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Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

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Billet de blog 18 novembre 2025

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Les cantines scolaires, cibles de l'agroindustrie

Parmi les 3,7 milliards de repas par an, l’industrie agroalimentaire se taille la part du lion. L'anthropologue Geneviève Zoïa et le sociologue Laurent Visier ont mis leur nez dans les cuisines centrales. « En mettant à distance la cuisine, c’est à la fois la terre, le corps et le sauvage que l’école continue d’expulser. » (Gilles Fumey)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Derrière les cantines © Geneviève ZOÏA

Pour ceux qui sont passés - ou qui vont passer - par les cantines scolaires et la restauration collective, Geneviève Zoïa et Laurent Visier offrent leur lanterne sur ce qui se passe en coulisse dans cette restauration. Avec le collectif Les pieds dans le plat, ils relancent un débat qui risque de percoler avec ceux des municipales qui approchent. Car l’industrie a vampirisé nombre de cantines, avec la bénédiction des maires qui n’ont pas compris (ou voulu comprendre) combien les cuisines centrales sont une catastrophe pour les enfants. Les deux chercheurs n’ont pas eu peur de montrer, à Montpellier même où ils travaillent, combien les choix politiques sont critiquables pour les 17 000 repas servis chaque jour. En rajoutant à leur démonstration éditoriale un film sorti au printemps en salle.

Les cantines ont été infiltrées au nom de quatre belles idées: le risque sanitaire (un comble quand les crises sanitaires montrent qu’il vient surtout des modèles industriels de production et de transformation!), la rationalisation budgétaire, la norme diététique et, cerise morale sur le gâteau, la lutte contre le gaspillage. Les premières victimes? Les enfants.

Illustration 2
Les bons offices de M. Mendès France

Comment en est-on arrivé là? Pour les deux chercheurs, dans les années 1950, Pierre Mendès France tient un argument fort pour écouler les surplus de lait de Normandie où il est élu: la lutte contre l’alcoolisme. Il est vrai qu’à cette époque bénie des bouilleurs de cru, l’alcool était perçu comme un fortifiant. Le vin est donc interdit dans les cantines pour les adolescents et il est remplacé par le lait sucré. Ce cadeau aux filières laitières et sucrières ébranlées par la guerre mais gavées de subventions est une manière de régler la surproduction.

Les loups sont alors dans la bergerie des cantines artisanales qui vont devoir laisser la place aux grands manitous de l’agro-industrie. C’est là qu’ils fomentent leur plan de communication sur le risque sanitaire, les budgets et les normes diététiques. Avec des cuisines centrales qui consistent à produire des repas dans des sites uniques et les distribuer par camions réfrigérés dans les sites relais, ils inventent la «liaison froide». Un mode de production industriel qui gomme toute référence aux produits locaux et de saison, les seuls à apporter les nutriments nécessaires à une bonne alimentation.

La preuve par la politique

La grogne s’installe. En Occitanie et dans le Sud de la France où les habitudes contestataires sont vivaces, certains départements (en charge des collèges) résistent. Comme en Dordogne où le socialiste Germinal Peiro remet en place des filières locales en 2015. Pour obtenir des produits bruts et les transformer localement. Des cités scolaires comme celle de Nontron offrent même du 100% bio made in Périgord dans leur cantine. Bye bye les poulets bulgares, les frites marocaines, les juliennes de légumes slovaques. En 2024, un cinquième de la surface agricole du département, soit 1500 producteurs, sont convertis en bio (ils étaient cinquante en 1990).

Le miracle s’est produit grâce à la loi EGalim de 2018 qui visait la moitié de produits durables pour 2022. En 2024, un tiers des collèges de Dordogne sont labellisés bio et en 2028, la totalité sera atteinte.

Chaud ou froid?

Le débat sur la méthode de la liaison froide n’est pas clos. Car il ne serait pas simple de cuisiner des plats chauds pour deux à trois cents personnes par jour. Voire. Nicolas Bricas de la chaire Unesco soutient que les cuisines centrales sont la solution et discrédite le travail des deux chercheurs. On lui paiera un ticket d’entrée à Mouans-Sartoux (Alpes Maritimes), où la restauration est 100% bio et 82% locale depuis 2012. Cette ville de 10 000 habitants, où il fait très bon vivre, où les rares terres arables ont été préemptées aux promoteurs de cette belle région, qui possède trois sites et trois cuisines, peut se targuer de ne rien gaspiller.

Éducation

Lorsque les enfants sont sans lien avec le monde agricole et vivent dans des familles où l’on cuisine peu, est-ce trop demander qu’ils soient éduqués à autre chose que de la nourriture industrielle sans goût, donc trop salée et trop sucrée? Une nourriture qui, au final, est largement gaspillée. Le gaspillage représente environ 20% de ce qui est servi et, en grande partie, produit de cette surproduction bradée à des industries promettant des prix bas aux collectivités. Les enquêtes documentées par l’ADEME font froid dans le dos et laissent penser aux chercheurs que «c'est le système industriel lui-même et non ceux à qui on sert les plats» qui est responsable du gaspillage. Nous avons pu dénoncer aussi les encouragements du ministre Blanquer promouvant des petits déjeuners dans les écoles au nom de la lutte contre la pauvreté et dont le bilan a été… l’augmentation de l’obésité et du surpoids chez les enfants.

Tout est entre les mains des électeurs, à condition qu’ils soient bien informés de ce qui se trame avec leurs impôts dans ces ventres culinaires que Laurent Visier et Geneviève Zoïa ont auscultés comme les bons vieux médecins à qui on ne la fait pas.

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À voir/À lire

Geneviève Zoïa, Laurent Visier, Les cuisines de la nation. Éduquer, nourrir, industrialiser, Wildproject, 2025.

https://france3-regions.franceinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/deux-universitaires-denoncent-le-modele-industriel-des-cantines-scolaires-une-analyse-trop-lapidaire-pour-la-ville-de-montpellier-3132478.html

 Le documentaire complémentaire au livre, sur les écrans en mars 2025

Illustration 3

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Sur le blog

«Le pognon de dingue du système productiviste: 48,3 milliards par an» (Gilles Fumey)

«Non, l'obésité n'est pas une maladie» (Gilles Fumey)

«Un système agroalimentaire à la dérive» (Gilles Fumey)

«Le petit-déjeuner, quel casse-tête!» (Gilles Fumey)

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