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Billet de blog 26 décembre 2024

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Le chocolat, une passion coupable ?

On aurait aimé interroger l’artiste chocolatière Jade Genin qui dans «Libération» d’aujourd’hui n’évoque pas une seconde ceux qui fournissent son atelier, si génial soit-il. Invisibles, les 5 millions de producteurs de cacao qui, pour la majorité, ne nourrissent pas leur famille méritent, pour autant qu’on s’intéresse à leur sort. (Gilles Fumey)

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Pendant que le nord de la planète se gave de chocolat, ils sont des millions à ne pas ménager leurs forces pour cultiver les précieuses fèves aux sortilèges découverts par les Précolombiens. Au-dessus d’eux, douze multinationales tendent les prix des cinq millions de tonnes annuelles de fèves de cacao nécessaires pour l’Occident. La galère...

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Dites non au chocolat Déforestation © AlterEco
Le chocolat provoque la déforestation

Les boissons tropicales sont toujours des boissons coloniales. Avec tout ce que ce mot charrie de domination sociale et de dévastation environnementale. On pointe du doigt l’huile de palme et le soja, l’élevage bovin et l’hévéaculture à l’origine de la déforestation, principalement dans les provinces brésiliennes de l’Amazonie. Mais qui accuse le cacao de provoquer aussi la déforestation? Les fèves de cacao nécessaires au chocolat des pays du Nord poussent sur des terres récemment défrichées. Comme cela a toujours été, tant les cacaoyères épuisent les sols tropicaux. Plus compliqué, comme l’explique une étude de l’Inrae : «Les revenus issus de la culture du cacao [dans le bassin du Congo] financent souvent l’expansion des terres agricoles» et, donc, la déforestation. 

Cette géographie du cacao s’inscrit dans l’histoire coloniale. Les pays fournisseurs sont tous des pays de climat tropical sur les trois continents qui ont tous été colonisés. Prenons le cas de la Côte d’Ivoire, l’un des moins pauvres des pays africains et sorti politiquement du système colonial depuis les années 1960. Houphouët-Boigny, son président (pendant 33 ans) de 1960 à 1993 pense qu’il «modernise» son pays en le spécialisant dans le cacao. Trois décennies passent. Sur les fichiers Excel des banquiers et des administrations, le pays sort de la pauvreté.

Illustration 2
La Côte d'Ivoire perd sa forêt © https://www.un-redd.org/

Mais à quel prix environnemental ? Le pays a perdu les quatre-cinquièmes (jusqu’à 10 millions d’hectares) de son couvert forestier. Et ça continue, tout comme en Indonésie, où près de 200 000 hectares ont été sacrifiés aux cultures de rentes dans les vingt dernières années. Pire, depuis l’an 2000, alors que le travail dans les cacaoyères est jugé très pénible, les Ivoiriens ont incité aux migrations venues du Sahel, solution d’autant plus contestée que la Côte d’Ivoire peine à nourrir sa population. Le nombre des migrants en 2024 est tel que les exploitants de cacao s’installent dans les lambeaux de forêt restants, les investisseurs étrangers lorgnant déjà sur le Libéria et la Sierra Leone dont les forêts primaires ne sont pas attaquées par le défrichement. L’économiste du Cirad, François Ruf (voir la vidéo plus loin) recommande tout simplement d’interdire les forêts ivoiriennes aux exploitants venus du Nord et de continuer à protéger les périmètres qui ont échappé aux cultures de rente. 

Le deuxième volet environnemental est que ceux qui recommandent le chocolat pour ses nutriments, dont le précieux magnésium, se gardent bien de signaler que les fèves de cacao peuvent conserver des traces jusqu’à douze insecticides, seize fongicides et dix herbicides  qui se retrouvent en partie dans le chocolat, alors que des biopesticides et biofertilisants biodégradables, fabriqués à partir de ressources naturelles, plantes et minéraux, sont disponibles - mais plus onéreux. On peut citer le cas d’Aka Marcellin, producteur, témoignant de l’impact de l’utilisation d’engrais bio, comme le bokashi: «ma plantation fait deux hectares. Avant, je ne récoltais qu’une seule tonne, mais désormais j’atteins presque les trois tonnes de cacao.» Une autre solution est l’usage de l’agroforesterie. Planter des anacardiers – qui fournissent les noix de cajou – permettrait de résister aux sécheresses, éviterait aux planteurs le recours aux intrants chimiques et au crédit, constituerait un ombrage forestier apprécié par les cacaoyers, apporterait une sécurité foncière dans les villages en marquant la terre. Pour les chercheurs du Cirad, «l'agriculture familiale est-elle en train de réaliser seule ce que l'industrie du chocolat promet sur le papier : une cacaoculture " zéro-déforestation " et durable ?»

Illustration 3

Le coût social de la cacaoculture dans le seul pays qu’est la Côte d’Ivoire est considérable : jusqu’à trois millions de personnes qui vivent du cacao sont sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Pire, plusieurs centaines de milliers d’enfants travaillent dans les plantations. Les ONG sont bien parvenues à retirer quelques 2 000 enfants de champs en 2019-2020, les scolariser et leur apprendre un métier. Près de 300 personnes ont été condamnées pour trafics d’’enfants entre 2012 et 2020 selon le CNS. L’Initiative internationale pour le cacao (ICI), une fondation suisse luttant contre le travail des enfants dans la filière soutient des femmes par l’épargne et le crédit visant à la promotion des enfants et à les remplacer dans les cacaoyères par des ouvriers. 

Quelles solutions pour les amateurs de chocolat? Le chocolat équitable n'est pas suffisamment bien tracé pour être une solution. Le bio dont on peut surveiller la composition est mieux sourcé.  On peut aussi profiter de la hausse des prix pour ralentir la consommation. La poudre de cacao pulvérise les records (+180% depuis janvier) ? Les bonbons de chocolat sont-ils plus rares dans les supermarchés? Bonne nouvelle, non? Le Ghana, deuxième producteur mondial qui baisse sa production, augmente de 45% le prix de ses fèves (plus de 12 000 dollars la tonne)? Qui lui en voudrait si les producteurs sont mieux payés et s’ils ne sont pas tentés par la culture de l’huile de palme ou de l’hévéa?

Illustration 4
A Nantes, Ivan Schiavon a fabriqué du chocolat avec des fèves récoltées au parc du Grand Blottereau. © J. Urbach/ 20 Minutes

Oui, le chocolat peut devenir un produit de luxe. C’est le prix à payer en attendant que les agronomes puissent développer la production dans les pays tempérés. Les essais à Nantes seraient une bonne manière de donner à cette ancienne capitale esclavagiste l’occasion de sortir le chocolat de sa tare coloniale.


Excellente synthèse avec, notamment, l'économiste François Ruf (CIRAD)

Cacao : une culture destructrice ? - Un monde en docs (21/09/2019) © Public Sénat

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«Le café, un poison géopolitique et social?» (Gilles Fumey)

«Le goût amer du chocolat» (Gilles Fumey)

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