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Voici deux toponymes on ne peut plus génériques: «Méditerranée» et «Provence». Ce sont aussi deux mots quasi magiques. La ville de Cavaillon avait baptisé son office du tourisme Luberon Cœur de Provence. Retoqué![1] Refusé. Interdit par l’INAO et le Conseil des vins de Provence, alors même que la géographie parle pour Cavaillon qui est bien dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Que dit le juge? Sont protégés d’un usage abusif du nom «Provence» les appellations viticoles Côtes de Provence, Baux de Provence, Côteaux d’Aix-en-Provence et Coteaux varois en Provence. L’agence drômoise qui offre parmi ses prestations Le Luberon, Cœur de Provence va-t-elle voir débarquer un huissier?
Plus problématique est l’usage du mot Méditerranée. La célèbre Revue du vin de France voulait récemment titrer «Les 100 grands blancs de Méditerranée». Et voici qu’Inter-Med gérant l’IGP (indication géographique protégée) Méditerranée avec l’INAO, met le holà. Motif ? Le mot Méditerranée fait aussi référence à des toponymes comme Languedoc ou Corse et pas seulement des vins bénéficiant du label IGP Méditerranée.
Inter-Méd se défend, par la voix de sa directrice Axelle Fichtner: «Nous sommes mesurés et capables de tolérance»[2]. Il n’empêche: les médias sont surveillés. Car «l’IGP Méditerranée est un signe de qualité officielle et, à ce titre, protégée. Lorsque le terme Méditerranée est utilisé de manière trop frontale, sur des étiquettes, des sites commerciaux, nous intervenons. Et aussi lorsqu’il s’agit d’un article de presse, la protection du nom ne s’entendant pas que commercialement», plaide-t-elle.
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Avec 650 000 hectolitres en 2023, les vins de l’IGP Méditerranée se développent. Avec les AOC de la Provence, notamment les rosés, la région a attiré des investisseurs du show biz comme Brad Pitt au château Miraval à Correns (Var) et non loin de là George Lucas à Châteauvert, George et Amal Clooney à Brignoles, Ridley Scott au Mas des Infirmières dans le parc naturel du Luberon, Patrick Bruel à L’Isle-sur-la-Sorgue, voire le basketteur Tony Parker à Morières-lès-Avignon, tous devenus vignerons en Provence. Un capital d’image qui bénéficie surtout aux Étatsuniens: Brad Pitt et Angelina Jolie sur l’étiquette 2012 font élire par le magazine Wine Spectator le château de Miraval «Meilleur rosé du monde».[3] Et qui renchérit le coût de l'immobilier et du logement, de moins en moins accessibles aux classes moyennes et populaires.
Pourtant, certains juristes voient rouge. Norbert Olszak (Panthéon-Sorbonne) regrette qu’on puisse autoriser le monopole d’un toponyme par un groupe de producteurs. Méditerranée, Provence sont des références culturelles internationales, vastes, historiques. Faut-il les protéger? De l’affairisme du luxe? Des turpitudes du tourisme?
Les juges chinois protègent les marques françaises
Ce n’est pas tout. Garante des marques mondiales, l’Organisation mondiale du commerce a appuyé ces dernières années un combat des Cognaçais contre la Chine. L’office des marques chinoises (CTMO) avait déposé en 2006 la marque «Liszt Very Rare Cognac». En 2009, les juges de Pékin donnent raison à la France. Quinze ans passent, on monte d’un cran. En août 2023, la cour d’appel de la riche province côtière du Jiangsu interdit tout simplement le terme «cognac» à un constructeur automobile qui imaginait déjà ses voitures aux couleurs du cognac circuler en Chine et dans le monde. Que disent les juristes de Chine pour le cognac? Que «cognac» n’est pas un nom générique, qu’il n’y a pas de couleur cognac (autrement dit ambrée) dans le panel de couleurs des Chinois, l’équivalent de notre Pantone. Le fabricant d’automobile était censé le savoir. Il ne doit pas participer à la dilution et la dégénérescence de l’AOC et de la filière charentaise. Le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) devrait recevoir un chèque de 260 000 euros en compensation financière.
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Cognac n’est pas un espace public, mais son usage par le public français comme chinois doit respecter des règles. Tout comme pour le champagne dont les bulles viennent d’être protégées par la Chine. Désormais, aucun produit ni service chinois ne peut utiliser le mot «champagne» pour une quelconque promotion qui ne soit pas celle du vin français. Même l’usage du mot champagne avec les idéogrammes qui ne seraient pas compréhensibles en Europe.
Les toponymes deviennent des sujets de droit de plus en plus convoités. Par les marques mondialisées comme par les territoires soucieux de se protéger des abus de l’hyper-consommation jusqu’à l’absurde. À quand un syndicat des usagers de la Méditerranée et de la Provence?
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[1] Michel Bernard du pôle œnotourisme d’Atout France espère convaincre la justice que faire la promotion des vins du Luberon ou du Ventoux avec le mot Provence n’est pas porter préjudice aux producteurs locaux.
[2] RVF, n° 678, mars 2024, p. 12.
[3] Depuis 2016, le divorce du couple a vu les parts d’A. Jolie rachetées par les Italiens Tenute del Mondo, filiale du groupe Stoli, contrôlé par un Russe, Yuri Scheffler, un géant de la vodka (notamment avec la marque Stolichnaya). En délicatesse avec Poutine, le Russe n’est pas visé par les confiscations occidentales des biens des oligarques. Quant à Brad Pitt, il est en délicatesse avec le fisc français.
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