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« Il y a tant de raisons de s’indigner au Nigeria qu’on ne peut plus se révolter contre quoi que ce soit, sauf à s’épuiser de fatigue et de colère. » Ce cri du cœur, l’écrivaine et journaliste Sophie Bouillon, en poste à Lagos depuis 2016, l’exprime dans un récit aussi court que percutant sur les réalités de cette mégapole tentaculaire. Urbanisation anarchique, expulsions, embouteillages, coupures d’électricité, projets pharaoniques, soumission aux desideratas internationaux, pénétration des milieux d’affaires dans les sphères gouvernementales, économie totalement dépendante du pétrole. Bref, toutes les dérives du capitalisme mondialisé réunis en une seule ville.
Là, encore plus qu’ailleurs, la richesse ostentatoire côtoie ouvertement l’extrême pauvreté. Et si la ségrégation existe bel et bien (fossé bien visible entre les deux rives du lagon), les différents mondes cohabitent bon an mal an. « On dit de Lagos que c’est le bidonville le plus cher au monde. » De ce fait, on rase, on expulse et on construit. Des quartiers d’affaires. Des projets colossaux tels qu’Eko Atlantic[1], « fantôme de Dubaï » visant à inscrire la ville en bonne position dans la compétition urbaine mondiale. Des boîtes de nuit huppées (« Il faut oublier, boire et faire la fête à Lagos, sinon tu deviens fou »). Bref, tout un archipel connecté aux grands réseaux internationaux et réservé aux classes supérieures et expatriées. Hors de ces îlots de prospérité, des habitants de facto assignés à résidence.
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Ce melting pot semble tenir grâce à LA grande force du capitalisme : l’illusion selon laquelle tout est possible pour tout le monde. Lagos est peuplée de « damnés qui aspirent tous au paradis ». « Riches, pauvres, ultra-riches, ultra-pauvres, tous partagent la même passion de l’argent, ce même désir du plus grand, du plus haut, du meilleur. Et tous sont persuadés qu’ils y arriveront. » Et quand des perturbations viennent annihiler ces espoirs (chute des prix du pétrole, confinements à la suite de l’épidémie du coronavirus, réchauffement climatique[2]), c’est un pouvoir autoritaire qui doit mater les révoltes et imposer un retour à la « normalité ». Jusqu’à la prochaine…
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Sophie Bouillon, Manuwa Street, Premier Parallèle, 2021.
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[1] https://www.jeuneafrique.com/1000018/economie/nigeria-horizon-2026-pour-le-manhattan-de-lafrique/
[2] https://www.lalibre.be/planete/environnement/2021/08/02/lagos-deuxieme-ville-la-plus-peuplee-dafrique-bientot-inhabitable-ce-nest-quune-question-de-temps-3LJBGXNZNVDT5GEDS2RQXND4RM/