 31% devant les Américaines à 29% tandis que les Néerlandaises (encore elles) ne sont que 18% à y recourir. »
La hauteur de vue de l’IFOP qui révèle les secrets de la société française au moment où elle va se souhaiter la bonne année, nous conduit à une débandade de chiffres accusateurs. « Un Waterloo au lit » pour le Palmipède qui connaît bien les plaisirs de sa canette et se demande : « Les Français s’y prendraient comme des manches malgré leur réputation de meilleur amants du monde ? Marianne sous son bonnet phrygien serait devenue frigide ? Le moral de la nation est-il en berne ? »
Nous avons évité le pire avec des questions sur les lieux de l’amour (de la petite à la grande échelle du lit conjugal), les fantasmes des Françaises, les études comparées des coûts économiques (baisse de productivité, dépressions chroniques accroissant les arrêts de travail, etc.) liées à la santé…
L’IFOP ne nous épargne pas tout : « la sexualité en France est masculino-centrée ? En privilégiant la pénétration vaginale au détriment des caresses clitoridiennes plus propices au plaisir féminin ? » Que vont répondre les géographes culturalistes et leurs gender searchers de Sorbonne Université ? Bientôt une critique politique de cette manipulation outrancière d’un outil statistique dévoyé et au service de la domination masculine ? Ou de la bêtise de ceux qui paient de telles études ? Et qui font croire qu’un discours avec ces questions et ces chiffres aussi débilitants vont mettre les mâles devant leurs responsabilités ?
Nous préférons de très loin les travaux de sciences sociales du sociologue connu et respecté, Jean-Claude Kaufmann, directeur de recherches au CNRS, qui s’intéresse aux postérieurs humains. Ca donne quoi ?

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En se penchant sur notre globe terrestre, Kaufmann voit une frontière pays riches/ pays en développement marque une limite entre petits formats fessus au Nord et formats généreux au Sud. Mais rien ne va dans la tête des femmes pour lui : au Nord, on se revendique charnue comme les belles plantes de Copacabana et au Sud, on rêve des silhouettes en « i ». Chirurgie esthétique avec injection de graisse au Nord, liposuccion au Sud.
Pour Jean-Claude Kaufmann, interrogé par Anne-Claire Genthialon (Libération, 7 octobre 2013), inconstestablement, les fesses sont géopolitiques car il y a là une affaire de domination culturelle. Quels sont les critères de la beauté ? Comment se définit le désir ? Pour Kaufmann, l’Occident blanc et chrétien en dominant le monde a imposé l’ultraminceur comme norme. Mais ce diktat, pour lui, toucherait à sa fin. Les rondeurs mènent la controffensive, la sensualité et la volupté, le refus de la froideur du Nord, tout cela gagne du terrain.
Dans les pays occidentaux, être longiligne est un signe de distinction sociale qui a essaimé à Abidjan et Rio où l’on rabote les trop importantes rondeurs. Mais en même temps, les clips vidéos sont pleins de fesses rondes, et les stars en rajoutent : voyez Beyoncé, Jennifer Lopez ou Nicki Minaj. « Cela construit l’identité différemment et peut enfermer dans une féminité ‘objet de désir’ » qui est contraire à l’invention de la personne avant celle de la femme.

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Pour notre géopoliticien du dimanche, les fesses féminines sont le centre de tels enjeux car elles sont plus transgressives que les seins (« doux et caressants, que l’on n’hésite pas à montrer sur la plage ») pourtant stigmatisés par le christianisme qui leur a préféré le visage comme attribut de la beauté féminine. De ce fait, les fesses sont la « partie honteuse ». Même si chaque époque produit ses silhouettes de référence : les Romaines élargissaient leurs hanches avec des pommades à base d’ail, les Européennes du XIXe siècle exagéraient la cambrure avec les postiches et dans l’insécurité alimentaire, un corps rond était valorisé. La « pin up » au physique augmenté (Gina Lollobrigida, par ex.) gagne du terrain dans les années 1960 avant d’être à nouveau battue par la minceur.
Et les hommes ? Bien sûr, ils sont sensibles aux rondeurs des femmes mais ce ne sont pas eux qui décident ! Quant à leurs fesses, elles ne posent pas de problème comme le ventre. Mais « depuis peu, leur fessier est un peu plus regardé » (2). Pour les fesses féminines, J.-C. Kaufmann croit distinguer une schizophrénie masculine qui aime la minceur sociale et la rondeur érotique.
La géopolitique (donc la domination), c’est aussi de l’économie. Des multinationales, des médecins, des labos qui vendent de l’ultraminceur ou de la rondeur. Des seins, les praticiens sont passés aux fesses. Les modèles sont de plus en plus variés et personnalisés. Mais durent les mythes, véhiculés par les artistes, tel Michel Ange et ses sculptures, dont Florence s’est emparé pour charmer les foules de touristes potaches qui sillonnent la ville en quête d’identité.
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(1) Libération, 16-17 avril 2022
(2) Paru le 23 décembre 2015
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Signalons un article d'Agnès Giard, La femme est-elle plus proche de la nature ?, Libération, 22 mai 2022
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Un ancien édito sur la taille des organes sexuels masculins, un marronnier si l’on peut dire, de la sexologie mondiale.
Anatomies géocomparées
Georges Cuvier, le père de l’anatomie comparée, va peut-être se retourner dans sa tombe. Mais à l’ère statistique où tout se mesure, le bonheur (voir le Parisien du 10 septembre 2011), le bonheur national et, mieux encore, le bonheur national brut, à l’époque où se pratique une addiction aux chiffres (voir l’excellent livre d’Isabelle Sorrente, Addiction générale, Lattès) qui peut faire dérailler la science, je vous propose cette petite moisson chiffrée dégottée sur un magazine grand public – je précise – en kiosque.
Une question de géographie comparée résolue sur le site TargetMap avec une carte interactive sur la taille des organes sexuels masculins dans le monde. Une question avait été posée à Saint-Dié il y a quelques années lors d’un café géo sur les bords de l’eau dans le monde : que fait-on au bord de l’eau la nuit à proximité des villes ou même dans les villes, en Chine, en Europe ou les régions densément peuplées en général ? On a pu comparer la prostitution, les stratégies spatiales de l’approche des corps étudiées depuis par de jeunes géographes, homo ou hétéro. Mais une question n’avait jamais trouvé réponse à une échelle statistique satisfaisante : y a-t-il réellement un avantage anatomique africain à la taille de l’organe de reproduction mâle ?
The Penis Size WorldWide établit sur le site que le sexe masculin en érection maximale moyenne est de 17,93 centimètres dans le monde. Ce record serait tenu par les mâles de la République du Congo (voir les données sur wikipedia) qui précèdent les Equatoriens (17,77 centimètres), les Ghanéens (17,31 centimètres). Les Français occupent une honorable quatorzième place dans ce classement. En bonne dernière position : les Cambodgiens (10,04 centimètres) et les Coréens du Sud – car les données au Nord ne sont pas fournies par le régime (9,66 centimètres).
Il m’arrive de lire dans les magazines écornés de la salle d’attente chez le dentiste des reportages où les femmes expliquent – en vain, semble-t-il – que ces questions de taille ne le intéressent pas. Chez les hommes, les petits mâles adolescents notamment, la chose est autrement plus essentielle. Les sexologues racontent que les boutonneux en tirent facilement des complexes qui peuvent les envoyer chez le psychiatre. L’honorable magazine Sciences Humaines (n°230, oct. 2011) rapporte les débats d’un congrès de sociologie tenu à Grenoble en juillet 2011 et s’interroge sur le « malaise de la masculinité ». Y. Le Henaff a communiqué sur l’embarras que suscite chez les chirurgiens esthétiques les demandes de pénoplastie (agrandissement du sexe masculin), allant pour certains médecins jusqu’au refus d’opérer.
L’autre versant psy est parfois allé plus loin en corrélant les ambitions ou, plus simplement, la grosseur des voitures, le goût du tir à l’arc, l’envie d’être le meilleur et la manière dont les hommes vivent avec la taille de leur membre.
Et la géographie dans tout cela ? Outre que les comparaisons sur des jeunes mâles (les âges sont indiqués dans la série statistique) d’un pays à l’autre dessinent une « diversité » spatiale qui peut faire le bonheur des géographes (« pourquoi les choses sont là et pas ailleurs » aimait à dire un maître réputé de Paris-VII), il restera toujours les inconnues sur le rôle de la biologie et de la génétique. La carte du génome humain n’a pas fait avancer le schmilblick.

Pour rester dans le domaine de l’art, cette anatomie pourrait-elle donner lieu à une poursuite pénale de la part de l’Union des Etats africains ?
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