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Billet de blog 21 novembre 2025

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Le Beaujolais, vin maudit ?

Depuis 1985, le 3e jeudi de novembre, les piliers de bistrot s’en donnent à cœur joie avec le vin nouveau. Un événement qui déborde dans les rues des centres-villes en pleine crise de consommation du vin… Faut-il se dépêcher avant que le Beaujolais nouveau disparaisse pour de bon ? À moins qu’on rende hommage au Beaujolais pour avoir enfanté les vins nature…(Gilles Fumey)

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La rue St-Michel, "rue de la Soif" à Rennes. "Un bar tous les 7 mètres" se vantait l'office du tourisme de ce "record de France" © Office du tourisme

Il était une fois, les vins qui n’étaient pas bus rapidement devenaient assez vite de la piquette. Pour se rincer le gosier sans se faire mal, les vignerons invitaient les voisins aux «vins nouveaux». Une pratique qui s’est émoussée avec la science œnologique. Désormais que la consommation de vin dégringole comme on ne l’imaginait pas il y a quelques années encore, le raoût du Beaujolais nouveau a quelque chose de décalé. À Rennes, même dans la célèbre Rue de la Soif envahie par des milliers d’étudiants, sur les quatorze troquets qui servaient notamment du vin, il y a encore quelques années, seulement cinq survivent.

N’en déplaise aux supporteurs du vin, la consommation baisse non pas parce que le bon docteur Évin, ministre de la Santé (qui n’aimait peut-être pas son nom) a encadré drastiquement la publicité. Mais parce que les modes de vie ont changé. Eh oui, les gars et les filles du vignoble, on ne boit plus le vin en ville comme à la campagne. Avez-vous essayé vous-même, quand vous avez une grande soif, de la passer avec du vin plutôt qu’une bière? Promenez-vous dans les bars du joli bourg de Châteauneuf-du-Pape, en plein été: où sont les buveurs de châteauneuf?

Illustration 2
Jarnioux, une des perles du vignoble (Pierres dorées) © DR
Beaujolais en folie

Bref, le Beaujolais la ramène chaque année depuis 1951, sous l’impulsion d’un vigneron négociant hors-pair, Georges Duboeuf (mort en 2020). Mais la magie des années 1980-1990 semble passée. La folie des Japonais qui allaient jusqu’à se laisser aller dans des baignoires remplies de beaujolais a choqué. Il faut dire que le primeur de l’époque faisait tout pour se faire dénigrer. Un vin bâclé, maquillé avec des goûts de… banane. Quelle idée d’avoir promu du vin avec une telle levure? Pourtant, Pivot et consort plaidaient sa cause, en parlant d’injustice lorsqu’on a dû arracher des vignes dans ce paysage, il est vrai idyllique, des pierres dorées des confins du Massif central qu’on appelle aussi la Toscane beaujolaise du fait des oxydes métalliques des calcaires à entroques du Jurassique.

Pourtant, les producteurs ont battu leur coulpe. Le cépage gamay qu’on faisait pisser dans les vignes à hauteur de 52 hl à l’hectare, au point que les moûts de raisin y perdaient les levures capables de structurer le vin, a repris du goût avec des faibles rendements. Les ventes de la fiesta de novembre sont moins importantes. Les jeunes vignerons les ignorent mais ils gardent la technique de fermentation et de macération semi-carbonique qui donne un fruité assez enjôleur avec des tanins assez souples appréciés de ceux qui ne connaissent pas le vin.

Pas de vin industriel

Les vignerons du Beaujolais constituent une petite paysannerie d’artisans qui vendangent souvent à la main, mais doivent passer par le négoce et la coopération. Avec leur 9 millions de bouteilles, on est loin des records de la Champagne (300 millions de cols par an) et du Bordelais (cent fois plus que le Beaujolais). La dernière campagne du Beaujolais nouveau a permis d’exfiltrer de France dans plus de 110 pays environ 5,3 millions de flacons. Pas mal pour un petit vin. Pour l’ensemble de la production du vignoble, un petit quart part en «vin nouveau», le reste avec des appellations traditionnelles, vins de garde et crus du Beaujolais (les plus connus comme les Chiroubles, Fleurie, Saint-Amour, Brouilly, Juliénas, Régnié…).

Illustration 3
Jules Chauvet, l'anti-Beaujolais nouveau © DR
Merci le Beaujolais

Mais la grande contribution du Beaujolais aux nouvelles pratiques du vin est celle des vins «nature». Ils ont été lancés dans les années 1990 par Jules Chauvet qui a vinifié ses vins sans soufre, et en faisant école très vite avec Jacques Néauport et Marcel Lapierre du même vignoble et Pierre Overnoy, la star du Jura. Ils ont pu mettre en avant les excès de la viticulture chimique, avec plus de 60 ingrédients, adjuvants, additifs, sulfites avec des taux, pour la chercheuse Eva Parga, allant jusqu’à 400 milligrammes par litre! Soit plus d’ingrédients que le Coca[1].

Ne chipotons pas. Personne ne nous oblige à boire du Beaujolais nouveau. Laissons l’inénarrable Pivot qui, après une bonne rasade, a troussé cet hymne à son vin fétiche: «Le beaujolais est avant tout un vin de lutte des classes. C’est le vin des canuts et le vin des rad-soc’s. Le vin de Gnafron et le vin d’Édouard Herriot. Le vin des bleus de chauffe et le vin des costumes-lavallière. Le vin de la Vache-qui-rit et le vin du gigot-qui-pleure. Le vin des mâchons entre vieux potes et le vin des déjeuners de famille. Le vin de la gauche-saucisson et le vin de la droite-pot-au-feu. Le "beaujolpif" des meetings et le saint-amour des mariages.»[2]

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[1] https://elpais.com/gastronomia/beber/2024-01-17/debe-tener-una-certificacion-especial-el-vino-natural.html

[2] Dictionnaire amoureux du vin (Plon)

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