Les climatiseurs sont-ils en train de brûler la Terre ? Créant l’illusion que le réchauffement est, finalement, supportable, ne retardent-ils pas l’humanité dans sa prise de conscience de la gravité de la crise ? (Gilles Fumey)
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Si vous passez vos vacances dans les régions méditerranéennes surchauffées, vous vous posez forcément la question de l’adaptation au changement climatique. A l’abri sous les climatiseurs ou à l’occasion d’une nuit fraîche, vous rêvez d’une planète qui pourrait vivre à l’espagnole, travaillant le matin, s’octroyant une (très) longue pause méridienne avant de reprendre ses occupations qui conduisent à des soirées pleines d’énergie dans des rues semant la joie de vivre.
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Dans votre sieste vaporeuse, vous tombez sur la littérature de l’Agence de la transition écologique (Ademe) : le taux d’équipement en climatiseurs a dépassé en France le quart des ménages en 2022, un peu plus en maisons individuelles (le tiers), plutôt chez les professions libérales et majoritairement dans le Sud-Est et en Corse ((47% des ménages, contre 11% en Bretagne). Les centres commerciaux sont équipés à 100%, les bureaux à hauteur de 64% contre 7% pour les bâtiments d’enseignement. Tout cela affiche une consommation d’énergie croissante dont l’Ademe explique qu’elle peut être atténuée par une meilleure prise en compte par les particuliers. En feignant d’oublier les professionnels. Qui n’a pas dû lutter contre le froid dans un train circulant en pleine canicule, ou encore dans une chambre d’hôtel où la climatisation en panne vous contraint à dormir sous la couette alors qu’il fait 30°C dehors ? Y a-t-il un site pour alerter les pouvoirs publics contre ces dérives climaticides ?
L’industrie du froid réchauffe la planète
Pour l’Agence internationale de l’énergie (IEA), avec 5,6 milliards d'appareils estimés en 2050 (contre 2 milliards en 2022), les climatiseurs consommeront autant d'énergie que la Chine actuellement pays le plus énergivore. L’électricité nécessaire pour rafraîchir conduit au… réchauffement de la planète, et, donc, à plus de climatisation… 90% des ménages américains ont l’air conditionné mais l’Inde et ses voisins où vivent près de 3 milliards d’humains ne sont équipés qu’à hauteur de 8%. Sans parler de l’équipement en réfrigérateurs… La solution ? De court terme : imposer des machines efficaces comme celles vendues au Japon ou en Europe, contrairement aux appareils étatsuniens ou chinois. De moyen terme : interdire les énergies fossiles. Facile à dire…
Ou alors ceci ? Adopter comme les Japonais, les fûrin, ces clochettes qui tintinnabulent sous l’action d’un courant d’air actionnant un battant relié une bande de papier (tansatsu). Le mot "fû-rin" est tout simplement l'association des kanji du vent (風) et de la cloche (鈴). Si vous mettez le fûrin devant une fenêtre, le carillon informe votre cerveau que vous n’êtes pas dans une étuve. Le papier est souvent imprimé d’un poème, le fameux haiku ou un vœu qu’on transmet aux dieux par le vent. Au Japon, pays shintoïste, les esprits sont très présents dans la vie quotidienne. Le feng-shui, art chinois, met en harmonie l’humain et son environnement et s’appuie, notamment, sur la circulation de l’air, estimant que le vent (feng en chinois) fait circuler les énergies positives. Ces carillons équilibrent l’énergie des lieux par de simples sons très relaxants. Cela étant, dans les bureaux aux fenêtres verrouillées, la clim est de rigueur…
Pourquoi l’impasse climatique ?
Il n’empêche. On est, là, avec les fûrin, très loin de ces approches technophiles héritées du progrès des Lumières. Comment s’est-on mis dans l’impasse actuelle des climatiseurs qui nous font du bien mais font du tort à la planète ? Stéphane Van Damme a dédouané les thuriféraires des Lumières accusés d’avoir masqué «les dégâts du progrès» tels que les listait la CFDT en 1977 en rappelant que les controverses ne datent pas d’hier. Faut-il rappeler que «pour sortir de la famine et de la mort», des penseurs comme Bacon écrivent sur le fort potentiel des sciences contre ce que l’historien Daniel Roche avait listé : catastrophes, épidémies, mortalité infantile élevée, problèmes liés à l’hygiène, malnutrition… Il était facile pour Condorcet de promettre l’émancipation par les savoirs, l’instruction de masse, la raison, le progrès (passant par l’institutionnalisation des sciences) dans un monde très inégalitaire. Au loin, les sceptiques que furent Rabelais ou Montaigne alimentaient bien quelques doutes que Descartes aimait combattre. Mais rien n’a arrêté le techno-solutionnisme » qui devient la panacée malgré les craintes exprimées dans le merveilleux roman, Frankenstein, de Mary Shelley (1818). Que faire, donc ? Sinon élaborer un projet politique avec l’écologie comme un axe autour duquel les humains repensent leur place dans le monde vivant. Il faut sortir de l’impasse dans laquelle la civilisation thermo-industrielle a mis l’humanité. Qui peut écrire ce projet pour que le froid des climatiseurs ne nous distrait pas de la catastrophe ?
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Pour aller plus loin :
J.-B. Fressoz, Les plus pessimistes étaient beaucoup trop optimistes, revue Terrestres
