Vous fuyez encore plus les géographes depuis que Wikipedia met à jour les données dont vous avez besoin ? Après tout, sur l'Allemagne, quoi lire qui ne figuerait pas dans un guide touristique ? Vous avez tort. Car cette géographie dont vous pensez avoir besoin n'est pas celle à laquelle vous convie une nouvelle équipe de géographes de l’ENS de Lyon, qui mènent une petite révolution éditoriale.
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Nicolas Escach et Benoît Goffin tentent une géographie très vivante de cette Allemagne si peu visitée par les Français (environ 3,5 millions de nuitées, un chiffre en hausse). Ils imaginent une «odyssée» autour d’une dizaine de villes qu’ils parcourent de manière «sensible», les reliant par des pages racontant ce qu’on pourrait voir d’un train. Chaque ville est confiée à un auteur ou une autrice qui peuvent être écrivains, journalistes, musiciens, universitaires, architectes… endossant les habits du géographe. Autant dire que leurs dix contributions ne se ressemblent pas. Le graphiste Etienne Weber tient le rôle du cartographe et signe des planches qui hérisseraient les poils de nos maîtres de l’autre siècle. Mais qu’elles sont belles, osées, à la limite borderline, ces planches qui savent aussi être précises sur des localisations ou des ensembles jugés essentiels.
Paysages, souvenirs, intuitions, sentiments… tout peut venir construire un récit de voyage donnant à voir à la fois la géographie dont on a besoin quand on voyage et l’imagination qu’on partage quand on est sommé de raconter ce qu’on fait. Boris Grésillon a raison de nous avertir : «Encore un livre sur l’Allemagne !» Et pourtant, une fois refermé, on sait que ce livre de géographie ne vieillira pas, qu’il aura été un excellent compagnon au cours d’un voyage Outre-Rhin ou qu’il aura même pu tenir lieu de voyage. Vive la géographie en chambre !
Attachez vos ceintures car le voyage va de surprises en surprises. On entre en Allemagne par la porte alsacienne qu’est Strasbourg, ville-pont européenne, grande brûlée des guerres pansée par l’Union européenne qui y a installé son parlement. Premier saut : Berlin dont Boris Grésillon s’est éprise, «ville sans qualités» mais lestées de mythes dont la «Babylone pécheresse» tire profit par le tourisme. Arthur Devriendt, «géographe avec ses pieds», nous embarque à Hambourg, ville-Etat au passé français qui accueille d’un coup plus de 40 000 réfugiés. De Brême à Munster, nous arrivons à Cologne avec Benoit Goffin où la géographie culturelle nous mène droit à l’immense fête du Carnaval, un thème travaillé jadis par Guy Di Méo. Là, nous faisons la géographie de Cologne «avec une poussette» comme son auteur qui s’entiche de cette «métropole de villages» dont il apprécie le «multiculturalisme».
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Surprise : nous quittons les autoroutes pour être embarqués avec Marine Simon destination… Majorque, le «17e Bundesland». Nous voici à explorer les Allemands hors d’Allemagne pour leurs loisirs, leurs mœurs et l’impact sur cette nouvelle colonisation qui divise les populations locales. Retour aux choses sérieuses avec Dominiqyue Petre: Francfort-sur-le-Main, capitale de la banque européenne, son maire syrien et ses 180 nations, sa gigantesque foire du livre au pays de Gutenberg. Puis bifurcation par Tübingen, la francophile «ville-université» du pays souabe auscultée par Matthieu Osmont, ville «verte et végane» résume les passions allemandes pour l’écologie. Plus à l'est, nous voici à Munich avec Magali Mattern, capitale automobile, surtouristifiée, dont la rive méridionale de l’Isar ménage une (curieuse) «douceur de vivre». Autre coup de barre oriental : à Dresde, nous retrouvons Denis Bocquet dans cette Florence de l’Elbe, rasée en 1945, renée de ses cendres, galèrant d’avoir été intégrée avec toute la Saxe à l’empire soviétique. Avec Nicolas Offenstadt à Francfort-sur-l’Oder (où a étudié Alexandre de Humboldt), on mesure tout le poids de cette histoire qui aurait pu nous conduire dans les confins de l’Europe orientale où vécurent plusieurs millions d’Allemands après 1945.
Il se passe donc bien quelque chose à Lyon, où la collection Odyssée, villes-portraits, très illustrée offre une «géographie intime et concrète des territoires». Voici des lieux enfin délivrés de la gangue statistique et du jargon pseudo-littéraire vidalien, où apparaissent des paysages habités et non réduits à des fonctions de production. Un mariage qui nous mènera sans doute à des noces d’or entre géographie subjective et littérature de voyage. Bravo les artistes ! On présentera bientôt d’autres titres.
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Allemagnes, ENS Editions, par Benoît Goffin et Boris Grésillon, 2025, 160 p., 24 €
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