Terra Madre 2024 (3) : la France marie ses pains, ses vins et ses fromages
Comment transmettre le meilleur de la France ? Sûrement pas en invitant Trump à la Tour Eiffel comme l’a fait Macron en 2017. Mais en exportant une trilogie fermentée, les pains, les vins et les fromages dont les succès sont incomparables. Slow Food France a décortiqué lors d’un atelier du goût les rouages de ces mariages. (Gilles Fumey)
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Avec soixante Slowfoodiens présents à Turin – parmi les 3000 délégués –, la France avait préparé un atelier du goût, accueillant treize nationalités, pour présenter la trilogie fermentée, issue de l’histoire paysanne : les pains, les vins et les fromages. Pourquoi ces mets paysans alors que le pays s’enorgueillit d’avoir inventé beaucoup mieux : les restaurants et le concept de gastronomie ? Parce que dans les pays étrangers, en dehors des grands hôtels internationaux, la France n’a pas exporté sa cuisine comme l’ont fait les Italiens, les Chinois, les Japonais, les Indiens, les Péruviens, les Libanais, etc... Tout simplement parce que ce qu’on appelle la cuisine « française » est un assemblage de cuisines régionales. Qu’aurait pu choisir un restaurateur qui aurait affiché «français» dans son enseigne à l’étranger entre la choucroute alsacienne, la bouillabaisse marseillaise, le cassoulet occitan, la mique corrézienne, le gratin dauphinois (du Dauphiné), etc ? Présenter une carte avec tous les plats régionaux n’a aucun sens. Du reste, aucun chef ne s’y est risqué...
En même temps, les Français ont exporté les pains, les vins et les fromages. Même si Paris Baguette 파리바게뜨 est une société coréenne, créée à Séoul en 1986, la plupart des enseignes de boulangerie sont françaises, diffusent et entretiennent... le mythe de la baguette artisanale. Les boulangeries à l’étranger sont des occasions de faire découvrir, non pas la cuisine, mais un art de vivre français. Beaucoup de stations de métro à Tokyo ont une boulangerie française et à New York pour ne parler que d’elle, les boulangeries entretiennent le lien avec la France.
Pour les vins et les fromages, les exportations restent importantes, souvent avec des produits de qualité, même si on peut déplorer la concurrence des fromages industriels qui sont des aberrations gustatives, ou des vins issus de vignobles de masse comme le Bordelais ou le Languedoc, du reste très mal en point en ce moment.
La dégustation accueillait Maddalena Schiavone de Slow Wine, une des branches de Slow Food, le Lyonnais Amaury Jimenez, fromager installé à Turin, l’Italien Bartolo Calderone, boulanger installé à Bordeaux et Nicolas Floret, président de l’association des Fromages naturels qui travaille avec Slow Food à sauver les fromages au lait cru en voie de disparition. Nous avons présenté quatre fromages sentinelles de Slow Food : la tomme de la Brigue issue des Alpes du Sud, le fromage d’estive des Pyrénées béarnaises, le camembert de Normandie AOP et le bleu du Queyras à pâte persillée. Et nous les avons mariés pour les deux premiers avec un vin rouge, le Beaujolais du domaine de Romarand à Lantignié, un merveilleux Gamay issu de vieilles vignes et, pour les deux derniers, un vin blanc, un magnifique Jurançon doux du domaine Nigri à Monein au pied des Pyrénées, tous deux en bio. En dépassant les mariages régionaux qui sont les plus prisés, nous avons exploré des pistes inédites comme le camembert ou la tomme de la Brigue avec le beaujolais et le bleu du Queyras avec le jurançon mettant en valeur les saveurs de champignon et de cave. En rappelant que le gras des fromages doit être soutenu ou contrarié par des saveurs contraires, acides, amères ou douces. Bartolo Calderone a insisté sur le rôle des levures dans la fabrication de son pain, ainsi que la qualité des farines (bio, bien sûr) dont la légère acidité met en valeur aussi les saveurs des fromages. Sûr que ces mariages vont mener les mariés vers des noces d’or, contrairement à beaucoup de restaurants français qui n’auraient pas cette longévité pour diffuser les qualités des terroirs français. Rendez-vous est pris dans cinquante ans !
En sortant des noces, nous avons été cueillis par l’Ukrainienne Yulia Pitenko (photo à gauche, avec Fanny Bréchard), qui a pu quitter son pays le temps de Terra Madre, représentant l’Ukraine chaleureusement accueillie à Turin. À Kiev où elle vit, Yulia raconte combien la nation ukrainienne se rassemble autour de fêtes calendaires et familiales qui sont autant d’occasions de créer des pains qui ont tous des recettes et esthétiques différente. De la naissance à la mort, tous les Ukrainiens sont accompagnés par des rites de repas où les chefs d’œuvre boulangers se surpassent dans le talent. Mais Yulia ne nie pas que le blé dont l’Ukraine est un des greniers les plus fertiles du monde est surtout une plante pour le business international, le seigle étant plutôt cultivé pour les Ukrainiens, ainsi que le maïs qu’on n’hésite pas à panifier. Yulia milite pour rappeler que le pain est un organisme vivant. Son projet est de former des artisans car, pour elle, transmettre les savoir-faire familiaux à des professionnels, c’est protéger les pains et éviter leur disparition car les conditions de vie depuis le début de la guerre en 2022 sont déplorables. Du reste, certains pains sont inscrits à l’Arche du goût de Slow Food.
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Demain, des étudiants à la recherche de la biodiversité en Méditerranée